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Révérend-Père Epiphane Ahouansè, directeur national de l’enseignement catholique: «Nous avons d'énormes difficultés avec l'Etat»

Education
Par   zounars, le 19 nov. 2013 à 10h49

Créé dans les années 1862 à Ouidah par les Pères missionnaires Borghero et Fernandez, l’enseignement catholique au Bénin poursuit inlassablement son chemin, en gagnant la confiance des uns et des autres. Pour en savoir plus, son directeur national, le Révérend-Père Epiphane Ahouansè revient ici sur le chemin parcouru depuis la création de cet enseignement jusqu’au jour d’aujourd’hui.


La Nation : Révérend-Père Epiphane Ahouansè, vous êtes le directeur national de l’enseignement catholique au Bénin. Comment se porte-t-il ?

Rev.Père Epiphane Ahouansè : Je puis vous dire que l’enseignement catholique est la toute première école au Bénin. On a commencé le 10 février 1862 à Ouidah par les Pères missionnaires Borghero et Fernandez qui étaient arrivés en 1861. Et en 1862 donc, ils ont compris la nécessité de former l’élite dahoméenne et c’est ainsi que les portes de l’école sont ouvertes à Ouidah en février 1862. Ce qui justifie la célébration le 10 février 2012 des 150 ans de l’existence de l’enseignement catholique au Bénin. Et nous sommes repartis sur les cendres donc de cette école à Ouidah avec une grande célébration à la Basilique de ladite ville. Cette célébration des 150 ans de l’enseignement catholique a occupé toute l’année et nous avons clôturé le jubilé des 150 ans le 10 février 2013 à Porto-Novo, en la cathédrale Notre Dame et profité de cette opportunité pour inaugurer le siège de l’enseignement catholique sis en face de la direction des Examens et concours, à Porto-Novo.
Donc, de 1862 à nos jours, nous l’Eglise catholique a été aux côtés de l’école au Bénin. Et pour la petite histoire, malgré la présence du colonisateur, ce n’est que 30 ans après l’ouverture des premières écoles catholiques au Bénin que le colonisateur a implanté la première école publique qu’on appelait école laïque à Porto-Novo en 1892 qui demeure l’Ecole urbaine centre de la ville. C’est 30 ans après que l’école laïque ou publique a commencé ses activités. Cela veut dire que pendant 30 ans, du Sud au Nord et de l’Est à l’Ouest, les missionnaires ont implanté et formé les élites du Bénin. Je pense qu’à ce jour plusieurs personnes sont reconnaissantes au travail que l’Eglise catholique a eu à faire dans leur vie et elles sont nombreuses à dire que s’il n’y avait pas eu l’école catholique, elles ne seront jamais sorties de leur brousse pour avoir accès à l’enseignement, à l’éducation. Voilà ce que je puis vous dire de façon assez rapide sur cette historique qui n’a été rose tout au long des 150 ans.
Vous savez très bien qu’il y a eu la période sombre et triste de la révolution où nos écoles ont été prises en otage de 1974 à 1990. C’est à l’issue de la Conférence nationale des Forces vives de la Nation que les écoles confessionnelles qui avaient été donc prises par l’Etat sont rétrocédées à l’église. Depuis lors, nous avons repris encore notre bâton de pèlerin et ouvert nos écoles au public. Nous avons continué cette mission d'éducation et de formation aux côtés de nos populations, de nos frères et sœurs. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation un peu reluisante en ce sens que aujourd’hui on peut voir sur le terrain la statistique ci-après : 72 écoles maternelles, 166 écoles primaires, 66 écoles secondaires et 4 unités universitaires qui travaillent et collaborent dans notre pays à cette rentrée académique pour former les enfants de notre pays.

Quelles sont les difficultés majeures qui entravent le bon fonctionnement de l’enseignement catholique au Bénin ?

Les difficultés sont là effectivement. La première c’est que avec l’Etat, nous avons d’énormes difficultés en ce sens que, en tant que partenaire privilégié du système éducatif béninois, nous n’avons pas le regard de l’Etat sur nous, pour veiller vraiment à ce que cette collaboration puisse aller et se faire de façon franche. Nos structures scolaires qui sont là, nous les gérons par nous-mêmes. Nos enseignants, c’est nous-mêmes également, c’est à croire que les enfants que nous accueillons dans nos structures scolaires ne sont pas des enfants béninois et que leurs parents ne sont pas les contribuables de ce pays. Alors que si il y a une richesse, il faut que la richesse soit partagée équitablement. En un mot, il faudrait que ce qui revient aux enfants que nous accueillons dans nos structures scolaires puisse leur être octroyé à travers des subventions que l’Etat doit accorder à nos structures pour soulager les uns et les autres. En nous soulageant, il soulage les parents parce que en accordant des subventions à nos structures scolaires, nous aurons donc à diminuer les frais de scolarité et accueillir plus d’apprenants dans nos structures. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et puis nos enseignants aussi, ils émargent à notre budget alors qu'ils vont dans les mêmes marchés que les autres enseignants du pays qui ont le double ou le triple de ce que nous leur payons aujourd’hui. Je trouve cela injuste d'autant que le travail qu’ils abattent à nos côtés et aux côtés des enfants béninois est le même. Vu les résultats que nous obtenons sur le terrain et ce qu’ils font pour ce pays, il y a de quoi que les gouvernants fassent quelque chose pour ces enseignants parce qu’ils ont les-mêmes diplômes que ceux du service public. Il faudrait bien qu’ils soient rémunérés au même titre. Et ce n’est qu’à travers les subventions que cela pourrait se faire comme il en a été par le passé.
Notre Constitution a prévu que notre Etat peut accorder des subventions. Mais si on doit regarder les choses de près, l’Etat doit accorder des subventions aux établissements privés pour qu’ils puissent répondre à leur rôle dans la formation et l’éducation des enfants dont nous avons la charge.

