La Nation Bénin...
Près de sept décennies durant, Théophile do Régo alias El
Régo a égayé des générations de mélomanes. A 85 ans, il s’en est allé, laissant
à ces derniers d’inoubliables souvenirs faits de morceaux cultes et de succès
artistiques révélant toute la dimension de son talent. Retour sur le parcours
d’un grand nom de la musique béninoise.
De son nom d’artiste El Rego, le musicien qui a fait danser
toutes les générations, s’est définitivement retiré de la scène. Théophile do
Régo, ‘’Le rossignol’’, qui ne se voyait pas quitter la scène, tel un bossu,
s’en est allé, dans la nuit du 10 au 11 octobre. Vaincu sans doute par le poids
des années et la maladie contre laquelle il s’est longtemps battu. Une grande
perte pour la musique béninoise tant son œuvre a marqué les esprits.
Né en 1938, l’artiste s’est révélé comme l’un des plus
prolifiques de son temps. A son actif, de nombreux disques dont huit 45 tours,
quatre 33 tours, deux cassettes et trois CD. Une référence qui aura connu
plusieurs vies et dont les témoignages restent encore vivaces dans les
mémoires.
« J’ai fait mes premiers pas dans la musique au Sénégal en
1953 à l’école Médina de Dakar. Mon tuteur était un viveur qui aimait beaucoup
la musique. Mon père était un mordu de Tino Rossi. J’avais aussi un oncle qui
jouait de la guitare. Tout ça a suscité mon goût pour la musique», se
remémorait-il, un brin nostalgique, dans les colonnes de La Nation.
Ainsi a commencé l’aventure qui le conduira en 1956 à
rentrer au Dahomey, son pays natal qu’il avait quitté très jeune.
Une fois au bercail, il intègre l’orchestre Jazz Hot d'Euloge Amégan, période au cours de laquelle il a connu un certain Gustave Gbénou alias GG Vikey. Passionné d’aventure, il prend par la suite le chemin du Niger puis du Burkina Faso où il a joué respectivement avec les orchestres Los Cubanos et d’Antonio et les Chacha Boys puis à Harmony Voltaïque, orchestre de la Présidence de la République. Revenu au pays juste après les indépendances, El Régo joue pendant longtemps dans la Filda, dirigée à l’époque par les Togolais de la John Walden. La Filda, se souvient-il, était l’orchestre préféré du président Hubert Maga. Puis suivra l’expérience de Los Ponchos où animaient Gnonnas Pedro ainsi que Paul Alapini.
« J’ai fondé par la suite mon propre orchestre, le Daho Jazz. On avait juste une tumba achetée à Adjarra, un amplificateur et un haut-parleur. C’était maigre comme instruments mais ce n’est pas donné à tout le monde de les avoir. Mais l’expérience du Daho Jazz a tourné court parce que le patron du bar dans lequel nous animions avait voulu qu’on joue uniquement chez lui. Un jeune frère d’Idelphonse Lemon m’a sollicité pour Les Jet, un orchestre qui nous a permis de faire des tournées un peu partout dans la sous-région. Pour ce groupe, j’ai dû renoncer à mon job de mécanicien-auto à l’ambassade du Nigeria. Mes parents et proches n’étaient pas contents. C’est ainsi que je suis entré entièrement dans la musique », retraçait-il. A la suite de la dislocation du groupe après quelques mésententes avec le président, est né ‘’Los Commandos’’ qui se produisait dans une boîte de nuit, ‘’La Calebasse’’puisà‘’Canne à sucre’’ et au ‘’Ludo Club’’. Sept à dix orchestres animaient à l’époque à Cotonou.
Une passion dévorante
« La musique d’antan, c’est de la musique immortelle. Nous avions fait les orchestres et nous animions des soirées rien qu’à travers des compositions personnelles. Il y avait tout un répertoire. La musique n’est pas pour une génération spontanée», relevait El Régo en appréciant le travail fait aujourd’hui par les jeunes artistes dont bon nombre balbutient leur art, à son avis.
S’il y a un mauvais souvenir qu’il garde des années de
succès de son orchestre, c’est la trahison de ses musiciens à la Saint
Sylvestre de l’an 1966. « Les musiciens de mon groupe à l’exception de Houdou
Baboni m’ont quitté pour jouer à Lomé. C’est cette mésaventure qui m’a inspiré
la chanson ‘’Mèmènontian’’. Je l’ai chantée pour la première fois les larmes
aux yeux, c’était assez triste. Le groupe avait du succès et ‘’La Calebasse’’
faisait le plein les week-ends. Des mordus de musique venaient de la
sous-région pour s’égayer», se souvient-il. Ainsi s’achève cette merveilleuse
aventure qui débouche sur la création de ‘’El Régo et ses commandos’’.
Si très peu de musiciens de sa génération ont pu
enregistrer un disque, Théophile do Régo s’est toujours battu pour donner un
sens à sa vie et à sa carrière, convaincu qu’il avait un destin à accomplir. «
Personne ne veut aider les artistes alors qu’on leur demande beaucoup. Une
certitude, c’est que je sais me débrouiller. Même si je dois aller faire le
docker au port, je n’hésiterai pas. Je ne veux pas mourir comme un chien. Il y
a des artistes qui meurent malheureux et c’est dommage. L’art est un noble
métier mais au Bénin, il faut avoir plusieurs cordes à son arc », disait-il
avec amertume pour montrer combien il était pénible pour les artistes de s’en
sortir.
Outre sa capacité à surmonter les écueils qu’il rencontre
dans la vie, Théophile do Régo dit devoir une fière chandelle à ses relations
d’antan. « Les relations, c’est plus que de l’argent. Et la musique m’a permis
d’en avoir beaucoup. Quand vous êtes correct, vous arrivez à en tirer profit.
J’ai eu cette chance d’avoir eu de grands fans. Ils nous ont été d’un grand
secours. Nous avons trop souffert », lâchait l’homme qui a su créer, à
l’époque, des activités parallèles à son art. Une petite buvette en ville,
quelques affaires au port à l’époque et puis la boîte de nuit ‘’Play-boy’’ à
Jonquet, aujourd’hui fermée, où il reconnaît avoir gagné beaucoup d’argent.
Plus de 50 ans que cette boîte s’est positionnée comme l’une des plus grandes
plateformes de loisirs au Bénin.