La Nation Bénin...
Des laboratoires de fabrication (FabLabs)
sortent de multiples prototypes d’outils, de matériels, d’équipements, de
machines innovants développés pour répondre à des problèmes sociétaux. De vrais
catalyseurs du développement en Afrique. Responsable de WakatLab, un FabLab
basé au Burkina Faso, Gildas Guiella, rencontré à MakeAfrica 2023 à Lomé,
revient sur le rôle et les domaines d’intervention des laboratoires de
fabrication et la difficulté de collaboration avec les laboratoires de
recherche scientifique des instituts et universités en Afrique.
La Nation : Vous êtes un acteur majeur des FabLabs en Afrique notamment dans la zone francophone. Que peut-on comprendre par FabLab ?
Gildas Guiella : Un FabLab est un lieu partagé
qui dispose des outils technologiques, notamment les machines de fabrication
numériques. C’est un lieu ouvert qui sert de tremplin pour les jeunes afin
qu’ils puissent venir prototyper, fabriquer, apprendre à utiliser des machines
pour développer des solutions. Ils peuvent aussi apprendre l’usage des machines
à commandes numériques pour développer leurs capacités intellectuelles et
monter en compétences.
Quels sont les champs d’intervention des FabLabs et leur utilité pour les communautés ?
Les champs d’intervention des FabLabs sont
immenses parce que la technologie aujourd’hui est transversale. Cela veut dire
qu’avec la technologie on peut s’attaquer aux divers secteurs du développement
durable; de l’alphabétisation à l’agriculture en passant par la santé, etc.
Dans nos pays en Afrique, on se focalise sur des aspects qui sont assez
importants. On a déjà cette éducation numérique qui est assez importante. Pour
nous, avant que des gens ne travaillent sur des aspects assez spécifiques comme
l’agriculture, l’environnement et autres, il faut d’abord cette culture du
numérique. Donc, il faut aussi bien apprendre à s’en servir parce que le
numérique, comme on le dit, c’est un couteau à double tranchant. Mal l’utiliser
peut devenir une arme. Il faut apprendre à l’utiliser et savoir pourquoi on
l’utilise. Après ça, il y a la finalité de son utilisation. Donc dans les
FabLabs, on a cette partie d’éducation numérique, de l’apprentissage sur la
fabrication numérique.
On permet également aux apprenants de voir un
peu les capacités des outils et des machines à fabriquer des choses qui sont
virtuelles en objets physiques et cela les amène à développer leur esprit
critique. Donc, ils comprennent qu’on peut utiliser ces outils et machines pour
fabriquer des choses utiles dans les domaines comme l’agriculture. Dans ce
secteur, on a beaucoup de FabLabs qui travaillent sur des systèmes
d’automatisation agricole, qui peuvent aller de l’irrigation aux tests
environnementaux, du sol, etc. On a beaucoup de FabLabs qui travaillent sur la
fabrication de matériels pédagogiques pour faciliter l’accès à ces outils dans
les écoles et universités. On a beaucoup de FabLabs qui travaillent dans le
domaine de la santé. Pendant la pandémie de Covid-19, les FabLabs ont montré
leur importance, leur utilité aux yeux du monde parce qu’ils ont travaillé sur
des solutions assez concrètes à l’instar des visières et des respirateurs pour
aider la communauté, les personnels soignants à avoir des outils d’urgence pour
répondre aux besoins des malades.
Pour moi, le FabLab s’inscrit vraiment dans
cette logique qui est que à chaque fois qu'on on est confronté à un problème
dans la communauté, on a cette capacité de réfléchir, de cocréer ensemble pour
pouvoir proposer des micro solutions qui ne sont pas forcément des solutions
industrielles ou durables, mais qui permettent de répondre en temps réel à des
problématiques qui existent.
Partagez avec nous quelques solutions qui font déjà votre fierté
Au Burkina Faso, on a développé un FabLab à
proximité d’un site d’orpaillage en partenariat avec ‘‘Terre des hommes’’.
L’objectif est de réduire la présence des mineurs sur les sites d’orpaillage.
La solution proposée aux orpailleurs de la localité est une machine qui permet
de nettoyer l’or sans utiliser de produits chimiques. Nous avons travaillé sur
un prototype qui ne pouvait pas servir à grande échelle. Ce fut un succès
malgré qu’il ne pouvait être utilisé que par un orpailleur. Nous l’avons réalisé
en nous appuyant sur l’expertise des orpailleurs, c’est-à-dire qu’ils ont
participé à la conception de la machine. Le but visé, c’est de leur permettre
eux-mêmes de construire les suivants. Donc, on leur fait un transfert de
compétences.
