La Nation : Les mairies font l’expérience d’une nouvelle donne avec de nouveaux acteurs. En tant qu’expert, quelle appréciation faites-vous de l’implémentation de cette réforme après un an ?
Appolinaire Oussou Lio : La décentralisation est un chantier inachevé au Bénin. Il fallait cette réforme pour séparer les pouvoirs technique et administratif de celui politique et permettre à chacun de jouer réellement son rôle. Un an après, c’est très tôt pour faire un bilan mais il importe de le faire. Il y a eu deux situations sur le terrain. Il y a les Secrétaires exécutifs (Se) qui se cherchent encore parce que travaillant dans un climat de méfiance avec des maires et des cadres administratifs qui étaient déjà en poste, qu’ils sont venus voir et avec qui ils doivent désormais collaborer. Il y a d’autres Se qui ont pris le temps d’observer la situation et de prendre les mesures qu’il faut, d’imprimer un leadership à l’administration appelée de tous les vœux à être une administration de développement. La réforme suit son cours normal en dépit de tout. Ce que la réforme n’a pas considéré, certainement pour faute de temps, ce sont les cadres qui étaient déjà sur le terrain et qui avaient une certaine expérience. Lesquels cadres se sont retrouvés du jour au lendemain désœuvrés avec la mise en œuvre de la réforme. Ces anciens cadres observent avec suspicion les nouveaux cadres techniques installés par la réforme pour voir de quoi ils sont capables. Ce sont des gens qui, brusquement, se sont retrouvés confrontés à une réalité à laquelle ils n’étaient pas préparés, celle de céder leurs postes à de nouveaux cadres techniques recrutés et déployés pour servir sous la responsabilité du Se. Ces situations sont légion au niveau des communes. L’autre hic, c’est que l’organigramme qui devrait accompagner la réforme et la rendre opérationnelle, comporte des insuffisances avec la situation de certains responsables techniques qui doivent cumuler deux à trois communes dans l’exercice de leurs fonctions. Il est observé que les responsables techniques auront forcément de préférence pour une commune par rapport à l’autre. D’autres ont fini par démissionner, ne pouvant pas s’en sortir dans cette situation de cumul de communes.
Que devrait faire l’Etat ?
Je pense que l’Etat devrait rendre autonome chaque commune surtout en ce qui concerne les cadres. Pour que la réforme puisse prendre efficacement, il faut faire l’état des lieux de l’existant ; le poids de l’existant ; les compétences disponibles. Une fois sur le terrain, on recase en même temps les compétences existantes pour qu’elles ne soient pas désœuvrées, afin que les cadres compétents qui étaient sur le terrain puissent travailler avec les responsables administratifs tirés au sort. Les Se les plus intelligents ont conduit la réforme en collaboration avec leurs maires sur le terrain. Sinon, la plupart des maires ne sont plus respectés par leurs anciens collaborateurs. Ces derniers font la part belle aux Se. Ce qui est dangereux pour les Se aussi parce que ces cadres vont les mettre en opposition aux maires. De cette situation, peuvent naître des mécontentements qui ne se dévoilent pas. On fait semblant d’être ensemble. Il y a une ambiance de méfiance qui s’installe. Les Se doivent savoir que chaque territoire à des langages donnés, des réalités socioculturelles et politiques données. La politique du développement fait que l’élu qui est là, on lui doit du respect. Aucun Se ne peut réussir sans une bonne collaboration avec le maire. Dans le même temps, l’autorité communale qui veut le développement de sa commune ne doit pas chercher à faire échouer son Se. Si le maire agit ainsi, le Se est un cadre qui peut continuer ailleurs mais c’est la commune du maire qui recule. Quand la cadence change, les pas de danse doivent changer aussi. On n'est plus dans l’ancien système. Ici, le maire s’occupe de l’animation de la vie politique de son territoire mais aussi en accompagnant le Se pour la réussite de sa mission. Car, tout le monde aurait échoué si la réforme échoue avec les guerres inutiles entre Se et maires. Le gouvernement aurait aussi échoué parce qu’on a fait quelque chose de bon et de beau mais qui n’est pas encore accepté, avec des tâtonnements par endroits. Il ne faut pas perdre de vue que le seul niveau de décentralisation, c’est la commune. Même la réforme n’a pas banni cela. Nous sommes dans un chantier inachevé et on doit l’accompagner. Les maires ont toujours leur force même s’ils ne sont plus l’ordonnateur du budget.
Quid de la mobilisation des ressources propres, une des priorités de la réforme ?
