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Justice pénale: Problématique de l’emprisonnement et fondement des peines alternatives

Droits et Devoirs
Par   LANATION, le 18 août 2016 à 11h50

Sur initiative de leur collègue Claudine Prudencio, les députés béninois ont adopté, le 16 juin dernier, la loi portant travail d’intérêt général en République du Bénin. Avec ses douze articles, ce texte de loi vise à soustraire certains justiciables des peines privatives de liberté, mais aussi et surtout à lutter contre la surpopulation carcérale. Le Bénin n’innove pas en la matière. D’autres pays, occidentaux notamment, expérimentent diverses formules de peines alternatives depuis au moins 20 ans, avec des fortunes diverses. Quels sont les fondements de ces peines alternatives à l’emprisonnement ?

Exercer un travail d’intérêt général sur une période pouvant s’étendre sur 18 mois plutôt que d’aller en prison. Cette possibilité sera offerte aux justiciables béninois dès que la loi sera applicable. Selon le texte voté par les parlementaires, la peine de travail d’intérêt général ne peut être prononcée à l’encontre d’un prévenu qui la refuse. De même, pour diverses raisons, notamment sanitaires, professionnelles, familiales ou sociales, le condamné peut bénéficier d’une suspension du travail d’intérêt général.
Cette mesure qui existe en Occident parmi tant d’autres formules, ne fait pas toujours l’unanimité. L’office des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) a entendu apporter sa contribution au débat en édictant le Manuel des principes fondamentaux et pratiques prometteuses sur les alternatives à l’emprisonnement.

Pourquoi l’emprisonnement n’est pas toujours efficace ?

Selon le manuel, « Il y a des prisons dans tous les pays du monde. Les décideurs et les administrateurs peuvent donc être amenés à considérer simplement qu’elles ont toujours été là et ne pas essayer activement de leur trouver des alternatives. Pourtant il ne faudrait pas penser que l’emprisonnement est une forme naturelle de punition allant de soi. Dans de nombreux pays, l’incarcération comme forme de punition est relativement récente, et elle peut être étrangère à des traditions culturelles locales qui, depuis des millénaires, ont recours à d’autres moyens de faire face à la délinquance. En outre, il a été montré que l’emprisonnement était contre-productif pour la réadaptation et la réinsertion des personnes accusées de délits mineurs, ainsi que pour certaines populations vulnérables. » Or, « La réalité est que le nombre croissant de détenus aboutit souvent à un grave surpeuplement carcéral, ce qui se traduit par des conditions d’incarcération qui violent les normes des Nations Unies et autres normes qui exigent que tous les détenus soient traités avec le respect dû à leur dignité et à leur valeur intrinsèque en tant qu’êtres humains. » Dès lors, il y a plusieurs raisons importantes de s’intéresser en priorité aux alternatives qui réduisent le nombre de personnes incarcérées et pour que l’emprisonnement ne soit qu’une solution de dernier recours, suggère le manuel. Car, développe le manuel, sous certains angles, l’emprisonnement affecte le respect des droits de l’homme. En effet, « La liberté individuelle est l’un des droits les plus fondamentaux de la personne humaine, reconnue par les instruments internationaux des droits de l’homme et les constitutions des pays du monde entier. Pour priver quelqu’un de ce droit, même temporairement, les gouvernements ont le devoir de justifier le recours à l’emprisonnement comme étant une mesure nécessaire pour atteindre un objectif sociétal important qui ne peut l’être par des moyens moins restrictifs. Si l’emprisonnement entraîne inévitablement une perte de liberté, dans la pratique, il porte aussi régulièrement atteinte à plusieurs autres droits de l’homme. Dans de nombreux pays, les détenus sont privés de tout élément de confort, vivent dans des cellules très surpeuplées, sont mal vêtus et insuffisamment nourris. Ils sont particulièrement vulnérables aux maladies et sont mal soignés. Ils ont des difficultés à garder le contact avec leurs enfants et leurs proches. De telles conditions peuvent littéralement mettre leur vie en danger. De plus en plus, les juridictions des droits de l’homme reconnaissent que soumettre les détenus à de telles conditions revient à leur refuser toute dignité humaine et que ces conditions équivalent à un traitement inhumain et dégradant. Bien trop souvent, ces détenus sont en majorité de petits délinquants, dont beaucoup attendent d’être jugés et pour lesquels des mesures alternatives seraient plus appropriées. Elles réduiraient la surpopulation carcérale et faciliteraient la gestion des prisons de manière que les États puissent s’acquitter des obligations qui leur incombent à l’égard des détenus qui leur sont confiés. »
Par ailleurs, il est établi que les prisons coûtent cher aux Etats, de façon directe ou indirecte. A ce propos, le manuel note que « Le coût de l’emprisonnement à l’échelle mondiale est difficile à calculer, mais la meilleure estimation le situe autour de 62,5 milliards de dollars par an, si l’on en croit les statistiques de 1997. Les coûts directs comprennent la construction et l’administration des prisons ainsi que l’hébergement, l’alimentation et la prise en charge des détenus. Il y a aussi des coûts indirects ou annexes importants, car l’emprisonnement peut affecter l’ensemble de la collectivité de diverses manières. Par exemple, les prisons sont des foyers de maladies telles que la tuberculose et le SIDA, en particulier lorsqu’elles sont surpeuplées, et lorsque les détenus sont libérés, ceux-ci risquent de contribuer à leur propagation. »


