La Nation Bénin...

A Dar es Salaam, capitale économique de la Tanzanie, un projet de bus rapides révolutionne le transport urbain. Sur un corridor spécial de 20 km, 140 bus permettent chaque jour à plus de 200.000 passagers des quartiers populeux de sortir des ennuis de l’embouteillage.
La soixantaine de Journalistes africains en partance pour la banlieue de Dar es Salaam n’a qu’un seul mot : sidération. En moins de 20 minutes, le bus qu’il les transporte avale la dizaine de kilomètres qui sépare le Terminal de Morocco de la station de Kimara. « Ces nouveaux bus ravissent la vedette aux autres modes des transports. C’est rapide et ils font oublier l’embouteillage à Dar», témoigne Alex Malanga, reporter à The Citizen, un journal basé à Dar es Salaam.
Si la mobilité dans la capitale économique tanzanienne se dispute entre Daladala (bus privés), Dodaboda (taxi-motos), Bajaji (tricycles), les taxis et les véhicules privés, les bus rapides de la compagnie UDART révolutionnent depuis un an le transport en commun dans cette ville de plus de 5 millions d’habitants. Sur le Terminal de Morocco, plusieurs passagers prennent d’assaut les guichets de vente de tickets-bus. Ils pointent le sésame dans les portiques d’entrée au quai avant de patienter quelques minutes pour l’arrivée des bus qui les embarquent selon leur destination. D’autres qui disposent de carte à prépaiement se dirigent directement vers les portiques dès leur arrivée sur le Terminal. Un dispositif quasiment identique à une gare de train ou de métro ! « J’ai adopté les bus rapides parce qu’ils me font gagner du temps, le quai est sécurisé et le transport n’est pas cher », confie Steven, un jeune étudiant tanzanien. Quotidiennement, plus de 140 bus de grand gabarit pleins à craquer circulent sur les 21 kilomètres de corridors exclusifs qui relient plusieurs quartiers populeux au centre-ville de Dar es Salaam.
Derrière cette initiative se cache le projet ‘’ Bus Rapid Transit’’ (BRT) initié par le gouvernement tanzanien et financé à hauteur de 291 millions dollars, soit environ 174 milliards de francs CFA par la Banque mondiale. L’Etat tanzanien y a contribué pour 12 milliards de shilling, soit environ 4,5 milliards F CFA. « L’idée a germé en 2002 d’un groupe de personnes qui ont réfléchi à comment régler le problème de mobilité dans la ville de Dar es Salaam. Le transport public est un pilier de l’économie. Mais le souci du projet n’est pas forcément les visées économiques, c’est d’apporter une réponse aux problèmes des communautés qui ont des difficultés pour aller au travail, vaquer à leurs occupations quotidiennes », explique Hazina Mfinanga, directrice des Ressources humaines à Dar Rapid Transit Agency (DART). Steven Shalita, directeur de la communication de la Banque mondiale pour l’Afrique a suivi de bout en bout sa mise en œuvre : « L’embouteillage crée environ 800 000 dollars (4,6 milliards F CFA) de pertes de recettes annuelles dans la ville de Dar es Salaam. Il y a beaucoup d’histoires à raconter sur ce projet dont la concrétisation démontre qu’il est possible d’agir pour régler le problème de transport dans les capitales africaines ».
Ce financement qui touche uniquement la première phase du projet a permis la construction d’un corridor exclusif de 21 kilomètres, 5 terminaux, 27 stations et 3 passerelles à travers la ville. Les bus rapides sont mis en circulation depuis le 10 mai 2016. « Nous avons en tout 130 kilomètres de corridors, 18 terminaux et 228 stations à réaliser dans toute la ville de Dar es Salaam. Nous avons fini la première phase de 21 kilomètres depuis un an, nous venons d’entamer la deuxième phase qui concerne un corridor de 19,3 kilomètres », affirme Ery Fannel Kalugenlo, responsable de la planification à DART pour qui le projet a permis un gain de mobilité de 90 minutes dans la capitale économique de la Tanzanie.
Un partenariat public-privé bien huilé
Si les infrastructures ont été du ressort de l’Etat, la mise en exploitation a été placée sous le partenariat public-privé. La gestion du système est assurée par l’UDART, une compagnie privée dont les propriétaires de bus privés détiennent une part du capital. « Ce qui fait justement l’originalité du projet à Dar, c’est que nous avons impliqué les propriétaires de bus privés qui se sont regroupés pour prendre des actions dans la société. Cette approche intégrée fait aujourd’hui qu’ils ne perçoivent pas le BRT comme un concurrent », vante Mohamed Kuganda, Chef des opérations à UDART. Il confie que pour susciter l’adhésion des habitants et leur permettre de maîtriser le fonctionnement et les circuits, la compagnie a d’abord organisé 15 jours de transport gratuit. En un an, le BRT est en passe d’être le premier choix de transport à Dar. Le nombre de passagers par jour est passé de 40.000 au début à 200 000, avec un chiffre d’affaires journalier 110 millions de shilling, soit environ 40 millions de francs CFA.
« L’idée de transport rapide n’est pas une exception tanzanienne mais ce projet sort de l’ordinaire parce qu’il a su exploiter les forces de chaque partie prenante pour instaurer une gouvernance qui garantit sa durabilité », commente Eric Chinje, ancien cadre de la Banque mondiale, président directeur général de African Media Initiative (AMI). Il explique que l’Etat n’ayant pas l’expérience dans la gestion des bus, il a décidé dans l’approche de partenariat public-privé de réunir, à côté de l’opérateur technique, les transporteurs pour qu’ils aient le poids pour prêter de l’argent auprès des banques pour acheter les bus. « Non seulement ils ont anticipé sur l’opposition des transporteurs locaux mais ils ont trouvé le système de les associer au projet. Aujourd’hui tous les bus du système BRT appartiennent aux transporteurs », se réjouit-il. Les imprimeurs constituent un autre maillon de la chaîne. Ils assurent l’émission des tickets. Les recettes sont collectées par une institution de microfinance qui a vocation de financer des microprojets dans les quartiers que desservent les bus. « On voit que la chaine est bien réfléchie. Je trouve que chaque pays africain doit s’inspirer de ce projet dont on voit à l’intérieur la bonne gouvernance, la création d’emplois, le transfert des technologies », suggère Eric Chinje.
Au Bénin, aucun investissement public n’est réalisé dans le transport urbain. Les tentatives parcellaires de mise en place des lignes de transports en commun se sont toujours soldées par un fiasco. La dernière en date est celle d’une société privée BenAfrique, lancée il y a quatre ans et dont les bus se font rares dans les embouteillages de Cotonou. L’expérience du BRT de Dar es Salaam peut faire florès.