La mobilisation des ressources financières par les communes doit être l’affaire de tous les acteurs de l’administration locale. Le maire et les élus doivent s’impliquer. Il en est de même pour les autres cadres techniques et administratifs. Mais il y a un volet dans la mobilisation des ressources qui crée de véritables problèmes aujourd’hui à toutes les communes. Je ne dis pas forcément que les lotissements constituent la seule source de mobilisation ; mais les transactions foncières aujourd’hui tendent à baisser. Heureusement que les lotissements viennent d’être relancés. Les attentes au niveau des lotissements, entre-temps suspendus, ont créé beaucoup de manque à gagner aux communes. Mieux, la communauté n’a pas été préparée à la réforme. Ce qui a fait le lit de la désinformation sur la réforme. Et puis, aucune réforme ne peut être acceptée avec sourire pour tout le monde ! Mais si cette réforme échoue, on aurait échoué avec la décentralisation et ce serait un coup dur pour le développement à la base. Cette réforme est venue corriger l’ancien système déploré par tous, car la politique prenait le pas sur la gestion technique de l’administration locale. Des nominations arbitraires et fantaisistes étaient monnaie courante dans les mairies. On pouvait voir des cadres administratifs gradés en froid avec le maire, limogés et remplacés par des moins diplômés qui deviennent des agents de renseignements de l’autorité communale. C’est ce qu’on a fait pendant longtemps. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la réforme. Le Se est un technicien qui est là pour le développement et non la politique. Il a donc une obligation de résultats et de compte rendu.
Vous semblez avoir une position mitigée sur le bilan de la première année de la réforme…
Je n’ai pas une position mitigée mais j’estime plutôt qu’il y a encore des choses à corriger dans cette réforme. Il y a quelques ratés. On aurait pu identifier en amont le besoin en termes de nombre de cadres nécessaires pour chaque administration locale. Il n’y a pas eu suffisamment de candidatures par exemple au niveau du responsable chargé des Affaires domaniales et celui chargé des systèmes d’information. Ce qui a obligé à coupler des communes pour un seul cadre technique. Ce qui n’est pas bon pour la réforme. Il y a des choses qui peuvent être mieux pensées. C’est progressivement que les choses seront corrigées. Cette réforme est une bonne chose mais elle nécessite quelques réajustements. S’agissant des relations entre les maires et les Se, la loi 2021-14 portant Code de l’administration territoriale a fixé chacun dans ses prérogatives. Le problème de conflit d’attributions est réglé si les autorités communales lisent la loi. Mais la répétition est pédagogique. Dans ce cas, on pourrait utiliser de l’andragogie ; organiser notamment un séminaire entre les maires et les Se, par département, pour quelques jours ; pour que les deux autorités soient aguerries par des experts avertis et des gens qui maitrisent la loi sur la réforme, pour leur expliquer l’esprit des textes. Car, l’interprétation des textes variant d’un acteur à un autre, peut fausser la compréhension. Il faut avouer aussi qu’il y a des Se qui ne se sont pas préparés pour le job. Il y a d’autres qui sont certainement plus aptes pour mieux faire la mission, mais qui n’ont pas été tirés au sort.
Que dire du rôle du préfet, l’autorité de tutelle, dans ce nouveau mécanisme ?
Le préfet doit accompagner les Se et les maires de son territoire de compétence par des suivis de proximité. Mais là encore, il faut que l’on s’assure de ce que le préfet et ses chargés de mission sont, eux-mêmes, bien outillés sur les plans administratif, juridique et politique pour réussir cet accompagnement attendu par la réforme. Car, bien aguerrie, l’autorité préfectorale pourra expliquer aux maires et Se de son ressort, ce qui se faisait avant et ce qui doit être fait maintenant avec la réforme. Le préfet et ses cadres doivent revenir sur les innovations de la réforme de façon périodique. La Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes fait du bon boulot sur le terrain. D’ailleurs, elle est composée de personnes bien expérimentées. Mais ces personnes sont en nombre limité pour couvrir en temps réel les 77 communes du Bénin. Certes, ce n’est pas du jour au lendemain que tout sera réglé. Au fur et à mesure, des cas d’école vont apparaitre dans ce processus. Il y aura des difficultés après l’exécution du premier budget. On le ressent déjà dans la gestion de l’administration, des marchés publics… D’autres velléités vont jaillir après l’élaboration du deuxième budget communal et l’élaboration des plans stratégiques communaux. Il y aura d’autres situations en matière de mobilisation des ressources après la relance des lotissements. Des difficultés surviendront au fur et à mesure que la réforme va se poursuivre. Il faut trouver des mécanismes au niveau local pour les régler notamment au niveau du comité de supervision des municipalités. Si le tandem maire/Se n’est pas brisé et que personne ne connait véritablement ses limites, il y aura toujours des problèmes. Le développement d’un pays passe par le développement des communes qui œuvrent sur les plans social, économique, environnemental, avec une gouvernance participative et transversale. Tous les acteurs doivent donc se donner la main.