La Nation Bénin...
Une étude analyse en profondeur la manière dont les pays africains à économie intermédiaire, notamment ceux de l’Uemoa, incriminent le blanchiment d’argent. Entre exigences communautaires, intensité des sanctions et responsabilité des acteurs publics et privés, le dispositif juridique se durcit, avec l’enjeu de dissuader une criminalité financière en pleine mutation.
Dans un contexte où les flux financiers illicites prennent des formes de plus en plus complexes, l’incrimination du blanchiment d’argent demeure un pilier essentiel de la lutte contre la criminalité financière. Une étude de Konrad Adenauer Stiftung sur les économies intermédiaires revient sur l’architecture juridique qui encadre cette infraction, en soulignant à la fois ses avancées, ses subtilités et les défis persistants. Si la prévention demeure le premier rempart, rappelant l’adage que "mieux vaut prévenir que guérir", le droit introduit un dispositif de sanctions visant à décourager tout passage à l’acte. Dès qu’un acte est commis, l’incrimination devient un outil indispensable. Elle précise les comportements prohibés, les acteurs concernés et les sanctions applicables. Cette double dimension, éducative et répressive, constitue le socle de toute politique efficace contre le blanchiment. Au sein de l’Uemoa, la Directive de 2015 fait office de texte fondateur en matière d’incrimination du blanchiment. Elle définit avec précision les actes considérés comme constitutifs de cette infraction. Quatre catégories principales s’en dégagent. La conversion ou le transfert de biens dont l’auteur sait, ou devrait savoir, qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, dans le but d’en dissimuler l’origine ; la dissimulation ou le déguisement de la nature, de la provenance ou des mouvements des biens ; l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens d’origine illicite ; la participation, sous toutes ses formes : association, tentative, aide, incitation ou conseil. La Directive précise en outre que l’infraction demeure constituée même si l’auteur du blanchiment est le même que celui de l’infraction initiale, ou si les actes sous-jacents ont été commis hors du territoire national. Cette approche large, qui autorise à déduire la connaissance ou l’intention à partir de “circonstances factuelles objectives”, élargit notablement le champ de la criminalisation.
Le texte communautaire insiste sur la dimension intentionnelle comme élément essentiel. La connaissance réelle ou présumée de l’origine illicite des biens suffit à caractériser l’infraction. Toutefois, la Directive de 2015 introduit un élément novateur: la possibilité de sanctionner certaines omissions non intentionnelles. Par exemple, le défaut de déclaration de soupçon ou la violation d’obligations imposées par les normes de lutte contre le blanchiment. Cette ouverture, bien que déstabilisante d’un point de vue doctrinal, traduit une volonté de responsabiliser davantage les acteurs soumis à des obligations de vigilance, notamment les banques, notaires, comptables et institutions financières.
Une criminalisation graduée
L’étude met particulièrement en lumière la gradation introduite dans l’échelle des responsabilités. L’auteur principal n’est plus le seul visé. Ceux qui facilitent, encouragent, tentent ou organisent l’acte de blanchiment sont également sanctionnés. La participation, même indirecte, devient un élément d’incrimination. La Côte d’Ivoire illustre cette tendance. Sa loi de 2016 sur le blanchiment et le financement du terrorisme reprend les dispositions communautaires tout en étendant la liste des comportements incriminés. Notamment, le simple conseil apporté dans la perspective de faciliter un acte de blanchiment est considéré comme une infraction à part entière. Il en est de même pour d’autres pays comme le Bénin et le Sénégal. Un autre point saillant de l’étude concerne la question de la responsabilité. Textuellement, la Directive Uemoa précise que les sanctions pénales doivent s’appliquer aux personnes morales, autres que l’État. Mais la réalité juridique nuance cette apparente immunité que les représentants de l’État, en tant que personnes physiques, peuvent être tenus responsables s’ils sont impliqués dans des actes de blanchiment. Les entreprises, les organisations et les institutions sont également concernées. Ces lois dans ces pays établissent clairement que toute personne, physique ou morale peut être reconnue coupable, sans exception sectorielle. L’incrimination du blanchiment constitue aujourd’hui un outil juridique robuste, adapté aux standards internationaux. Pourtant, l’étude souligne la nécessité d’une mise en œuvre plus rigoureuse, notamment en matière de formation des acteurs judiciaires, de coopération régionale et de renforcement des mécanismes de détection. À mesure que les économies intermédiaires se modernisent, les criminels financiers innovent aussi. La force du système d’incrimination dépendra donc de sa capacité à évoluer, à anticiper et à sanctionner. Et sur ce terrain, la clarté des textes n’est qu’un premier pas. La volonté politique et l’efficacité institutionnelle demeurent les véritables leviers d’une lutte durable contre le blanchiment de capitaux. Le Bénin en a fait son cheval de bataille.
Lutte contre la criminalité financière