La Nation Bénin...
Face aux limites du système bancaire classique, des voix
s’élèvent pour appeler à repenser les mécanismes de financement. Transformer
l’épargne en investissements productifs, diversifier les secteurs soutenus et
miser sur les atouts démographiques et technologiques deviennent des impératifs
pour financer le développement autrement et libérer le potentiel de croissance
de la région.
Réfléchir au développement de façon créative. C’est
l’appel lancé par Lionel Zinsou, économiste et ancien premier ministre, à
l’occasion des Boad Development Days, organisés par la Banque ouest africaine
de Développement à Lomé. Dans un contexte où la croissance africaine reste
parmi les plus fortes au monde, il estime que le continent doit encore franchir
un cap en réinventant ses approches de financement. « Nous avons une des
croissances les plus fortes au monde, mais si nous voulons financer autrement,
il va falloir accélérer dans les remèdes », a-t-il fait savoir devant un
parterre d’experts, de décideurs et de partenaires financiers venus se
ressourcer sur les leviers de transformation structurelle des économies
ouest-africaines. Pour Lionel Zinsou, l’un des constats majeurs est la
faiblesse de la transformation de l’épargne en crédit productif. Dans l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) comme en Afrique subsaharienne,
le système financier réussit à collecter beaucoup plus de dépôts qu’il ne
délivre de crédits. Un paradoxe structurel qu’il appelle à rectifier. « Ce
qu’un système financier est normalement en charge de faire, c’est de prendre
des ressources d’épargne et de les multiplier, notamment en transformant des
ressources de court terme en financements de moyen et long termes »,
explique-t-il. Or, observe-t-il, c’est l’inverse qui se fait. Résultat, le
secteur privé peine à trouver des financements adaptés pour soutenir une
croissance durable et inclusive. « Nous n’avons pas de moyen terme pour le
secteur privé, ni de long terme. C’est une pathologie qui nous différencie
considérablement de l’Asie, par exemple », analyse-t-il. Au-delà du circuit
bancaire classique, Lionel Zinsou insiste sur la nécessité de revoir les
allocations sectorielles. L’agriculture durable et l’énergie qu’il considère
comme intrinsèquement liées, doivent être des priorités. Or, ces secteurs
restent encore marginalement financés, tout comme le logement, pourtant premier
poste de crédit bancaire dans le monde. Cette approche doit, selon lui, être
adossée à une meilleure capitalisation du système financier régional et à un
accompagnement actif des mutations technologiques. « Le numérique va finir par
permettre de changer tout ça », estime l’économiste, citant l’exemple des
cadastres et factures numérisés qui permettront de mieux mobiliser les
ressources fiscales et patrimoniales.
A valoriser
Dans son intervention, Lionel Zinsou pointe aussi
l’importance de réévaluer les actifs sous-estimés. Le financement climatique
par exemple représente, selon lui, un potentiel majeur pour générer des
“quasi-fonds propres”, une alternative précieuse face à l’absence historique
d’accumulation de capital sur le continent. « Voilà comment tout d’un coup, des
choses qui n’avaient pas de valeur deviennent des actifs. Nous avons une
révolution des actifs en cours », assure-t-il. L’assurance récolte, citée comme
levier d’accès au crédit agricole, figure parmi ces innovations capables de
déclencher un cercle vertueux de financement plus rationnel et résilient face
aux chocs climatiques. Au-delà des aspects purement financiers, l’ancien
premier ministre s’est voulu résolument optimiste quant au potentiel humain de
la région. « Nous allons être la région du monde qui aura le plus de jeunes
actifs », affirme-t-il, voyant dans cette dynamique démographique une
opportunité pour construire de l’épargne et préparer une nouvelle classe de
consommateurs et d’investisseurs. Pour Lionel Zinsou, la pyramide des âges
actuelle est un atout stratégique. Moins de charges immédiates pèsent sur cette
génération active, ouvrant la voie à une épargne plus abondante qui,
correctement orientée, peut soutenir l’industrialisation, l’innovation et la
compétitivité.
Conscient des défis, Lionel Zinsou invite cependant à dire la vérité sur toutes les pathologies du système financier. Pour lui, l’heure est à la transparence, à la lucidité et à la prise de risques pour financer autrement. « Appuyez les gens qui sont les laboratoires de ce changement. Soyez positifs et optimistes, mais finançons autrement », a-t-il lancé. Un message qui résonne comme un rappel que face à une croissance soutenue mais encore fragile, l’Afrique de l’Ouest doit innover sans relâche pour libérer son potentiel et bâtir un développement plus inclusif et durable.
Lionel Zinsou