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Clément Capo-Chichi à propos de la Journée de la Justice internationale: «La finalité de la CPI est d’aider à mettre fin à l’impunité des pires crimes…»

Droits et Devoirs
Par   LANATION, le 15 juil. 2015 à 22h24

Demain vendredi 17 juillet, est la Journée dédiée à la Justice internationale par la communauté internationale. Consistant à bannir l’impunité et à surtout sanctionner les abominations et autres crimes contre les droits humains, la justice internationale ne fait pas toujours l’unanimité, au sein des dirigeants africains notamment. Un de ses représentants majeurs au Bénin, Clément Capo-Chichi, ancien directeur exécutif d’Amnesty International Bénin, aujourd’hui coordinateur régional pour l’Afrique de la Coalition pour la Cour pénale internationale (CCPI) et expert du Groupe de travail sur la peine de mort, les exécutions sommaires et extrajudiciaires de la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) nous en explique les fondements et la pertinence.

La Nation : Quels sont les enjeux de la célébration de la journée du 17 juillet ?

Clément Capo-Chichi : Le 17 juillet 1998, 120 Etats ont adopté à Rome le statut instituant la Cour pénale internationale (CPI). Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des Etats affirmant que les plus graves crimes qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale, ont décidé d’accepter la compétence d’une Cour pénale internationale permanente, chargée de poursuivre les crimes les plus graves commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants, à compter de l’entrée en vigueur du Statut de Rome le 1er juillet 2002. Treize années se sont écoulées depuis et ce 17 juillet 2015, nous voulons rappeler aux gouvernements qu'«Il est temps pour eux de rendre la justice internationale effective».

Mais le Statut de Rome est aujourd’hui décrié par ces mêmes Etats. Comment expliquez-vous cela ?

Heureusement tous les Etats ne contestent pas aujourd’hui le Statut de Rome. Ils auraient tort de le faire tout simplement parce que le texte ne fait que rappeler qu’il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction nationale criminelle les responsables des crimes internationaux. Certes quelques-uns le décrient et menacent de se retirer du Statut. Mais tel que le précise l’article 127 dudit Statut, « son retrait ne dégage pas l’Etat des obligations mises à sa charge … alors qu’il y était partie… et n’affecte pas non plus la coopération établie avec la Cour à l’occasion des enquêtes et procédures pénales à l’égard desquelles l’Etat avait le devoir de coopérer et qui ont été commencées avant la date à laquelle le retrait a pris effet ; le retrait n’affecte en rien la poursuite de l’examen des affaires que la Cour avait déjà commencé à examiner avant la date à laquelle il a pris effet.»

Insinuez-vous par là que les menaces de retrait de l’Union Africaine, du Kenya malgré l’abandon des charges contre le président Uhuru Kenyatta, celui de l’Afrique du Sud suite à la non arrestation sur son sol du président soudanais Omar El Béchir, seront sans effet ? Et que dites-vous aussi de la position récente adoptée par le président ivoirien Alassane Ouattara par rapport à la CPI ?

Je rappelle juste aux Etats parties leur obligation découlant du Statut de Rome.
Trente-quatre (34) Etats africains sont parties au Statut de Rome, et 19 sont réticents à y adhérer. Le Soudan n’est pas partie au Statut de Rome mais à la suite d’un renvoi en 2005 par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la situation au Darfour, la CPI a délivré deux mandats d'arrêt contre le président Omar el-Béchir en 2009 et 2010 pour plusieurs chefs de crimes contre l'humanité, génocide et crimes de guerre, qu’il aurait commis au Darfour à partir de 2003.
L’Afrique du Sud est un Etat partie au Statut de Rome et l’a intégré dans son droit national à travers la loi N° 22 de 2002 portant mise en œuvre du Statut de Rome de la CPI. Cette loi prévoit l’arrestation des personnes accusées d’avoir commis le crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre et leur remise à la CPI. En tant qu’Etat partie et en vertu de son droit national, le gouvernement sud-africain avait l’obligation légale d’arrêter le président soudanais dès son arrivée dans ce pays, ce qu’il n’a pas fait.
Dans le cas du Kenya les juges ont constaté que le gouvernement kényan n'avait pas pris de mesures significatives pour exiger la production des documents demandés par le Procureur de la CPI. Selon eux, le manquement du gouvernement kényan a affecté la capacité de la Cour à s'acquitter de ses fonctions et pouvoirs, et en particulier, de la fonction attribuée à la Chambre en vue de la recherche de la vérité. Le vendredi 5 décembre le Procureur de la CPI a annoncé qu’elle a déposé une notification aux fins du retrait des charges contre Uhuru Muigai Kenyatta et qu’elle le fait sans préjudice de la possibilité de présenter une nouvelle affaire si de nouveaux éléments de preuve étaient portés à sa connaissance.
Pour sa part, l'Etat ivoirien a fait une demande soulevant une exception d’irrecevabilité dans l’affaire concernant Simone Gbagbo devant la Cour. La chambre préliminaire I de la Cour a rejeté l’exception d’irrecevabilité aux motifs que les autorités nationales de la Côte d’Ivoire ne prenaient pas de mesures tangibles, concrètes et progressives pour déterminer si Simone Gbagbo était pénalement responsable du même comportement que celui allégué dans le cadre de l’affaire portée devant la Cour. La Chambre a conclu que les mesures d’enquête concernant Gbagbo étaient rares, manquaient en progression, et étaient disparates dans leur nature et leurs propos...Par conséquent, en tant qu’Etat partie au Statut de Rome, la Côte d’Ivoire a l’obligation de coopérer pleinement avec la cour.
J’en conclus avec une certaine opinion déjà émise que le risque que courent les peuples africains aujourd’hui ne réside pas dans le fait que les gouvernements interviennent abusivement pour empêcher les atrocités et nous protéger mais au contraire dans le fait qu’ils n’agissent même pas.

