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Christophe Bernasconi à propos de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH): «Nos Conventions mettent en œuvre des droits de l’homme, et favorisent le commerce international…»

Droits et Devoirs
Par   LANATION, le 30 avr. 2015 à 05h52

La Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), basée à La Haye comme de nombreuses autres institutions de justice ou de droit international, à pour but, à l’échelle mondiale, d’établir des conventions dans le domaine du droit international privé. Comme par exemple des règles internationales uniformes en matière d’adoption ou d’enlèvement d’enfants, en matière d’accès à la justice, de régimes matrimoniaux, d’administration des successions… Si au 1er avril 2015, 78 pays ou organisations sont membres de la Conférence, on y dénombre très peu de pays africains, alors que les Conventions promues peuvent trouver un terrain d’application sur le continent, dans maints domaines. Christophe Bernasconi, son Secrétaire général, rencontré à La Haye le 15 avril dernier, explique ici l’importance des Conventions portées par son institution, ainsi que son ambition de mieux couvrir l’Afrique.

La Nation : Christophe Bernasconi, la Conférence de La Haye de droit international privé promeut un certain nombre de Conventions pour améliorer les conditions de vie des populations et les rapports entre elles en général. Quand on observe la carte de votre présence dans le monde, on relève que les Etats africains sont littéralement absents, qu’est-ce qui explique cette situation aujourd’hui ?

Christophe Bernasconi : D’abord il faut préciser que sur le continent africain, nous avons sept pays membres. Il s’agit du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte, du Burkina Faso, de la Zambie, de l’Ile Maurice et de l’Afrique du Sud. Ces sept pays sont membres de la Conférence de La Haye de droit internationale privé. En plus de ces sept pays membres, il y a en plus une vingtaine de pays africains qui, sans être membres de l’organisation, sont parties à une au moins de nos conventions. Il est vrai que beaucoup restent à faire en termes de visibilité de nos travaux sur le continent africain. Je pense que le problème est tout simplement dû au manque de visibilité de notre part. Nous sommes une petite organisation avec une trentaine d’employés et un budget assez limité de 3,8millions d’euros environ pour tout ce que nous faisons et donc il n’a pas, par le passé,toujours été possible d’aller en Afrique faire la promotion de nos instruments. Personnellement, je suis devenu Secrétaire général de l’organisation en juillet 2013, et c’est à dessein que ma première mission m’a emmené en Afrique. Je suis, en effet, allé au Togo. De plus, j’ai présenté, fin mars seulement, à notre Conseil, l’organe suprême de l’organisation, une stratégie pour l’Afrique. Parce que je veux, dans le courant des cinq prochaines années, développer une série d’initiatives qui contribueraient à augmenter la visibilité de nos travaux sur le continent africain, à encourager les Etats africains qui ne l’auraient pas encore fait, à devenir parties à l’une ou l’autre de nos Conventions et à devenir membres de l’organisation, et finalement à établir un bureau régional de la Conférence sur le continent africain.

Quels sont justement les avantages pour les pays africains à être parties à ces Conventions ?

Je dirais qu’il y a deux avantages de base. Un premier avantage est la mise en œuvre de droits fondamentaux, de droits humains, notamment en termes de protection des enfants. Certaines de nos Conventions, comme la Convention de 1980 sur l’enlèvement des enfants, celle sur la protection des enfants de 1996, celle sur l’adoption de 1993 ou encore celle sur le recouvrement d’obligations alimentaires de 2007, mettent en œuvre de manière pratique, les principes de base énoncés dans la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant. Cette convention est très importante car elle émet une série de principes fondamentaux pour la protection des enfants, mais il n’y a pas de mécanismes pour véritablement soutenir cette Convention et donner vie à ces principes.

C’est là que nos Conventions de La Haye viennent combler ce vide, viennent en renfort, et donnent justement l’outillage nécessaire à la mise en œuvre du principe de la protection des enfants dans un contexte international. Les pays africains - et leurs enfants- bénéficieraient beaucoup de cet apport. De manière plus générale, il faut savoir que la Conférence ne traite que de situations internationales et des questions juridiques que ces situations soulèvent entre particuliers ou entreprises commerciales. Or très souvent, ce que nous faisons en tant que particulier, commerçant ou investisseur a une dimension internationale et donc soulève des questions de droit international privé. C’est là que nos Conventions donnent des réponses pour déterminer le pays dont le droit s’applique ou encore le pays dont les tribunaux sont compétents pour connaître d’un litige. Nous ne faisons pas du droit purement domestique, nous ne faisons « que » du droit international privé.

