La Nation Bénin...
Certains parmi eux ont été projetés devant le tableau noir
par les circonstances de la vie. D’autres ont dû attraper la craie en désespoir
de cause. Mais de nombreux enseignants ont aussi embrassé le métier par la
passion de dispenser le savoir et partager la connaissance. Entre passion,
sacerdoce et combat pour la survie, l’enseignement au Bénin connait diverses
fortunes.
Les centaines de personnes qui s’adonnent au métier de
l’enseignement au Bénin n’ont pas tous eu la chance de décider de leur métier,
à l’instar de dame Véronique Afiavi Padonou, enseignante des Sciences de la vie
et de la terre (Svt) au Collège d’enseignement général 3 de Savalou.
Cette mère de famille a découvert sa passion pour
l’enseignement dès le bas âge en s’inspirant des modèles autour d’elle. Quand
elle en parle, c’est à la fois avec passion et nostalgie. Elle évoque le cas
d’une certaine Georgette Minavoa qui fut son encadreur et qui, par sa rigueur
et son abnégation, lui a donné l’envie et la passion d’exercer ce
métier. La brillante écolière que fut Véronique Afiavi n’eut pas trop de
difficultés à tracer son sillon pour parvenir à son rêve. Figurant parmi les
cinq premières de sa commune au terme de son Certificat d’études primaires
(Cep), elle sera envoyée au Lycée Houffon d’Abomey pour les sept années du
cours secondaire. Là encore, les modèles ne manqueront pas de l’inspirer. Elle
a eu au bout du rouleau « le goût du travail bien », se
souvient-elle. Mais lui est restée comme souvenir majeur, « la manière
dont Georgette Minavoa se donnait au travail ».
L’envie « de faire comme elle et de devenir comme
elle » l’a poussée à ne jamais renoncer à son rêve. L’autre modèle qui a
inspiré Véronique dans son choix, c’est sans doute son père. Un enseignant du
primaire qui ne jurait que par la finesse, l’ardeur et le travail bien fait.
Contrairement à ses congénères, elle savait avant son baccalauréat qu’elle
finirait dans une salle de classe. Raison pour laquelle, son orientation à
l’université n’a souffert d’aucune hésitation. Mieux, elle a commencé,
confesse-t-elle, le métier avant même d’aller se faire former plus tard pour y
consacrer sa vie entière. Rencontrée dans sa commune de résidence à quelques
jours de la rentrée des classes, Véronique se disait
« pressée d’aller rencontrer ses élèves ». Avec eux, on
s’épanouit bien, on apprend beaucoup, laisse-t-elle entendre. « Parfois
même, nous tombons malades à force de rester à la maison parce que l’école nous
manque », enchaine-t-elle. Comme elle, Camille Sègbédji en fonction depuis
16 ans s’est épris de passion pour le métier de l’enseignement depuis fort
longtemps. « Je suis devenu enseignant parce qu’il me plaisait d'enseigner
comme certains de mes enseignants depuis que j'étais sur les bancs »,
confie-t-il.
Victor Tonado, enseignant de mathématiques, n’en dira pas
autant. Il est devenu enseignant par passion certes, mais aussi par contrainte.
En effet, explique-t-il, c’est le besoin de l’autonomie financière qui l’a
poussé à opter pour les cours à domicile et les travaux dirigés. L’ancien
leader des groupes d’études dans les
matières scientifiques d’un collège de Bohicon a développé cette fougue
qu’il a conservée jusqu’à ces heures de difficulté sur le marché de l’emploi.
Il choisira donc d’user de cette ancienne corde à son arc pour rejoindre le
cercle des vacataires avant de voir sa situation professionnelle se stabiliser
au fil des ans.
Parcours divers !
Dans ce métier du tableau noir et de la craie, les sentiers
qui ont conduit ceux qui y sont ne sont pas les mêmes. Parfait Etoko,
enseignant à l’Ecole primaire publique de Cadjèhoun, ne s’était jamais vu dans
cette profession. Fils d’enseignant, il rêvait d’un avenir bien loin du milieu
scolaire. Mais « par la force des choses », il s’est vu contraint
d’exercer ce métier depuis déjà 18 ans. Amour Guèdègbé a connu un sort presque
similaire. L’ancien étudiant de l’Université d’Abomey-Calavi choisira l’option
« Craie » par dépit. Onze années dans la vacation, et cinq ans dans
l’aspiranat, ainsi ce résume le parcours de ce professeur d’anglais aux allures
de mannequin qui s’était imaginé de nombreuses autres professions sauf
celle-là. Les apprenants du collège Houéyiho de Cotonou connaissent bien
Séverin Acakpo. Plusieurs générations d’apprenants sont déjà passées entre ses
mains pour se faire enseigner l’histoire et la géographie. Vingt-six ans qu’il
exerce ce métier dans lequel il dit s’y plaire. Un métier qu’il dit avoir fini
par aimer aussi, ce qui laisse entrevoir qu’il aurait rêvé d’un autre métier.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’aime pas son métier. Bien au contraire,
il l’adore. S’il a pu tenir plus de deux décennies et demie, c’est sans doute
parce qu’il y a pris goût. En tout cas, la craie pour cet enseignant, c’est
désormais une question de passion. « Le travail d’abord, la quête de la
satisfaction après », soutient-il.
