La Nation Bénin...
L’organisme des Nations Unies chargé du
Commerce et du Développement (Cnuced) a récemment publié une étude liée aux
attaques croissantes contre les navires en mer Rouge, les perturbations dans la
mer Noire, causées par la guerre en Ukraine, et les sécheresses impactant le
Canal de Panama. Jan Hoffmann, Chef du service de la logistique commerciale à
la Cnuced, a répondu à nos questions pour nous permettre de mieux comprendre la
situation du commerce maritime dans le monde.
L’étude de la Cnuced, intitulée « Naviguer en
eaux troubles: l'impact sur le commerce mondial de la perturbation des routes
maritimes de la mer Rouge, de la mer Noire et du Canal de Panama », met en
lumière les conséquences des différentes perturbations qui touchent le commerce
maritime mondial, en particulier, l’augmentation des attaques menées par les
Houthis depuis novembre 2023.
Quelles précisions pouvez-vous nous
fournir ?
Cette conjonction de crises a entraîné une
baisse significative du nombre de navires transitant par ces voies maritimes.
En 2023, environ 22 % du commerce mondial de conteneurs passait par le Canal de
Suez, passage le plus court pour lier l'Europe à l'Asie. Aujourd’hui, plus de
20 % des navires n’empruntent plus le Canal.
Cette situation vous inquiète-t-elle
particulièrement ?
La crise en mer Rouge a le potentiel de
perturber les chaînes d'approvisionnement des industries telles que la
construction, l'automobile, les produits chimiques et les machines, qui
dépendent des importations intermédiaires en provenance de la région Asie-Pacifique.
L'approvisionnement énergétique, la sécurité alimentaire et la durabilité
environnementale peuvent être affectés. On constate déjà des hausses des prix
de l'énergie et des denrées alimentaires, ce qui augmente les risques
d'inflation.
Depuis novembre 2023, quelle est la hausse
des taux de fret spot moyens pour les conteneurs ?
La plus forte augmentation hebdomadaire jamais
enregistrée, soit 500 dollars Us, l’a été au cours de la dernière semaine de
décembre 2023. Cette tendance s'est poursuivie depuis lors. Les taux spot
moyens de transport de conteneurs au départ de Shanghai ont plus que doublé
depuis le début du mois de décembre (+122 %). Ils ont été multipliés par trois
vers l'Europe (+256 %) et sont même supérieurs à la moyenne (+162 %) vers la
côte ouest des États-Unis, bien que les navires ne passent pas par Suez.
Selon les experts, la sécheresse extrême, dans
la région du Canal de Panama, exacerbée par le phénomène El Niño semble
susceptible de se prolonger jusqu'en mai.
Est-ce que cela vous inquiète aussi ?
La situation nous préoccupe plus que celle du
Canal de Suez. Le Canal de Panama enregistrait normalement plus de 13.000
transits par an et représente près de 5 % du commerce mondial. Depuis deux ans,
à cause de la sécheresse, les niveaux d'eau sont bas. Raison pour laquelle
l'Autorité de gestion a décidé de réduire le nombre de navires pouvant
transiter par ce passage (près de 40 % comparé à janvier 2023).
Quels sont les pays dont le commerce est
particulièrement affecté par la réduction de ces transits ?
Les États-Unis sont le plus grand client du
Canal. En 2021, ils représentaient 72 % du volume de marchandises. Le deuxième
utilisateur le plus important est la Chine avec 22,5 % des volumes de
marchandises. Cela représente, en tonnes, 3 % des exportations et 1,5 % des
importations, ainsi qu'un total de 1,7 % de l’ensemble du commerce extérieur
chinois.
La crise en mer Rouge aurait entraîné une
chute de 40 % des revenus du Canal de Suez. Pouvez-vous nous donner des détails
sur la manière dont est touchée l’Egypte ?
Le Canal de Suez constitue une importante
source de revenus en devises étrangères pour l'Égypte. Il contribuait à hauteur
de 9,4 milliards de dollars lors de l'exercice fiscal précédent, soit
l'équivalent de 2,3 % du Pib en 2023.
Est-ce que cette détérioration pourrait
avoir des effets néfastes sur d’autres pays africains ?
Le commerce extérieur de plusieurs pays
d'Afrique de l'Est dépend fortement du Canal de Suez. Environ 31 % du commerce
extérieur en volume pour Djibouti transite par le Canal de Suez (6 % des
exportations et 31 % des importations du pays). Les parts équivalentes pour le
Kenya et la République-Unie de Tanzanie sont respectivement d'environ 15 % (12
% des exportations et plus de 15 % des importations) et de 10 % (8 % des
exportations et 11 % des importations). Parmi les pays d'Afrique de l'Est, le
commerce extérieur du Soudan dépend le plus du Canal car environ 34 % du volume
commercial passe par le canal (28 % des exportations et près de 36 % des
importations).
Comme les routes empruntées par les navires
sont plus longues, on imagine que la consommation de carburant est plus
importante…
Le détournement des navires par des routes plus
longues, entraîne aussi une augmentation des vitesses de navigation. Le
contournement du Canal de Suez par le Cap de Bonne-Espérance, par exemple,
implique une augmentation de plus de 70 %, par trajet, des émissions de gaz à
effet de serre pour un trajet aller-retour de Singapour à l'Europe du Nord.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Il est important de maintenir la surveillance
de l’évolution des conséquences de la combinaison de ces trois crises (mer
Noire, Canal de Panama et de Suez) qui modifie de manière exceptionnelle la
géographie du transport maritime et du commerce.