C’est vrai pour la protection internationale des enfants, mais aussi pour le droit commercial ou encore les procédures civiles internationales. D’autres conventions de Conférence de La Haye viendraient en effet faciliter le commerce international et viendraient faciliter l’investissement étranger. Pourquoi ? Parce que nos Conventions en matière commerciale, établissent sécurité et prévisibilité juridiques, éléments indispensables pour les commerçants et investisseurs étrangers. Elles mettent en œuvre des droits de l’homme, notamment dans le domaine de la protection des enfants, et favorisent le commerce international et les investissements étrangers. Ainsi, ces commerçants et investisseurs étrangers ne vont pas investir dans un pays sans savoir quel droit s’applique ou comment s’organisent des procédures internationales. Là encore, les pays africains en bénéficieraient. Finalement, une de nos Conventions porte sur la suppression de la légalisation. C’est celle qu’on appelle la Convention Apostille.

Elle facilite énormément la production de documents publics à l’étranger et ces documents sont souvent nécessaires quand on commence à faire des affaires dans un pays. Plus précisément, cette Convention Apostille est particulièrement importante pour la Banque mondiale qui, en établissant le degré d’attractivité des juridictions pour l’investissement direct étranger, prend en considération si les pays sont parties à la Convention Apostille ou pas. Ainsi, un pays qui est partie à cette Convention est plus attrayant pour l’investissement direct l’étranger qu’un pays qui ne l’est pas. Ce serait là une première mesure très simple à mettre en œuvre pour les pays africains que de devenir parties à cette Convention Apostille et d’attirer les investissements étrangers. J’en ai parlé récemment au Secrétaire permanent de l’OHADA, le professeur Dorothée Sossa, qui n’a pas caché l’intérêt de l’Organisation pour cette Convention Apostille, et qui envisage une situation dans laquelle l’OHADA pourrait devenir partie à la Convention, laquelle s’appliquerait alors directement au sein des 17 Etats parties à l’OHADA. Mais ces pays, en devenant parties à la Convention, auraient aussi des relations conventionnelles non pas seulement avec les autres pays de l’OHADA, mais avec le reste du monde. Parce que c’est une Convention qui s’applique présentement dans 108 pays à travers le monde et donc, d’un seul coup, les pays africains deviendraient membres d’un club mondial, duquel ils bénéficieraient énormément.

Vous ambitionnez d’étendre votre présence à l’Afrique. Ne craignez vous pas, que l’on vous oppose que les Conventions de la Conférence de la Haye de droit international privé n’ont pas prise sur les réalités et le contexte africains.

Il est vrai, dans les faits, que la plupart de nos Conventions, surtout les Conventions un peu plus vieilles, comme l’Apostille qui a plus de 50 ans, n’ont pas été élaborées avec la présence des Etats africains. Cela étant dit - et c’est très important- ces Conventions ne sont pas l’expression d’une certaine culture juridique nationale ou régionale. En fait, elles sont neutres en termes d’expression culturelle juridique. Ces Conventions construisent des ponts entre les différents pays, les différents systèmes juridiques ; et à chaque bout des ponts, le droit domestique n’est pas affecté par la Convention de La Haye. Ainsi, les Etats africains, en devenant parties à nos Conventions, garderaient l’expression de leurs propres cultures juridiques mais deviendraient parties d’un club où la coopération et la collaboration entre Etats sont facilitées sur la base de nos Conventions.

Christophe Bernasconi, comment devenir membre de la Conférence de La Haye de droit international privé ?

C’est une procédure très simple. Il faut que typiquement le ministre des Affaires étrangères ou le chef d’Etat (cela dépend des pays) envoie une petite lettre d’intention au ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, qui tout de suite m’informe de cette démarche et propose d’admettre le pays en question comme membre de la Conférence. J’ouvre alors une période de 6 mois où les Etats membres existants peuvent voter au sujet de l’admission d’un nouveau membre. C’est une simple formalité. Après 6 mois je constate le vote positif et j’invite le pays en question à déposer son instrument d’acceptation du Statut de la Conférence de La Haye, et le jour de dépôt de l’instrument, le pays en question devient membre.