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Gildas Guiella, responsable de WakatLab au Burkina Faso: « La collaboration avec les chercheurs est difficile, car ils sont fermés »

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Gildas Guiella Gildas Guiella

Des laboratoires de fabrication (FabLabs) sortent de multiples prototypes d’outils, de matériels, d’équipements, de machines innovants développés pour répondre à des problèmes sociétaux. De vrais catalyseurs du développement en Afrique. Responsable de WakatLab, un FabLab basé au Burkina Faso, Gildas Guiella, rencontré à MakeAfrica 2023 à Lomé, revient sur le rôle et les domaines d’intervention des laboratoires de fabrication et la difficulté de collaboration avec les laboratoires de recherche scientifique des instituts et universités en Afrique. 

Par   Ariel GBAGUIDI, le 14 déc. 2023 à 01h35 Durée 6 min.
#Gildas Guiella #responsable de WakatLab au Burkina Faso

La Nation : Vous êtes un acteur majeur des FabLabs en Afrique notamment dans la zone francophone. Que peut-on comprendre par FabLab ?

Gildas Guiella : Un FabLab est un lieu partagé qui dispose des outils technologiques, notamment les machines de fabrication numériques. C’est un lieu ouvert qui sert de tremplin pour les jeunes afin qu’ils puissent venir prototyper, fabriquer, apprendre à utiliser des machines pour développer des solutions. Ils peuvent aussi apprendre l’usage des machines à commandes numériques pour développer leurs capacités intellectuelles et monter en compétences.

Quels sont les champs d’intervention des FabLabs et leur utilité pour les communautés ?

Les champs d’intervention des FabLabs sont immenses parce que la technologie aujourd’hui est transversale. Cela veut dire qu’avec la technologie on peut s’attaquer aux divers secteurs du développement durable; de l’alphabétisation à l’agriculture en passant par la santé, etc. Dans nos pays en Afrique, on se focalise sur des aspects qui sont assez importants. On a déjà cette éducation numérique qui est assez importante. Pour nous, avant que des gens ne travaillent sur des aspects assez spécifiques comme l’agriculture, l’environnement et autres, il faut d’abord cette culture du numérique. Donc, il faut aussi bien apprendre à s’en servir parce que le numérique, comme on le dit, c’est un couteau à double tranchant. Mal l’utiliser peut devenir une arme. Il faut apprendre à l’utiliser et savoir pourquoi on l’utilise. Après ça, il y a la finalité de son utilisation. Donc dans les FabLabs, on a cette partie d’éducation numérique, de l’apprentissage sur la fabrication numérique.

On permet également aux apprenants de voir un peu les capacités des outils et des machines à fabriquer des choses qui sont virtuelles en objets physiques et cela les amène à développer leur esprit critique. Donc, ils comprennent qu’on peut utiliser ces outils et machines pour fabriquer des choses utiles dans les domaines comme l’agriculture. Dans ce secteur, on a beaucoup de FabLabs qui travaillent sur des systèmes d’automatisation agricole, qui peuvent aller de l’irrigation aux tests environnementaux, du sol, etc. On a beaucoup de FabLabs qui travaillent sur la fabrication de matériels pédagogiques pour faciliter l’accès à ces outils dans les écoles et universités. On a beaucoup de FabLabs qui travaillent dans le domaine de la santé. Pendant la pandémie de Covid-19, les FabLabs ont montré leur importance, leur utilité aux yeux du monde parce qu’ils ont travaillé sur des solutions assez concrètes à l’instar des visières et des respirateurs pour aider la communauté, les personnels soignants à avoir des outils d’urgence pour répondre aux besoins des malades.

Pour moi, le FabLab s’inscrit vraiment dans cette logique qui est que à chaque fois qu'on on est confronté à un problème dans la communauté, on a cette capacité de réfléchir, de cocréer ensemble pour pouvoir proposer des micro solutions qui ne sont pas forcément des solutions industrielles ou durables, mais qui permettent de répondre en temps réel à des problématiques qui existent.

Partagez avec nous quelques solutions qui font déjà votre fierté

Au Burkina Faso, on a développé un FabLab à proximité d’un site d’orpaillage en partenariat avec ‘‘Terre des hommes’’. L’objectif est de réduire la présence des mineurs sur les sites d’orpaillage. La solution proposée aux orpailleurs de la localité est une machine qui permet de nettoyer l’or sans utiliser de produits chimiques. Nous avons travaillé sur un prototype qui ne pouvait pas servir à grande échelle. Ce fut un succès malgré qu’il ne pouvait être utilisé que par un orpailleur. Nous l’avons réalisé en nous appuyant sur l’expertise des orpailleurs, c’est-à-dire qu’ils ont participé à la conception de la machine. Le but visé, c’est de leur permettre eux-mêmes de construire les suivants. Donc, on leur fait un transfert de compétences.