Les histoires des hommes de la craie sont alléchantes les
unes que les autres. Richard Dégon, enseignant en tourisme et hôtellerie, en a
une qui tranche avec le commun. Il est devenu enseignant par suivisme,
reconnait-il. « C’est un métier que j'ai aimé depuis mon bas âge. Je ne
parlerai certainement pas de vocation, car la vocation est venue lorsque j’étais
déjà dans le métier », admet-il. « J’ai aimé le métier simplement
parce que j’avais beaucoup de cousins qui ont été enseignants. Je voulais donc
faire comme eux. Ce n’était pas une vocation au sens propre, c’était juste du
snobisme », avoue-t-il. Au snobisme s’est ajoutée la contrainte. Devenu
orphelin de père après son baccalauréat, Richard, enfant de milieu très
modeste, s’est tourné vers la vacation pour se prendre en charge juste après sa
Licence en Sciences naturelles. « C’était la seule possibilité qui
s’offrait à moi surtout qu’à l’époque, le gouvernement de Feu président général
Mathieu Kérékou par le biais de Jean Bio Chabi Orou, alors ministre de
l’Enseignement secondaire, avait pris un Arrêté (Arrêté 50) permettant à tout
titulaire du baccalauréat + 2 au moins d'aller dans les collèges signer un
contrat avec les autorités de l’établissement et le bureau des parents
d'élèves », rappelle Richard Dégon.
Quant à Luc Zinsou Amoussou, il a été un peu comme
poursuivi et à chaque fois rattrapé par la craie. Il rêvait d’aller faire ses
études au Cesti de Dakar et de se consacrer au journalisme et aux médias. Il en
a rêvé toute sa vie. Mais à l’épreuve des faits, l’enseignement l’a ravi.
Depuis quinze ans, il y est et a fini, telle l’araignée, par y tisser
solidement sa toile. « Dernier enfant vivant encore dans les jupes de
maman » après l’obtention de sa Licence en Lettres modernes, il cherchait
l’indépendance et a dû s’ouvrir à son frère aîné assez bien connu dans le monde
de l’enseignement et dans l’univers syndical. Sur conseil et orientation de
celui-ci, il atterrit dans un collège de Tori où le besoin en enseignant de la
langue française se faisait sentir . « À la fin de l'année, je voulais
plus grand. J’ai décidé d'abandonner l’enseignement et d’utiliser mes économies
pour faire un Master option Marketing et Médias ». Le revoilà donc à
Cotonou pour reprendre les études, mais à la fin de la première semaine de
cours, il sera appelé et instruit par le chef du département Lettres modernes
de l’Université à l’époque, le professeur Pierre Mèdéhouègnon, un de ses
tuteurs pour signer « un contrat plein de vacation ». Ses cours du
jour, il dut les convertir en cours du soir. « J’ai fini par comprendre
que l’enseignement de la langue française me poursuivait. Je suis donc redevenu
professeur de français au Collège l’Entente en 2007 », révèle-t-il.
Lorsque interviendra le recensement des vacataires décidé par le président Boni
Yayi, il sera enrôlé pour un reversement en Agent contractuel de l’Etat. Les
cours de Master en resteront là et la carrière d’enseignant se
poursuivra à ce jour.
