La Nation Bénin...
Les routes, artères vitales du développement et de la mobilité en Afrique de l’Ouest, sont devenues des cibles privilégiées des groupes armés. Un récent rapport de l’Ocde/Csao révèle que 70 % des violences politiques surviennent à proximité des axes routiers, du Sahel au golfe de Guinée.
Embuscades, enlèvements, engins explosifs... Circuler
dans certaines zones en Afrique de l’Ouest est devenu une aventure périlleuse.
Les routes qui constituent des vecteurs essentiels de mobilité et de
développement, se transforment de plus en plus en champs de bataille en Afrique
de l’Ouest. Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de
développement économiques et du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest
(Ocde/Csao, avril 2025) révèle que 70 % des événements violents et 65 % des
victimes sont recensés dans un rayon d’un kilomètre d’un axe routier entre 2000
et 2024 dans les régions de l’Afrique du Nord et de l’Ouest.
« Les infrastructures de transport sont au cœur de la
lutte que se livrent acteurs étatiques et non étatiques pour le contrôle de la
mobilité », souligne le document.
L’analyse s’appuie sur plus de 73 000 incidents de violences
politiques ayant causé la mort de 245 000 personnes au cours des 24 dernières
années, selon les données collectées dans le cadre du projet Armed Conflict
Location & Event Data (Acled, 2024).
Les exemples sont légion. En août 2024, un convoi alimentaire
est pris en embuscade sur la route Kantchari-Diapaga, dans l’est du Burkina
Faso : 150 soldats et miliciens, mais aussi 50 civils, sont tués par des
combattants affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim). En
septembre 2023, l’aéroport de Gao, au Mali, a été visé par une attaque à la
voiture piégée contre les Forces armées maliennes et les mercenaires de Wagner
: 19 morts, huit véhicules détruits et deux avions endommagés.
Economie criminelle en expansion
Certaines routes sont particulièrement redoutées. La
Route nationale 16 (Rn16) au Mali (Mopti/Sévaré – Gao), a enregistré 433
incidents violents depuis 2012. Au Nigeria, les axes reliant Maiduguri à
Damaturu, Biu, Bama et Potiskum cumulent plus de 1 200 attaques depuis 2010,
faisant des centaines de morts. Dans l’ouest du Cameroun, la route circulaire
Bamenda-Kumbo-Wum est devenue l’axe le plus violent de toute la région, avec
757 incidents depuis 2018, en raison du conflit séparatiste ambazonien.
Les enlèvements se multiplient. L’affaire la plus
médiatisée reste celle de l’enlèvement de l’opposant malien Soumaïla Cissé en
2020 alors qu’il faisait campagne dans la région de Tombouctou pour les
élections législatives en mars 2020. Il ne sera libéré qu’après six mois de
captivité et ce, en échange de prisonniers et d’otages européens.
Mais la plupart des victimes sont désormais locales :
civils, commerçants, fonctionnaires, écoliers, pris pour cibles sur les routes.
L’extension de ce phénomène a donné naissance à une véritable « économie de
l’enlèvement », qui s’est déplacée vers le sud et touche aujourd’hui le Burkina
Faso, le Niger et le nord du Bénin.
L’autre tactique dans la désobéissance civile, ce sont les blocus de routes imposés par des groupes armés non étatiques, entravant l’accès aux biens de première nécessité et aux services de base. A Djibo au nord du Burkina Faso, les jihadistes ont imposé un siège qui a coupé la localité d’environ 350 000 habitants du reste du pays, ne laissant passer que quelques convois escortés ou des ravitaillements aériens.
Un problème structurel
Cette insécurité sans précédent traduit une vulnérabilité
commune à l’ensemble de la région. « Les niveaux de violence sans précédent
observés à proximité des routes en Afrique de l’Ouest sont en réalité la
manifestation d’un problème structurel plus profond qui ne peut être résolu
qu’en développant ou en réhabilitant un réseau de transport bien plus cohérent
au niveau régional », selon l’Ocde/Csao.
En fait, le réseau routier dans la région est peu dense,
mal entretenu et donc particulièrement exposé. Un seul pont détruit ou une
route bloquée peut suffir à isoler toute une ville ou une région, avec des
conséquences dramatiques sur l’économie, la sécurité alimentaire et la cohésion
sociale.
Face à ces menaces, l’Ocde/Csao plaide pour une approche intégrée, celle de sécuriser les infrastructures, diversifier les axes de transport, mieux connecter les villes et intégrer les données spatiales dans les politiques publiques. De manière concrète, le rapport recommande de renforcer la protection des axes stratégiques et des populations riveraines, développer des réseaux routiers alternatifs et plus résilients, afin de réduire la dépendance à quelques routes principales. Il importe aussi d’intégrer la sécurité routière et territoriale dans les politiques de développement. Car au-delà de la guerre des routes, c’est l’avenir même de la cohésion nationale et de l’intégration régionale qui se joue, du Sahel au golfe de Guinée.
Une extension du front sahélien au Nord-Bénin
Si le Bénin n’a pas connu le même niveau de violences que
ses voisins du Sahel, la menace s’y étend depuis quelques années. Selon le
rapport de l’Ocde/Csao, les violences liées aux infrastructures routières se
concentrent au nord du pays, notamment dans les départements de l’Atacora et de
l’Alibori, le long des axes reliant le Burkina Faso et le Niger.
Les groupes armés actifs au Sahel, en particulier les
Katibas affiliés au Jnim et à l’Etat islamique, cherchent à étendre leur zone
d’influence vers le Sud. Entre 2021 et 2024, plusieurs incidents notables ont
été recensés, notamment des embuscades contre des patrouilles militaires
béninoises dans le parc W et dans la zone de Porga, à proximité de la frontière
burkinabè, des attaques d’engins explosifs improvisés sur des pistes empruntées
par l’armée et les forces de sécurité. Il est aussi constaté des enlèvements de
civils et d’agents forestiers souvent ciblés alors qu’ils circulaient sur les
routes ou pistes secondaires de la région frontalière.
Les routes commerciales et pistes informelles servant à
la contrebande et aux trafics divers deviennent aussi des points de passage
pour les groupes armés. Cette porosité fragilise davantage la sécurité
nationale et régionale.
Les violences ont contraint les autorités à renforcer la sécurisation des axes routiers stratégiques et à limiter certains déplacements civils, en particulier dans les zones frontalières.
La criminalité liée aux routes s’articule avec les flux transfrontaliers