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«Guide pratique sur le foncier»: Comprendre le Code foncier domanial et mettre fin à l’insécurité foncière au Bénin

Droits et Devoirs
Par   LANATION, le 29 oct. 2015 à 05h29

Les conflits domaniaux constituent une des causes essentielles de saisine des cours et tribunaux au Bénin. L’insécurité foncière exponentielle devrait connaître un ralentissement avec la loi N° 2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin. Mais les praticiens, comme les justiciables, connaissent-ils assez bien ce code ? Des difficultés de compréhension y sont notées, que le magistrat Gilbert Ulrich Togbonon, président de la première chambre civile foncière et domaniale au tribunal de première instance de première classe de Cotonou, a entendu expliciter. Il a donc décidé de passer par écrit l’expérience et l’expertise synthétisées depuis bientôt une dizaine d’années en mettant sur le marché le « Guide pratique sur le foncier», livre de 231 pages dont 123 d’annexes bien fournis. Mais qu’apporte aux lecteurs, ce livre mis sur le marché hier mercredi 28 octobre ?

«Objet de convoitises, de transactions tout aussi spéculatives, onéreuses que douteuses, la terre est aujourd’hui, objet de moult conflits, source d’insécurité dont les décideurs ont malheureusement minimisé l’ampleur, par l’absence d’une réforme foncière conséquence. En effet, l’insécurité foncière au Bénin s’est trouvée aggravée, au cours des dernières décennies, par la persistance d’un droit coutumier dépassé. La volonté du législateur béninois d’amorcer enfin une politique qui sécurise la terre et les droits y attachés et par voie de conséquence les transactions sur lesquelles elle porte, s’est traduite par le vote et la promulgation de la loi n°2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin.» C’est le constat d’Onésime Gérard Madodé, préfacier de l’ouvrage. Il fait observer que «Ce code, au regard de sa densité et des nombreuses innovations qu’elle porte en ce qui concerne le régime juridique de la propriété foncière, la protection ou la garantie des droits réels sur les immeubles, l’encadrement des transactions, les infractions en matière foncière, mérite qu’on s’y intéresse dans le cadre de travaux scientifiques, pour aider à sa maîtrise, aussi bien par des professionnels de la justice, que par les citoyens, qui sont surtout au cœur des transactions immobilières.» Aussi se réjouit-il que son collègue Gilbert Ulrich Togbonon ait pris l’initiative de commettre ce guide, en questions-réponses, faisant ainsi œuvre de pionnier, d’éclaireur.

C’est en cela que les usagers des cours et tribunaux, comme les novices mais intéressés à la terre, doivent se réjouir aussi. Car, à l’évidence, ce Guide pratique sur le foncier est le leur. C’est un bréviaire que le magistrat leur propose. En dix chapitres, il éclaire sur les concepts, les modes d’accès à la propriété, le régime de la copropriété, la protection et la reconnaissance administrative du droit de propriété, le domaine immobilier de l’Etat et des collectivités publiques, la preuve du contentieux foncier et l’exécution des décisions qui en découlent. Il éclaire aussi sur le rôle des acteurs administratifs tel que défini par le code foncier et domanial, les opérations de lotissement et de remembrement en République du Bénin ; ainsi que sur les infractions en matière foncière.