Enseignants et fiers
Tous les enseignants assument sans hésiter leur fierté
d’être dans ce métier. Tous sans exception clament le bonheur et la joie qu’ils
ressentent du seul fait de se tenir devant leurs apprenants, de leur dispenser
le savoir, d’échanger avec eux et même d’apprendre d’eux. Landry Kiki enseigne
dans un collège de Cotonou. Le 18 septembre dernier, jour de la rentrée des
classes, dès les premières heures, il était déjà sur son lieu de travail. La
raison, c’est la passion de l’enseignement. Il le clame à cor et à cri. Il n’y était pas prédestiné, mais depuis
qu’il s’y trouve, il s’y plaît. « C’est très passionnant et je suis assez
fier et heureux d’être enseignant », lâche-t-il avec sourire. Celui-ci dit
ressentir un « énorme épanouissement » surtout lorsqu’il retrouve
loin du cadre scolaire ses anciens apprenants. « Quand vous rencontrez vos
apprenants qui ont réussi dans la vie active, vous êtes très heureux et ils
sont heureux aussi de vous voir », confie-t-il. Mais sa satisfaction ne se
limite pas aux cas de parfaite réussite. Le fait de se faire identifier même
dans les localités les plus reculées du pays par ceux qu’on a eu la charge de
former et d’éduquer est aussi un motif de satisfaction pour lui. Même si pour
l’heure, le métier ne nourrit pas encore bien son homme, et qu’on « fait
avec ce qu’on a », il y a toutes les raisons de confesser sa passion pour
la craie, assume Dieu-Donné Adomou, directeur d’école à Cotonou. « Vous ne
pouvez pas savoir le bonheur que cela procure », soutient-il.
Séverin Acakpo, qui n’a plus que quelques années de
fonction encore avant sa retraite, lie sa fierté à sa présence dans les salles
de classe. Ce métier est un sacerdoce, mais il se dit « très fier »
de l’exercer, car « 26 ans, ce n’est pas peu » sans oublier qu’il est
très content chaque fois qu’il a des élèves devant lui.
« Je ne regrette rien en choisissant l’enseignement
comme métier. Le peu que l’Etat met à ma disposition me suffit et je le gère à
ma manière… Je suis vraiment épanouie dans mon travail », dira pour sa part
Véronique Afiavi Padonou. « Plus qu’une enseignante, elle se sent dans son
collège comme en famille et dans ses salles de cours comme dans son foyer.
Conséquence, les dernières minutes de ses cours sont comme des séances de
coaching au cours desquelles elle échange sur des sujets divers avec ses
apprenants. Ce moment est surtout priorisé pour l’écoute extra scolaire, les
conseils sur la sexualité… Toutes choses qui la rendent fière de son métier et
qui la rapprochent surtout de ses élèves.
A force d’exercer ce métier, on s’éprend de lui et on lui
consacre le meilleur de soi, appuie l’enseignant de mathématiques, Victor
Tonado. Fierté totale, assure-t-il, d’être dans ce métier où il se sent à
l’aise, même si tout n’est pas rose.
Luc Zinsou Amoussou est heureux d’être du cercle restreint
de ceux qui partagent le savoir, façonnent les hommes de demain, préparent les
leaders et offrent à la République des bâtisseurs. « Je reçois toujours
des témoignages de ce que je fais bien mon travail et cela me satisfait. Même
si au départ, je ne voulais pas l'être, j’ai fini par accepter ce métier et au
fil des années, appris à l’aimer », indique-t-il. Si hier, Camille
Sègbédji rêvait de porter la toge dans les prétoires pour défendre la veuve et
l’orphelin, les justiciables en conflit avec la loi, il tire aujourd’hui sa
plus belle joie face au tableau noir, la craie en main. Il se plait tellement
dans ce métier que l’envie de s’arrêter ne l’habite plus. Et pour se donner
plus de chance, il continue lui-même de se former et soutient sous peu, une
thèse de doctorat sur l’enseignement en tourisme et hôtellerie. Que dire
d’Amour Guèdègbé ? Seize ans déjà qu’il parcourt les salles de classe à la
rencontre des élèves pour leur dispenser le savoir, mais à chaque fois, l’envie
d’aller à leur contact est la même.
Relatif épanouissement
Il faut bien mettre un fossé entre la fierté que
revendiquent la plupart des enseignants interviewés et l’épanouissement qu’ils
tirent de leur métier. Si pour les uns, les deux vont de pair, pour les autres,
il faut les dissocier. Fiers mais pas épanouis, dira-t-on, pour résumer la
pensée de certains d’entre eux. Il en va ainsi pour Luc Zinsou Amoussou qui
veut bien relativiser. « Suis-je épanoui ? Pas vraiment »,
rétorque-t-il, évoquant ensuite « la situation des enseignants au
pays ». Ce métier, souligne-t-il, « épanouirait plus son homme le
jour où les pouvoirs publics décideraient de reconnaître sa place à
l’enseignant », espère-t-il. « Relativement épanoui », répond de
son côté, Camille Sègbédji sur la même question sans plus de précision. Amour
Guèdègbé se dit « plus ou moins épanoui », se fondant sur la
situation salariale de ses pairs et lui. « Je suis très fier d'être
enseignant et j’y suis bien épanoui… », déclare Richard Dégon, enseignant
mais aussi auteur de plusieurs ouvrages dont trois sont actuellement au
programme dans la spécialité hôtellerie et restauration dans les lycées et
centres de formation technique.