Des alternatives plus efficaces

Faisant constater que le recours à l’emprisonnement est excessif, le manuel suggère que les responsables devraient regardent de plus près quelles personnes sont détenues en prison, pourquoi elles le sont, et pour combien de temps. Ces informations révéleront immanquablement, si elles sont disponibles, que les détenus appartiennent dans leur grande majorité aux groupes les plus pauvres et les plus vulnérables de la société. Des gens qui peuvent purger des peines pour des infractions mineures ou des infractions sans violence ou qui attendent d’être jugées depuis une durée inacceptable. Pour ceux-là, propose le manuel, l’emprisonnement n’est peut-être pas du tout la solution. Mieux, il existe diverses stratégies alternatives qui leur conviendraient mieux. Il faudrait donc commencer par envisager les alternatives pour éviter un recours excessif à l’emprisonnement. Celles-ci peuvent être plus efficaces que les peines de prison. En effet, souligne le rapport, on prête à l’emprisonnement plusieurs objectifs sociaux. Entre autres, il permet de garder sous contrôle les personnes soupçonnées d’avoir commis un crime ou un délit jusqu’à ce qu’un tribunal se prononce sur leur culpabilité. Il punit les délinquants condamnés en les privant de liberté quand ils ont été déclarés coupables d’une infraction, les empêche d’en commettre d’autres pendant qu’ils sont en prison, et facilite, théoriquement, leur réadaptation pendant leur période d’incarcération. Enfin, on peut considérer qu’il est acceptable de placer en détention des personnes qui ne sont ni soupçonnées ni convaincues d’avoir commis une infraction, mais dont la détention est justifiée pour d’autres raisons.
Dès lors, interroge le manuel, si l’emprisonnement porte atteinte à plusieurs droits fondamentaux et coûte cher, est-ce l’efficacité avec laquelle il atteint les objectifs ci-dessus qui le justifie? Pour répondre qu’«En réalité, la plupart de ces objectifs peuvent être atteints plus efficacement par d’autres moyens. Les droits fondamentaux de personnes qui seraient autrement détenues seraient mieux respectés par les mesures alternatives, qui sont en outre moins onéreuses. Dans ces conditions, l’argument contre l’emprisonnement, sauf en dernier recours, est très solide». Mais quelles sont les arguments particuliers avancés en faveur des différentes formes d’emprisonnement? Selon le Manuel, «La perte de liberté exige une justification particulière dans le cas des détenus non condamnés, qui doivent, jusqu’à preuve du contraire, être présumés innocents des charges qui pèsent sur eux. La question de l’efficacité doit alors être liée de près à la nécessité de la détention. S’il y a des raisons de penser que le suspect s’enfuira pour éviter de comparaître, par exemple, il faut se demander s’il n’y aurait pas, pour obtenir ce résultat, d’autres moyens moins coûteux qui ne le priveraient pas de liberté»?

Les défis à relever

En outre, si l’on craint qu’un suspect puisse intimider des témoins potentiels, il faudrait se poser la même question, bien que l’alternative efficace puisse être différente de celle à laquelle on peut avoir recours pour assurer la comparution, recommande le manuel. De plus, poursuit le manuel, l’emprisonnement de personnes en attente de jugement peut avoir des inconvénients pour l’ensemble du système de justice pénale: la préparation d’une défense devient plus difficile; la difficulté d’accéder à un avocat et aux autres ressources peut entraîner des retards et nuire à l’efficacité de l’administration de la justice. De même, « Dans le cas des détenus condamnés, la question de l’efficacité se trouve compliquée par les objectifs multiples que la peine d’emprisonnement est censée atteindre. Si l’objectif prioritaire est de faire en sorte que les délinquants renoncent ultérieurement à un comportement criminel, rien ne permet de conclure que l’emprisonnement le fait plus efficacement que les peines alternatives dans la collectivité. Au contraire, des études comparant l’impact de différentes formes de punition sur la récidive donnent à penser que l’emprisonnement rend plus difficile la réinsertion ultérieure des délinquants et qu’il peut être un facteur de récidive».
Somme toute, « Recourir à l’emprisonnement pour réduire les délinquants à l’impuissance n’est efficace que dans la mesure où, pendant qu’ils purgent leur peine, ils ne récidivent pas. Or, dans leur grande majorité, les détenus retourneront dans la société, beaucoup sans les compétences leur permettant d’en respecter les lois. Les délinquants ne peuvent nuire à la société pendant qu’ils exécutent leur peine, mais lorsqu’ils sont libérés, ils présentent une plus grande probabilité de récidive que ceux dont la peine ne comprenait pas d’emprisonnement. Autrement dit, le recours à l’emprisonnement pour prévenir la récidive n’est pas une stratégie efficace à long terme » fait constater le Manuel. Aussi recommande-t-il : « L’un des défis que doivent relever les autorités qui cherchent à développer le recours à des alternatives à l’emprisonnement pour réduire la population carcérale est de faire en sorte que, conceptuellement, les alternatives ne couvrent pas un champ trop restreint. Les alternatives sont un élément essentiel à tous les niveaux et à toutes les étapes du système de justice pénale». Pour le moment, le Bénin, en raison de ses moyens limités, n’entend promouvoir que le travail d’intérêt général. C’est déjà un début?