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Code de l’information et de la communication: Un texte ambitieux qui pourrait être encore amélioré

Droits et Devoirs
Par   LANATION, le 04 juin 2015 à 06h15

Jusqu’ici régie par des textes épars, notamment la loi 60-12 sur la liberté de presse et la loi 97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, la presse béninoise dispose désormais d’un texte de loi unifié, le Code de l’information et de la communication. Adopté par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2015, il a été promulgué par le président de la République le 20 mars. Il sera désormais opposable à tous dès que publié au Journal Officiel. En attendant, zoom sur quelques avancées induites par ce code, et réflexions sur certains aspects qui mériteraient, à terme, d’être améliorés.

C’est une avancée que le Code de l’information et de la communication ait vu enfin le jour au Bénin. Le processus ne fut pas sans embûches mais, à l’arrivée, les associations professionnelles et tous les acteurs qui y ont contribué peuvent nourrir la satisfaction d’avoir réussi à codifier ce secteur. Mais quelles sont les grandes orientations données par le législateur à ce code qui se veut un texte majeur?

Dans l’absolu, sur le plan des avancées, l’on peut retenir, conformément aux vœux des acteurs des médias, que de façon générale, les peines privatives de liberté disparaissent en ce qui concerne les délits de presse (diffamation, injure, offense au chef de l’Etat…). Elles sont cependant maintenues relativement aux crimes commis par voie de presse, article 264 (incitation aux crimes de meurtre, d’assassinat, de pillage, d’incendie, de destructions volontaires d’édifices, d’habitations, magasins, digues, chaussées, ponts, voies publiques et, d’une façon générale, de tous objets mobiliers et immobiliers ou à l’un des crimes contre la sûreté intérieure de l’Etat); et les délits contre la chose publique (article 266). On peut également souligner la réglementation de la protection de l’enfance, de l’adolescence, de la morale publique et des bonnes mœurs (Titre III, Chapitre 1er), la protection de la vie privée et de la présomption d’innocence (chapitre 2 du même titre III), autant que de la publicité (chapitre VII).
Par ailleurs, le code, à travers les conditions de création des organes de presse, ambitionne d’instituer de véritables entreprises de presse, viables et mettant les employés dans des conditions de travail acceptables, en exigeant l’application de la convention collective applicable aux médias.
En effet, s’il postule la liberté d’édition de tout journal ou écrit périodique (article 182), le code soumet la publication d’un journal à une déclaration préalable (article 183). Celle-ci comporte, entre autres, la liste du personnel rémunéré sur la base des dispositions de la convention collective de la presse béninoise; les documents afférents au registre de commerce et du crédit mobilier de l’entreprise éditrice.
En outre, s’il institue un Fonds d’aide au Développement des médias, il établit aussi l’obligation pour l’Etat d’assurer le financement des organes de presse de service public (article 41 à 44).
Mais plus généralement, il induit des avancées pour le monde médiatique, en organisant l’accès aux sources publiques d’informations et la sanction des agents de l’Etat qui feraient obstacle à la jouissance de ce droit (chapitre IV).

Accès aux sources publiques d’information garanti mais…

Le défaut d’organisation de l’accès aux sources était, jusqu’ici, l’une des faiblesses rédhibitoires de l’arsenal juridique régissant l’exercice des médias béninois. Désormais, avec le code de l’information et de la communication, cette faiblesse est surmontée, au moins sur papier déjà. Reste à ce que les actes suivent la volonté du législateur.
D’ici à cette occurrence, l’article 7 du code stipule que «Toute personne a droit à l’information. L’Etat s’oblige, à travers ses différentes structures et institutions, à garantir à toute personne, l’accès aux sources d’informations notamment publiques. Les services de l’Etat chargés de cette mission s’engagent par conséquent à fournir tout renseignement, à communiquer tout document et à veiller à faire constituer, au besoin, un dossier de presse à mettre à la disposition des professionnels sur tout sujet intéressant légitimement le public.»
Le principe de l’accès universel aux sources est posé. Mais l’usage de l’adverbe « notamment » incline à penser que les sources d’informations privées sont aussi envisagées mais moins que les sources publiques. Ainsi le législateur met particulièrement l’accent sur les sources publiques. Aurait-il fallu viser invariablement les sources publiques comme privées ?
Autre motif d’interrogation, l’article 70 alinéa 1er du code suggère que «Tout citoyen a le droit d’accéder aux documents ou aux renseignements détenus par un organisme public ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.» Car l’on doit se demander pourquoi le même code vise tantôt la personne, tantôt le citoyen. Ceci parce que le citoyen, selon le Grand Larousse illustré, est perçu comme «membre d’un Etat, considéré du point de vue de ses devoirs et de ses droits civils et politiques» alors que la personne est appréhendée comme « être humain, individu…» qui, en droit, est «titulaire de droits et d’obligations». Est-ce donc à dire que l’individu qui est déchu de ses droits civils et politiques ne peut avoir accès aux sources publiques d’information? Dans ces conditions, n’eut-il pas été plus simple de viser uniquement, «toute personne» ou «tout individu» car, un agent tatillon peut perdre le demandeur dans des considérations sémantiques en lui demandant par exemple de prouver qu’il est bien un «citoyen», c’est-à-dire qu’il jouit bien de ses droits et qu’il accomplit ses devoirs envers l’Etat…

