La Nation Bénin...
Dans les marchés des espaces frontaliers partagés entre
le Bénin et le Nigeria, l’humeur des commerçants et vendeurs est tributaire de
la situation du naira, la monnaie nigériane. L’incertitude due aux fluctuations
du cours de cette monnaie impacte le secteur informel ainsi que toute
l’économie béninoise.
Depuis plus de vingt-cinq ans, dame Alimath tient son
commerce de sacs de riz, de boissons et autres produits alimentaires à la
frontière bénino-nigériane d’Illara. Ces deux décennies et demie n’ont presque
rien changé à son quotidien fait de stress et de peur. La raison, la monnaie
nigériane, le naira, un des facteurs déterminants de son business. « Elle est
tellement aléatoire que tu peux te ruiner en un laps de temps», confie la
commerçante de 54 ans. «Tu peux te réveiller riche le matin et t’endormir
appauvri le soir », ironise-t-elle. « Du fait des chutes brutales du cours du
naira, tu peux par exemple en une journée perdre des millions de francs et ces
pertes ne se compensent jamais », soutient-elle. Comme chez bien d’autres
acteurs du commerce informel au Bénin, son activité tourne au rythme des
fluctuations du naira. Les vendeurs de produits alimentaires, de boissons, de
l’essence de contrebande sont les plus touchés par ces pertes qui s’enchainent
au gré des fluctuations de cette monnaie. Saïd Bello, vendeur d’essence de
contrebande à la frontière bénino-nigérianne de Sèmè-Kraké raconte comment il a
fini par abandonner cette activité. « En quatre mois, j’ai été complètement
ruiné », raconte-t-il.
« Mon malheur est parti de l’arraisonnement d’une partie
de ma commande au Nigeria. 250 bidons jaunes (des bidons de 25 litres
reconditionnés pour prendre jusqu’à 33 litres) chargés mais qui ne sont jamais
arrivés à destination. Malgré cette situation, je pouvais encore tenir. Pour
amoindrir les risques, j’ai passé, la semaine suivante, une très forte
commande. J’ai fait un gros prêt pensant compenser les bidons saisis, mais le
naira a brutalement chuté. Personne ne s’y attendait. J'avais connu plus de
huit millions de perte sur cette seule commande », poursuit-il. Cette
fluctuation de la monnaie a faussé tous les calculs du commerçant qui,
progressivement, a abandonné le commerce de l’essence frelatée. « J’ai
quasiment mis une croix sur toute activité avec le Nigeria. Je me suis ruiné »,
enchaine-t-il.
A quand une recette magique ?
Si Saïd n’a pas pu tenir le coup, tel n'est pas le cas de
Moktar Adéchina. Cambiste à Owodé depuis de nombreuses années, il livre des
astuces pour contourner les aléas du naira et amoindrir les risques. Chaque
matin, ce cambiste, qui tient sa caisse sur cet espace frontalier avec des
succursales sur les autres frontières à l’intérieur du pays, prend
l’information auprès des banques et des médias nigérians. Mieux, il suit de près l’activité économique du Nigeria. «
Parfois, certaines informations te mettent la puce à l’oreille que la monnaie
pourrait chuter », explique-t-il. Mais plus généralement, c’est la prise
d’information matinale qui lui permet de connaître le taux de change et de
définir à son tour le taux applicable et quelle somme convertir auprès de ses
partenaires. En général, les gens ne prennent aucune information et attendent
de subir les revers de la monnaie, déplore-t-il. Aussi, reconnait-il que la
plupart des cambistes ne sont pas instruits et sont plus connectés aux rumeurs
de la rue qui ne sont pas toujours fiables. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a
pas de pertes ou que je n’en connais pas », nuance-t-il. « Quand on a
l’information à temps, on subit moins de casse », souligne-t-il. Selon lui, il
n’existe aucun mécanisme pour échapper aux pertes qu’induisent les chutes du
naira. « Cela a parfois un côté bénéfique… Vous achetez un produit à un certain
coût et vous le revendez parfois même au double du prix d’achat. Cela dépend de
la situation qui se présente », note-t-il. « Il en va de même pour la monnaie.
Vous la prenez à un taux et il peut vous arriver de vous en sortir à bon compte
».
Le choc baissier sur la valeur du naira favorise les
importations du Bénin en provenance du Nigeria au détriment de la production
nationale et des autres importations. Le sort des commerçants dépend parfois
des décisions des autorités nigérianes relatives aux frontières entre les deux
pays. La dernière fermeture des
frontières en date est celle effectuée de façon unilatérale par le Nigeria, en
août 2019, officiellement pour des raisons sécuritaires. Elle aura duré seize
mois. Elle a occasionné une perturbation des flux et une réduction des marges
commerciales et des recettes de l’État béninois. De ce fait, le taux de
croissance de l’économie s’est établi à 6,9 % en 2019 contre une prévision
initiale de 7,6 %, selon le ministère de l’Economie et des Finances.
L’économie nigériane a connu une croissance de 3,6 % en
2021 après une contraction de 1,8 % en 2020. Au nombre des risques budgétaires
au niveau macroéconomique du côté du Bénin, figurent ceux liés aux politiques
commerciales et de change du Nigeria, partenaire commercial privilégié qui
absorbe environ 75 % des exportations totales du pays, d’après la Banque
centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao).
De même, plus de 25 % des importations du Bénin
proviennent du Nigeria. Le commerce informel entre les deux pays représenterait
20 % du Produit intérieur brut (Pib), selon la Banque mondiale.
Forte résilience
Le Bénin se démarque de plus en plus des aléas externes et des chocs exogènes à même de perturber son architecture économique. La dynamique en cours ces dernières années prévoit des actions susceptibles de renforcer la résilience de l’économie et de l’affranchir des « caprices » de la monnaie nigériane. Le Bénin reste d’ailleurs aligné sur le contexte international et ne manque pas de se montrer de plus en plus résilient. Au 30 juin 2023, les recettes budgétaires et les ressources de financement mobilisées s’établissent à 1 856, 571 milliards F Cfa sur une prévision annuelle de 3 033,337 milliards F Cfa au Bénin, d’après le Rapport d’exécution (Rapex) au 30 juin de la loi de finances 2023 (Dgb, septembre 2023). Il en ressort un taux de réalisation de 61,2 %. Les ressources s’inscrivent en hausse de 377,819 milliards F Cfa correspondant à un accroissement de 25,5 % par rapport aux réalisations à la même période en 2022 (1 418,752 milliards F Cfa mobilisés à fin juin 2022), note le rapport.
« Sur la période 2023-2026, la conduite de la politique
économique reposera sur le Programme d’action du gouvernement 2021-2026 dont la
mise en œuvre accordera une attention particulière aux progrès en ce qui
concerne les cibles des Objectifs de développement durable (Odd) pertinentes
pour le Bénin», relève le Document de programmation budgétaire et économique
pluriannuelle 2024-2026. Pour tenir cet engagement, de nombreuses actions sont
envisagées à court, moyen et long termes.
En matière de finances publiques, l’État entend
poursuivre la politique d’intensification des investissements, tout en visant
le retour progressif du déficit budgétaire à la norme communautaire de l’Uemoa.
Par ailleurs, une attention particulière sera accordée au volet social en respect des engagements du gouvernement sur la période 2021-2026. «L’ensemble de ces actions serait coordonné à travers une stratégie d’endettement à moyen terme 2023-2026 qui maintient la viabilité de la dette tout en favorisant la soutenabilité des finances publiques », indique le document sus évoqué.
L’incertitude due aux fluctuations du cours de cette monnaie impacte le secteur informel ainsi que toute l’économie béninoise