Dans ces différentes situations évoquées,vous rappelez sans cesse l'obligation de coopération qui incombe aux Etats. Mais alors, pourquoi cette opposition de la part de nos dirigeants?

La Cour ne dispose pas de territoire encore moins de Police. L’article 86 énonce pour les Etats parties, une obligation générale de coopérer pleinement avec la Cour dans le cadre des ses enquêtes et des poursuites pour les crimes relevant du Statut. Mieux le Statut de Rome rappelle que chaque Etat a le devoir d’exercer sa compétence pénale vis-à-vis des responsables de crimes internationaux.
La finalité première de la Cour est donc d’aider à mettre un terme à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale, et de contribuer ainsi à leur prévention.
En revenant sur ces notions de coopération effective et de complémentarité je veux rappeler la responsabilité de protéger qui incombe aux Etats et surtout la nécessité enfin pour eux d'exercer la complémentarité au niveau des juridictions nationales.

Nos Etats africains, au regard de leur système judiciaire, ont-ils cette capacité aujourd'hui de juger? Nous parlons de crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide, crimes d'agression…

Votre question est pertinente mais nous parlons d'Etats souverains. Et la mise en œuvre de cette souveraineté est reconnue voire souhaitée dans le Statut de Rome. Vous savez la CPI ne se substitue pas aux systèmes nationaux de justice pénale. Elle en est le complément. Elle ne peut enquêter et lorsque cela se justifie, poursuivre et juger des personnes, que si l’Etat concerné n’a pas ouvert d’enquêtes, se trouve réellement dans l’incapacité de le faire ou n’a pas l’intention d’agir en ce sens. Il s’agit du principe de complémentarité qui vise à donner la priorité aux systèmes nationaux.
ll est du devoir des dirigeants d’un Etat souverain de donner les moyens a sa justice de poursuivre et de juger les crimes. Et le cas de la Guinée Conakry est un exemple à encourager car il y a eu une avancée majeure dans le dossier du 28 septembre 2009 avec l’inculpation de Moussa Dadis Camara, ce qui constitue un pas décisif vers la tenue d’un procès crédible et déjà nous nous félicitons que la justice guinéenne ait pu accomplir son travail en toute indépendance.

Peut-on alors dire que nos Etats ont souvent manqué à leur responsabilité de protéger?

Absolument ! Les dirigeants du monde entier ont reconnu en septembre 2005 qu’ils n’avaient pas su répondre de manière adaptée aux crimes les plus haineux qui soient et se sont engagés à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. La responsabilité de protéger est un engagement pour prévenir et interrompre les atrocités de masse.
Un reproche fait à la CPI par l'Union Africaine est sa promptitude à se saisir des situations africaines. Dites-nous comment saisit-on cette Cour ?

Je dois rappeler que c’est l’Union Africaine (UA) qui, la première, a souligné dans son document fondateur, l’Acte constitutif de l’UA, l’importance de disposer d’un organe collectif qui interviendrait en cas de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
L'intérêt de la CPI pour l'Afrique tient d'une part du fait que les victimes sont avant tout africaines et c’est mon opinion, mais surtout du mode de saisine de la Cour tel que prévu par le Statut de Rome.
En effet, aux termes des articles 13 et 14 du Statut de Rome, tout État partie peut demander au Procureur d’ouvrir une enquête. Un État qui n’est pas partie au Statut peut aussi accepter la compétence de la Cour pour des crimes commis sur son territoire ou par l’un de ses ressortissants et demander au Procureur de mener une enquête. Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut également renvoyer une situation devant la Cour.
Mais ce qui est surtout intéressant à souligner est que l’article 14 énonce clairement la possibilité de renvoi d’une situation par un Etat partie en précisant : «Tout Etat partie peut déférer au procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d’enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes».