Garantie

Une garantie tout de même, suivant l’article 71 du code, le refus d’accès aux sources doit être justifié par l’agent. Cela devrait limiter les abus de la loi du silence, à laquelle recourent souvent les cadres de l’administration. Désormais, il ne s’agira plus simplement de refuser de fournir un document, une information, il faut surtout motiver le refus; ce qui peut ouvrir droit à des voies de recours au profit du demandeur.
En effet, un délai de cinq jours est institué au profit du demandeur, après la notification du refus ou le constat d’un silence qui s’analyse en refus. L’article 97 alinéa 2 précise à cet effet que «Le demandeur qui entend contester une décision de rejet peut déposer une plainte auprès de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) dans les cinq (05) jours francs à compter de la date de la notification ou du constat de la décision implicite de rejet, sous peine de forclusion.»
Et l’article 99 du code offre même la possibilité d’auto-saisine à la HAAC. Seulement, il convient de se demander comment elle saurait si une demande n’est pas satisfaite. Car, s’il est vrai que le demandeur peut délaisser copie de sa demande à la HAAC, cela ne suffit manifestement pas à renseigner celle-ci de la satisfaction ou non de la demande. A moins de considérer que le dépôt de la copie de la demande induit pour l’administration détentrice de l’information, le devoir de communiquer sa réponse à la HAAC. Cela suppose que le demandeur précise clairement sur sa demande qu’il en fait ampliation à la HAAC, ce qui n’est pas une exigence légale établie par le présent code.
En clair, il n’apparaît pas l’opportunité d’une auto-saisine de la HAAC, de cas de demandes d’information non satisfaites ; à moins de clarifications pertinentes à venir.
Il est cependant intéressant de noter que la HAAC a trente jours pour vider un contentieux qui lui est soumis, avec possibilité de mener des enquêtes auprès de l’administration visée, dont les responsables sont tenus de mettre les documents nécessaires à la procédure à sa disposition dans un délai à fixer par elle.