Souci d’éclairer le public

Si l’avènement du code foncier et domanial est une avancée certaine et que la sécurité foncière recherchée dans le cadre des transactions immobilières semble être une réalité grâce à lui, l’auteur du «Guide pratique sur le foncier», considère que «…l’intervention de l’administration, des pouvoirs publics et le déclin de l’office notarial dans les transactions pourraient fragiliser parfois cette sécurité.» Et que «force est de constater que la lecture et la compréhension de ce texte ne sont pas aisées pour les professionnels du droit, encore moins pour une population majoritairement analphabète.» C’est pourquoi, justifie-t-il, «en adoptant une démarche de simplification, en réalisant ce guide pratique, l’objectif (…) est d’aider les propriétaires, les fermiers de l’Etat, les entrepreneurs, les locataires, les futurs propriétaires, les investisseurs et les Organisations non gouvernementales à anticiper et prévenir les complications relatives à la propriété, l’utilisation et l’occupation de propriétés afin d’éviter des conflits fonciers.» Par conséquent, Gilbert Ulrich Togbonon espère que «cet outil permettra de comprendre certaines normes coutumières et informelles utilisées par la population qui, souvent, vont à l’encontre des procédures formelles en matière foncière… (qu’il va) contribuer à l’éradication de l’insécurité foncière qui sévit au Bénin et qui constitue un handicap énorme pour le développement socio-économique et immobilier de nos concitoyens.» D’où le choix de le présenter sous forme de questions-réponses afin, dit-il, «de solutionner de manière synthétique, les problèmes usuels que rencontrent les usagers dans ce domaine.»
D’ores et déjà, le magistrat relève que «l’essentiel du problème de l’insécurité foncière au Bénin se concentre sur la question de l’assurance des mutations foncières» et que ses causes sont multiples et se regroupent en trois points. A ce propos, il identifie : « les erreurs d’identification des ayants droit car on n’est jamais certain que le vendeur dispose d’un droit de vendre irrévocable et que d’autres ayants droit ne surgiront pas quelques années après pour tenter d’annuler la vente. Les erreurs administratives ; l’administration considérant en effet que, tant qu’un titre de propriété n’a pas été attribué sur un domaine privé, elle est en mesure d’exercer son droit de propriété éminent qui peut aller dans certains cas jusqu’à s’attribuer des terrains dont elle a besoin et ce pour cause d’utilité publique. Les erreurs d’identification de terrain sur lequel porte la mutation. Puisque le terrain que l’on croit avoir acheté n’est pas toujours celui qui est désigné sur le document que l’on a reçu. Même avec l’existence d’un plan précis de terrain, il existe une marge d’erreur quant à la localisation.»

Des infractions en matière foncière

Le long des pages du Guide, l’auteur passe en revue, le régime de la copropriété (une pratique peu usitée chez nous), les mécanismes de protection et la reconnaissance administrative du droit de propriété, le domaine immobilier de l’Etat et des collectivités publiques, les moyens de preuve du contentieux foncier et l’exécution des décisions y relatives. Il renseigne aussi sur le rôle des acteurs administratifs, les opérations de lotissement et de remembrement en République du Bénin ; ainsi que sur les infractions en matière foncière. Attardons-nous quelque peu sur ces dernières, du fait de la récurrence des conflits domaniaux. Gilbert Ulrich Togbonon en dénombre 25, met en relief leur ancrage légal ainsi que les sanctions y attachées. On pourrait ainsi faire ressortir la «non intervention de la décision du juge dans un délai maximum de quinze (15) mois à compter de la première audience qu’elle soit contradictoire, réputée contradictoire ou rendue par défaut.» Elle vise la célérité et est sanctionnée d’une amende de 100 mille francs CFA. Le «faux et usage de faux en écritures publiques, consistant en l’altération du plan foncier rural, des registres des ayants droit ainsi que l’utilisation intentionnelle desdits documents» puni des travaux forcés à perpétuité. Quant à la «signature par le maire, le chef quartier ou de village d’une convention quelconque portant sur un immeuble n’ayant pas fait l’objet de confirmation de droit foncier», elle est punie d’une peine d’emprisonnement 5 ans à 10 ans. L’on peut retenir aussi les infractions d’occupation illégale ou de mise en valeur d’un immeuble sans l’accord préalable du propriétaire ou du titulaire du droit foncier par une personne physique ou morale, la vente de sa propriété à plusieurs personnes, la vente de la propriété d’autrui à plusieurs personnes… sanctionnées de diverses peines d’amende et/ou de prison. Au titre des infractions encore, quelques parmi les plus saillantes se rapportent au stellionat et à la complicité des officiers ministériels ayant participé à la rédaction des actes entachés de stellionat. Le stellionat et sa complicité donc, sanctionnés d’une peine d’emprisonnement de 5 ans à 10 ans et d’une amende de 5 millions à 10 millions de francs CFA. L’aliénation, l’exploitation, l’occupation ou le fait d’investir sur un immeuble frappé d’indisponibilité sont, pour leur part, punis d’une peine d’emprisonnement d’un an à 5 ans. Que dire de l’exploitation (recherche, prospection) illégale de carrières ou de substances minières ? Autant que de sa complicité, elle est punie d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 500 mille à 10 millions de francs CFA…