Avez-vous pris langue avec le gouvernement à cette fin ?

A cette question, je vous réponds par l’affirmative, parce que, en tant que directeur national de l’Enseignement catholique, je collabore aux côtés des autres responsables du secteur privé, pour que le gouvernement de mon pays fasse quelque chose dans ce sens. Depuis près d’une décennie, qu'une promesse nous a été faite, jusqu’à ce jour nous n’avons pas satisfaction. On a demandé des textes qu’on a élaborés et j’ai été président de commission pour élaborer ces textes. A peine vous finissez pour que cela soit signé et que dans l’espoir qu’à la prochaine rentrée scolaire, les choses iront bien, on vous présente encore une autre situation où il faut faire ci et ça et finalement nous sommes là aujourd’hui dans l'attente d'une solution concrète. C’est une honte nationale en ce sens qu’autour de nous, des pays qui n’ont pas la grandeur de notre démocratie, subventionnent les établissements privés. A titre d’exemple, même les pays qui sont sortis de la guerre comme la Côte d’Ivoire, Haïti, de même que le Burkina Faso, le Togo, le Niger, etc, accordent des subventions. Je suis dans une sous-région où j’écoute les autres. Ils accordent des subventions et qui plus est arrivent à payer des directeurs diocésains et les directeurs nationaux qui travaillent dans ces pays, tous émargent au budget national. Je ne comprends pas pourquoi notre pays est en retard dans ces prises de décision. On n’accorde pas de priorité aux choses auxquelles il faudrait les accorder, mais au contraire, l’on contourne alors qu’il n’y a de développement que dans les ressources humaines. Et ces ressources humaines, ce sont les apprenants que l’on forme et il faut bien les former pour que ces derniers puissent donc promouvoir le développement de la Nation. Tel que les choses vont, j’ai un peu de doute et je ne sais pas pourquoi certains sont laissés pour compte et d’autres doivent bénéficier de l'appui gouvernemental. C’est bien dommage.

Au regard de tout ce qui précède, si l’on vous demande de faire le bilan du chemin parcouru à ce jour ?

Malgré les ressources et les conditions exposées ci-dessus, les difficultés sont effectivement là. Mais je tire un coup de chapeau à nos enseignants et je dis par la même occasion un sincère merci aussi aux parents d’élèves qui ont fait confiance à l’enseignement catholique en inscrivant leurs enfants dans nos structures scolaires. Et les enseignants qui malgré les conditions limitées font le travail, parce que les résultats sont là. Les résultats sont là que dans nos structures, les enfants aux divers examens depuis le certificat d’études primaires (CEP) jusqu’au Baccalauréat ont des résultats qui vraiment étonnent plus d’un et les parents sont satisfaits et cela si je ne m’abuse, ce sont nos résultats qui font que le pourcentage des admis aux examens est au niveau actuel.

Qu’est-ce à dire ?

Si on soustrait nos résultats, je ne sais pas ce que serait les pourcentages aux divers examens. La bonne preuve, le premier lauréat au plan national en ce qui concerne le baccalauréat de cette année, est sorti de l’un de nos établissements précisément au cours secondaire Saint Augustin de Cotonou. Globalement, on est toujours au-delà des 50% dans chaque série du baccalauréat. Et pour le Brevet d’études du premier cycle (BEPC), on est toujours au-delà de 90% de réussite et au Certificat d’études primaires (CEP), ce n’est pas les 100% que l’on exhibe au plan national là. Mais 100% des enfants qui ont réellement travaillé et qu’on n’a pas aidé comme on le note dans certaines structures publiques. Des enfants qui ont travaillé et qui ont effectivement le niveau de leurs classes. Voilà ce que je puis dire, car en qualité de directeur national je suis satisfait. C’est vrai qu’on ne peut pas être satisfait à 100%, mais pour le travail qu’ils abattent dans ces conditions là, c’est satisfaisant et je leur dis courage surtout pour cette nouvelle année qui s’ouvre et nous attendons que tout se passe bien. Nous prions que les choses aillent mieux.

Propos recueillis par Jean José SEMONDJI (Collaboration extérieure)