Comment solliciter une information ?
L’article 78 du code répond que « Tout citoyen qui veut obtenir un renseignement ou un document auprès d’un organisme public en formule la demande. Cette demande est écrite ou verbale. Lorsqu’il s’agit d’une consultation sur place, la demande verbale est assortie d’un écrit.» En clair, il n’y a pas de demande verbale. Car, même pour une consultation sur place, la demande verbale est assortie d’un écrit. L’écrit et le verbal sont deux notions antinomiques. Le caractère oral de la demande disparaît dès lors qu’elle est soutenue par un écrit. Le législateur ne fixant pas à qui incombe la charge de l’écrit, dans ce cas, il est pertinent de penser qu’elle incombe au demandeur puisque c’est lui qui ferait, en cas de besoin, la preuve qu’il a bien formulé une demande… Laquelle est adressée au supérieur de l’agent détenteur de l’information. Dès lors qu’elle est formulée, la demande écrite fait l’objet d’apposition de la date de réception (article 79). Dans tous les cas, l’agent public dispose d’un délai de cinq jours pour y faire suite, en livrant l’information ou en renseignant le demandeur sur les conditions particulières à remplir, ou encore sur l’impossibilité de livrer l’information ; un délai initial qui peut être prorogé de 3 jours, à condition de n’avoir pas expiré déjà.
Malgré ces garanties, des restrictions au droit d’accès aux sources publiques d’information sont posées par le législateur. Ainsi, aux termes de l’article 83, «Les restrictions au droit d’accès aux sources publiques d’informations ne se justifient que dans des circonstances exceptionnelles commanditées (ce devrait être ‘’commandées’’) par l’intérêt public: le secret-défense et le secret de l’instruction judiciaire.» Puis, suivant l’article 84: Le droit d’accès aux sources publiques d’information ne s’étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. De même, un organisme public peut refuser de communiquer un secret industriel qui lui appartient… (article 85). Plus encore, l’article renseigne que « Ne peuvent pas être communiqués avant l’expiration d’un délai de six (06) mois à compter de la date d’émission : les communications du gouvernement à l’un de ses membres ou à un comité ministériel ; les communications d’un membre du gouvernement à un autre membre du gouvernement ; les recommandations d’un comité ministériel ou interministériel au Gouvernement ; les recommandations d’un membre du Gouvernement au Gouvernement ; les analyses au sein du Gouvernement, portant sur une recommandation ou une demande faite par un ministre, un comité ministériel ou un organisme public ou sur un projet de texte législatif ou réglementaire. Et, ne peuvent pas être communiqués avant l’expiration d’un délai de deux (02) ans à compter de la date d’émission : l’ordre du jour d’une réunion du Conseil des ministres ; les mémoires des délibérations du Conseil des ministres.
Sous réserve de leurs statuts et de leurs règlements intérieurs, les mêmes dispositions sont applicables, avec les adaptations nécessaires, aux mémoires des délibérations des Institutions constitutionnelles.
Ici, apparaît clairement un culte du secret, un goût de l’opacité. Autrement, comment expliquer que l’ordre du jour du Conseil des ministres ne soit communicable qu’après deux ans, alors même qu’il est censé est porté au public dans le communiqué final qui sanctionne les sessions dudit Conseil. Et que les exigences du monde actuel font du tout-information, de l’information en temps réel, un signe d’efficacité. Ne voit-on pas ailleurs que l’ordre du jour du Conseil des ministres est annoncé parfois même avant la tenue de la session ?
Dans tous les cas, le législateur a prévu de sanctionner les agents qui abusent du culte du secret et privent les populations de la jouissance du droit d’accès aux sources d’information. C’est ainsi qu’il apparaît à l’article 71 du code que « Tout agent ou organisme public qui refuse le droit d’accès aux sources publiques d’information, doit en justifier la décision. Toute entrave aux droits d’accès à l’information est passible de sanction administrative et/ou judiciaire.» Et l’article 267 précise que « Toute dissimulation, dissipation ou altération du contenu d’un document objet d’un recours en contestation d’une décision de refus d’accès aux sources d’information publiques, sera punie d’un emprisonnement de trois (03) mois à un (01) an et d’une amende de cinq cent mille (500 000) à deux millions (2 000 000) de francs CFA.» Si cette disposition est valable pour la répression des actes non de refus de communiquer des informations mais de leur altération ou destruction, l’article 285 vise bien le refus de la jouissance du droit d’accès en prévoyant qu’ « En cas de non-respect des dispositions des articles 63, 70 et 72 de la présente loi, les contrevenants seront punis d’une amende de deux cent mille (200 000) à cinq cent mille (500 000) francs CFA.»


Autres motifs de préoccupation

Si les professionnels des médias peuvent se réjouir de l’allongement du délai de l’exception de vérité de 7 à 15 jours (article 314), ils ont plutôt des motifs d’inquiétude relativement à certaines autres dispositions. C’est le cas du délai de prescription des délits de presse, qui est soumis au régime des crimes et renvoyé au code de procédure pénale (article 320) ; soit la prescription triennale. Ceci est forcément un recul au regard de la pratique en cours jusqu’ici, trois mois (loi 60-12) ou quatre mois (loi 97-010). Là-dessus, seul un amendement de la loi pourra permettre aux professionnels des médias de bénéficier d’un délai de prescription à la mesure de leurs attentes. Car celui prôné par le code les expose à des poursuites bien longtemps dans le temps. L’on relèvera aussi que la diffamation envers les cours, tribunaux, forces armées et de sécurité, corps constitués ; ou de l’injure, sont sanctionnées d’amendes allant jusqu’à 10.000.000 FCFA selon les cas (articles 268 et suivants). Ce qui n’exclut pas les dommages-intérêts. Autant dire que des organes de presse peuvent être amenés à fermer du fait d’amendes trop élevées, le code ne prévoyant pas, par exemple, qu’en aucun cas, l’exécution d’une décision de justice ne doit avoir pour effet la fermeture d’une entreprise de presse. Ce qui amènerait, même en cas de saisies judiciaires, de tenir compte de l’état de santé de l’entreprise de presse pour éviter de la tuer en procédant à la mise sous main de justice de tout son patrimoine…