Plus utile encore

Un des avantages évidents qu’offre ce livre, en dehors des enseignements y contenus, c’est la masse d’annexes utiles qu’il propose. En fait, il s’agit d’un ensemble de décrets d’application du Code foncier et domanial. Dont, entre autres, le décret N° 2012-768 du 29 décembre 2014 portant organisation de la copropriété des immeubles bâtis, puis d’un lot de décrets datant du 29 janvier 2015. Parmi lesquels, ceux portant attributions, organisation et fonctionnement du Conseil consultatif foncier (CCF) et du Fonds de Développement foncier (FDF), celui fixant les modalités d’exercice du droit de préemption et de location-vente des immeubles préemptés ou expropriés ; celui portant attributions, organisation et fonctionnement de l’Agence nationale du Domaine et du Foncier (ANDF). Un autre portant modalités de cession à titre onéreux, d’aliénation à titre gratuit, de location des terres et biens immeubles du domaine privé de l’Etat et des collectivités territoriales. Ou encore celui fixant les modalités et conditions d’attributions, de mise en valeur et de reprise des concessions domaniales privées en milieu rural…
Au total, il faut de retenir que ce «Guide pratique sur le foncier» est un livre pratique qui s’applique à un domaine pratique, trop pratique même à en juger la densité de conflits domaniaux qui étouffent nos cours et tribunaux.

Affranchir la population de l’ignorance foncière

Pour toutes ces raisons évoquées supra, l’auteur a choisi d’adopter une démarche explicative, accessible à tous en principe. Le lecteur se laissera donc enseigner en mode questions-réponses et entre autres, ce que sont le foncier, le régime foncier, le domaine, la domanialité publique, la propriété, les modes d’acquisition des biens immeubles, la succession, qui peut acquérir un immeuble en République du Bénin. Des notions nouvelles et formalités prescrites par le Code foncier et domanial font également l’objet de développement de la part de l’auteur. Qui nous apprend ainsi par exemple, que «la prescription extinctive consiste à éteindre par une possession paisible, notoire, non interrompue et sans équivoque de 10 ans un droit présomptif de propriété préexistant. (Qu’) il est donc impossible d’acquérir la propriété par la prescription sur un immeuble muni de certificat de propriété foncière. (Qu’) elle ne s’applique pas aux domaines public ou privé de l’Etat et des collectivités territoriales.» Gilbert Ulrich Togbonon nous conseille, par ailleurs, de passer les ventes d’immeubles devant un notaire et fait remarquer que «la lecture croisée des articles 18 et 158 du Code foncier et domanial fait ressortir que les transactions passées directement entre les parties sur des immeubles, ne disposant pas de titre de propriété, par acte sous seing privé et non déposés au rang des minutes d’un notaire sont nulles, à l’instar de la législation ivoirienne.» C’est la raison pour laquelle, souligne-t-il, «les vendeurs d’immeubles ont l’obligation de disposer d’un titre de propriété avant de procéder à toute cession. Le titre de propriété étant le certificat de propriété foncière ou le titre foncier ou encore la décision judiciaire passée en force de chose jugée.» D’ailleurs, précise encore l’auteur, l’acte notarié ne peut être obtenu alors que le vendeur ou le cédant n’a pas de titre de propriété puisqu’ « on ne vend ou ne cède que ce dont on est propriétaire. C’est pourquoi, toute vente de bien immeuble est subordonnée, sous peine de nullité absolue du contrat, à la confirmation des droits sur l’immeuble à vendre.»