L’adoption récente des statuts établissant une chambre criminelle au sein de la Cour africaine ne défie-t-il pas le système pénal international du point de vue de l’immunité accordée aux chefs d’Etat en exercice et aux hauts responsables ?

Nul doute que l’action des systèmes de justice pénale en Afrique s’avère primordiale. Mais je rappelle une fois encore que la CPI ne se substitue pas aux systèmes nationaux ou régionaux de justice pénale ; elle en est le complément.
Dès lors, demandons-nous aujourd’hui quels sont les défis de la création d’une Cour africaine de justice et des droits de l’Homme. Il s’agit aussi de nous interroger sur l’efficacité et l’indépendance des systèmes africains de justice pénale afin qu’ils puissent s’acquitter effectivement et toujours de leur devoir de réprimer les crimes odieux dont nous parlons.
Ceci d’autant que, quand on considère le Protocole de Malabo, qui amende le protocole de Ouagadougou portant création de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, adopté en juillet 2014, il énonce en son article 46A bis portant sur les Immunités : «Aucune procédure pénale n’est engagée ni poursuivie contre un chef d’État ou de gouvernement de l’UA en fonction, ou toute personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut responsable public en raison de ses fonctions».
En conséquence, je crois qu’en décidant de s’octroyer des privilèges et immunités et en agissant ainsi, les dirigeants africains se mettent du mauvais côté de l’histoire.

Pensez-vous qu’avec la nomination d’un Africain à la présidence de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, les relations entre l’Afrique et la CPI vont s’améliorer ?

La désignation officielle le 1er octobre 2014 de S.E. M. Sidiki Kaba, ministre sénégalais de la justice, à la présidence de l’Assemblée des États parties, est un acte important et nous espérons que son mandat triennal sera véritablement un succès. Il a d’ailleurs rappelé dans sa profession de foi que son premier défi est celui de développer un nouveau partenariat entre la Cour et toutes les régions du monde y compris l’Afrique. Il a surtout reprécisé que l’Afrique n’est pas contre la Cour et a suggéré que la Cour doit étendre ses investigations et poursuivre tous les crimes partout dans le monde et non seulement en Afrique.
Nous travaillons déjà à ses côtés en tant que coalition à l’amélioration des relations entre l’Afrique et la Cour pénale internationale.

Une Conférence internationale sous sa présidence se tient d’ailleurs à Dakar le 20 et le 21 juillet dans le cadre de la commémoration du 17 juillet, Journée de la justice internationale, sous sa présidence sur le thème très évocateur «Souveraineté des Etats et Justice pénale internationale». Qu’en attendre ?

Cette conférence qui réunit les ministres de la Justice de la CEDEAO, les officiels de la CPI ainsi que des experts de haut niveau et les Organisations de la Société civile, nous offrira l’occasion de discuter de la question de la lutte contre l’impunité ainsi que des relations entre l’Afrique et la CPI.

Pour ramener le débat au niveau national, que retenir de la coopération du Bénin avec la CPI ?

La ratification par le Bénin le 22 Janvier 2002 du Statut de Rome a fait de ce pays le 49è Etat partie. C’est la preuve de l’engagement de nos gouvernants à nous protéger des atrocités de masse. Le Bénin a supporté la CPI depuis sa création et il reste engagé à maintenir son support en soulignant à chaque occasion l’importance de la justice et la lutte contre l’impunité à travers le monde.
Nous saluons d’ailleurs l’existence d’un cadre de coopération à travers l’adoption du Code de procédure pénale en 2013 qui y consacre tout un Titre (Titre 14, art 771-789), même si depuis 2006, nous sommes toujours dans l’attente de l’adoption d'une loi de mise en conformité et de sa mise en œuvre effective.
Le chef de l’Etat, le président Yayi Boni a montré sa détermination et sa bonne foi en envoyant une demande d’avis motivé et l’avant projet de loi à la Cour suprême depuis le 11 septembre 2006. Neuf ans après et à neuf mois de la fin de son mandat, le président du Bénin a encore l’opportunité de jouer un rôle crucial dans l’amélioration de l’efficacité du Statut de Rome en amenant le Parlement à adopter enfin une loi qui donnera à notre Etat la primauté des jugements des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Et nous comptons sur l’actuelle mandature de l’Assemblée nationale pour jouer sa pleine partition. Le Bénin pourra ainsi servir encore une fois d’exemple et ainsi favoriser l’intégrité des poursuites en offrant une opportunité de justice pour les victimes sur son territoire.
A ce propos, vous avez d’ailleurs suivi la prompte réaction des autorités béninoises relativement au cas récent d’un agent des Forces armées béninoises ayant fait subir des traitements inhumains à de jeunes femmes, au motif qu’elles auraient volé son amie. Cela est encourageant et appelle à espérer.