Un autre projet qui constitue une fierté, c’est une machine appelée Hydro Plus Motor sur laquelle on a travaillé avec un jeune, et qui produit de l’hydrogène. Cette machine permet de décalaminer les moteurs. C’est pour éviter d’ouvrir le moteur, donc en l’utilisant elle envoie de l’hydrogène dans le système d’admission d’air, ce qui permet de nettoyer l’intérieur des moteurs et ça réduit, entre autres, la consommation des véhicules, le taux de pollution des voitures.

Je reviens sur le modèle de respirateur dont j’ai parlé précédemment. C’était un premier modèle, vu l’urgence qu’il y avait en termes de besoins dans la période de Covid-19. On a juste travaillé sur des modèles qui existent déjà sur internet, car il y a beaucoup de FabLabs qui ont déjà travaillé sur ça et ils ont publié des plans que nous avons adapté pour fabriquer un nouveau modèle. Nous avons après travaillé sur un deuxième modèle qui était semi-industriel, en collaboration avec une université et des spécialistes de la santé respiratoire. Ce sont des exemples de solutions concrètes réalisées qui sont une réussite et qui illustrent encore l’utilité des FabLabs.

Quand on vous écoute, on comprend que les acteurs des FabLabs allient imagination et technologies pour booster tous les domaines de la vie. Mais on se pose la question de savoir qui peut intégrer un FabLab et avec quels niveau et domaine d’études ?

Qui peut intégrer un FabLab ? Ce sont tous types de personnes qui sont motivées ou pas, car on a vu des gens qui à force de côtoyer des personnes motivées, ont fini par se redécouvrir et avoir de la motivation. Donc les personnes instruites ou pas, les jeunes, les adultes, etc. peuvent intégrer un FabLab.

Mais pour la gérance d’un laboratoire, on a besoin de compétences spécifiques en termes de gestion technique du lieu parce que ce sont des outils techniques que nous utilisons. Donc, le FabLab manager doit avoir des compétences techniques, savoir utiliser toutes les machines de fabrication numériques, de l’imprimante 3D à la découpe laser en passant par la Cnc, les brodeuses numériques, etc. y compris les outils et logiciels de modélisation et consorts. Il doit avoir des compétences techniques dans le domaine de l’électronique parce qu’on travaille beaucoup avec des pièces électroniques, la programmation et autres. Au-delà, il doit avoir une valeur humaine, avoir de la patience, l’écoute, la pédagogie, accepter les différences d’opinions, savoir orienter ou réorienter les apprenants.

Quelles sont vos relations avec les chercheurs ou laboratoires de recherche des universités ?

On essaie de travailler avec eux, malheureusement ce sont des gens qui sont fermés dans le sens où quand ils font de la recherche, ils utilisent des approches qui sont déjà carrées, donc ils ne sortent pas de leur zone de confort. Alors que les FabLabs ne fonctionnent pas comme ça. Nous autres nous sortons de notre zone de confort en allant expérimenter des choses. Nous on a la capacité de se dire qu’on peut tout faire mais eux ils vont se tabler sur seulement ce qu’ils peuvent faire.

La meilleure chose à faire n’est pas de créer seulement des laboratoires au sein des instituts/universités de recherche qui sont toujours dans un format carré, mais de susciter des partenariats avec les FabLabs et les chercheurs afin que ces derniers viennent dans les espaces de fabrication pour travailler avec les jeunes qui ne savent pas ce que c’est que la recherche classique, qui cassent les codes, qui sont là à partir de leur simple imagination à faire des choses innovantes.

Nous nous avons travaillé avec quelques chercheurs. C’était très difficile parce que ce sont des gens qui doivent avoir la formule avant d’agir contrairement à nous autres qui faisons et dans l’action on apprend à faire sortir la formule par la suite. Donc, c’est deux mondes qui ont la même finalité mais des approches différentes. Certains chercheurs innovants comprennent que la dynamique des FabLabs peut être importante pour eux mais il y a d’autres qui ne comprennent pas du tout. Et c’est dommage parce qu’il y a vraiment une complémentarité entre nous. Ce qui est encore plus grave, c’est qu’il y a beaucoup de résultats de recherche qui sont rangés dans les tiroirs alors que nous, dans nos espaces, on a sûrement besoin de certaines choses pour pouvoir avancer plus.

En tout cas, au Burkina, il n’y a pas une étroite collaboration entre les FabLabs et les laboratoires de recherche des universités. Peu d’entre eux quittent leur zone de confort et acceptent ce que nous faisons. Ils sont des experts mais à la limite quand tu n’acceptes pas aussi la démarche de l’autre, tu ne pourras pas l’amener à adopter la meilleure démarche.