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Dr Eric Adja, président de l’Agence francophone de l’Ia: « L’Ia représente un enjeu scientifique, économique et culturel »

Numérique
Eric Adja,  président de l’Agence francophone de l’Ia Eric Adja, président de l’Agence francophone de l’Ia

A l’initiative du président Emmanuel Macron, la France accueille, depuis le 6 février dernier, le Sommet pour l'action sur l'Intelligence artificielle au Grand Palais de Paris. Dans cette interview, Eric Adja, président de l’Agence francophone de l’Ia (Afria) évoque les enjeux de cette rencontre qui vise à renforcer l’action internationale en faveur d’une intelligence artificielle au service de l’intérêt général.

Par   Christian HOUNONGBE, le 11 févr. 2025 à 09h01 Durée 3 min.
#Intelligence artificielle #France #Interview

La Nation : Vous représentez, depuis le 6 février, le Bénin à Paris à la semaine de l’action sur l’Intelligence artificielle. Quels sont, selon vous, les enjeux de ce sommet ?

Eric Adja : L’Ia représente plus qu’une révolution industrielle et technologique. Elle laisse entrevoir de profonds changements dans nos sociétés, dans nos rapports au savoir, au travail, à l’information, à la culture et même au langage. Cette révolution technologique ne connaît pas de frontières. En ce sens, l’Ia représente un enjeu scientifique, économique, culturel, politique et citoyen qui nécessite un dialogue étroit entre les Etats, les chercheurs, les entreprises, les créateurs et la société civile. L’enjeu est, dès alors, d’élaborer un cadre de confiance partagé pour ne tirer que les opportunités des nouvelles technologies, et ainsi permettre à l’Ia de réaliser sa promesse initiale de progrès et d’émancipation. C’est dans ce contexte que la France et l’Europe accueillent le Sommet, en écho à une vision engagée en faveur d’un progrès ouvert et inclusif de l’IA, mais aussi d’une approche souveraine et d’indépendance stratégique face à une technologie absolument critique pour nos sociétés et nos économies. La stratégie française relative à l’Ia s’intègre ainsi pleinement dans le cadre du soutien au développement de l’Ia au niveau européen. En effet, l’Europe porte une approche créative et responsable en matière de numérique, combinant innovation et régulation au bénéfice de ses citoyens. Cette vision me paraît proche de celle de l’Afrique et pourrait favoriser une alliance euro-africaine de l’intelligence artificielle.

Quelles sont les questions au cœur de ces assises ?

A la suite des deux précédents Sommets organisés par le Royaume-Uni et la Corée du Sud, la France a souhaité accueillir à Paris, le Sommet pour l’Action sur l’Ia. L’Inde copréside ce Sommet pour l’Action sur l’intelligence artificielle. Cette rencontre internationale rassemble une centaine de pays et un millier d’acteurs du secteur privé et de la société civile venus de tous les continents. Les questions qui se posent pour tous – citoyens et usagers du monde entier, start-up comme grands groupes, chercheurs et décideurs, artistes et médias-restent simples : Comment développer massivement les technologies et les usages de l’Ia dans l’ensemble des pays du monde, notamment en Afrique ? Comment réussir le virage de l’Ia en ne laissant personne de côté et en préservant nos libertés ? Comment faire en sorte que les usages de l’Ia correspondent à nos valeurs humanistes et que cette technologie puisse être mise au service du collectif et de l’intérêt général ?

Qu’en est-il de l’Afrique et du Bénin à ce Sommet ?

Avec une stratégie continentale de l’Ia adoptée par le Conseil exécutif de l'Union africaine lors de sa 45e session ordinaire (18-19 juillet 2024 à Accra), l’Afrique est pleinement concernée par ces enjeux et se prépare à prendre une part active dans les débats du Sommet de Paris. Le continent connaît en effet une adoption croissante de l’Ia dans des secteurs clés comme la santé, l’agriculture, la finance et l’éducation. Cependant, plusieurs défis subsistent, notamment l’accès aux infrastructures numériques, la formation des talents et l’adaptation des réglementations aux innovations technologiques. Le Sommet pour l’Action sur l’Ia représente une opportunité pour l’Afrique d’affirmer sa vision et de défendre ses priorités en matière d’intelligence artificielle. Ainsi, un Village Ia Afrique, prévu les 10 et 11 février 2025, à l’initiative de plusieurs partenaires dont Smart Africa, mettra en lumière la présence et les contributions des voix africaines de l’Ia au Sommet de Paris. Face aux défis posés par l’Ia, plusieurs pays africains se distinguent par leur proactivité dans le domaine. Le Bénin est l’un des premiers pays à s’être dotés d’une stratégie nationale d’Ia et des mégadonnées (janvier 2023). Des acteurs publics et privés tels que Sèmè City, l’Afria, la Holding Bourjon Investment, Isheero, la Fondation Vallet, l’Institut de formation et de recherche en informatique (Ifri) de l’Université d’Abomey-Calavi, Epitech, etc. contribuent, selon leurs capacités et priorités et en lien avec le ministère en charge du Numérique, à animer un écosystème dynamique et innovant, en attendant la mobilisation effective des ressources nécessaires à la pleine mise en œuvre de la stratégie. Le Rwanda investit énormément dans la formation des talents et l’incubation de start-up spécialisées dans l’Ia. Le Nigeria voit émerger un écosystème technologique florissant, avec des entreprises innovantes exploitant l’Ia pour répondre aux besoins locaux. Le Sénégal, quant à lui, a mis en place des initiatives pour favoriser la recherche et l’innovation en IA, soutenues par des incubateurs et des programmes de financement ciblés pour les jeunes entreprises technologiques. Ces avancées témoignent de la capacité du continent à s’approprier les nouvelles technologies et à les adapter à ses réalités socio-économiques.

En définitive, l’Afrique ne doit pas se contenter d’adopter l’Ia ; elle est appelée à façonner celle-ci selon ses besoins et priorités, afin de ne pas rester simple consommatrice de technologies, mais devenir un acteur influent de la révolution numérique mondiale. De la lutte contre la désertification grâce à l’Ia au développement d’assistants virtuels en langues locales, les innovations africaines témoignent d’une créativité et d’un pragmatisme remarquables. Le Sommet de Paris sera donc l’occasion de mettre en lumière ces avancées de l’Ia en Afrique, afin de favoriser des collaborations internationales pour une Intelligence artificielle a véritablement inclusive et bénéfique pour tous.