Un autre projet qui constitue une fierté, c’est
une machine appelée Hydro Plus Motor sur laquelle on a travaillé avec un jeune,
et qui produit de l’hydrogène. Cette machine permet de décalaminer les moteurs.
C’est pour éviter d’ouvrir le moteur, donc en l’utilisant elle envoie de
l’hydrogène dans le système d’admission d’air, ce qui permet de nettoyer
l’intérieur des moteurs et ça réduit, entre autres, la consommation des
véhicules, le taux de pollution des voitures.
Je reviens sur le modèle de respirateur dont
j’ai parlé précédemment. C’était un premier modèle, vu l’urgence qu’il y avait
en termes de besoins dans la période de Covid-19. On a juste travaillé sur des
modèles qui existent déjà sur internet, car il y a beaucoup de FabLabs qui ont
déjà travaillé sur ça et ils ont publié des plans que nous avons adapté pour
fabriquer un nouveau modèle. Nous avons après travaillé sur un deuxième modèle
qui était semi-industriel, en collaboration avec une université et des spécialistes
de la santé respiratoire. Ce sont des exemples de solutions concrètes réalisées
qui sont une réussite et qui illustrent encore l’utilité des FabLabs.
Quand on vous écoute, on comprend que les acteurs des FabLabs allient imagination et technologies pour booster tous les domaines de la vie. Mais on se pose la question de savoir qui peut intégrer un FabLab et avec quels niveau et domaine d’études ?
Qui peut intégrer un FabLab ? Ce sont tous
types de personnes qui sont motivées ou pas, car on a vu des gens qui à force
de côtoyer des personnes motivées, ont fini par se redécouvrir et avoir de la
motivation. Donc les personnes instruites ou pas, les jeunes, les adultes, etc.
peuvent intégrer un FabLab.
Mais pour la gérance d’un laboratoire, on a
besoin de compétences spécifiques en termes de gestion technique du lieu parce
que ce sont des outils techniques que nous utilisons. Donc, le FabLab manager
doit avoir des compétences techniques, savoir utiliser toutes les machines de
fabrication numériques, de l’imprimante 3D à la découpe laser en passant par la
Cnc, les brodeuses numériques, etc. y compris les outils et logiciels de
modélisation et consorts. Il doit avoir des compétences techniques dans le domaine
de l’électronique parce qu’on travaille beaucoup avec des pièces électroniques,
la programmation et autres. Au-delà, il doit avoir une valeur humaine, avoir de
la patience, l’écoute, la pédagogie, accepter les différences d’opinions,
savoir orienter ou réorienter les apprenants.
Quelles sont vos relations avec les chercheurs ou laboratoires de recherche des universités ?
On essaie de travailler avec eux,
malheureusement ce sont des gens qui sont fermés dans le sens où quand ils font
de la recherche, ils utilisent des approches qui sont déjà carrées, donc ils ne
sortent pas de leur zone de confort. Alors que les FabLabs ne fonctionnent pas
comme ça. Nous autres nous sortons de notre zone de confort en allant
expérimenter des choses. Nous on a la capacité de se dire qu’on peut tout faire
mais eux ils vont se tabler sur seulement ce qu’ils peuvent faire.
La meilleure chose à faire n’est pas de créer
seulement des laboratoires au sein des instituts/universités de recherche qui
sont toujours dans un format carré, mais de susciter des partenariats avec les
FabLabs et les chercheurs afin que ces derniers viennent dans les espaces de
fabrication pour travailler avec les jeunes qui ne savent pas ce que c’est que
la recherche classique, qui cassent les codes, qui sont là à partir de leur
simple imagination à faire des choses innovantes.
Nous nous avons travaillé avec quelques
chercheurs. C’était très difficile parce que ce sont des gens qui doivent avoir
la formule avant d’agir contrairement à nous autres qui faisons et dans
l’action on apprend à faire sortir la formule par la suite. Donc, c’est deux
mondes qui ont la même finalité mais des approches différentes. Certains
chercheurs innovants comprennent que la dynamique des FabLabs peut être
importante pour eux mais il y a d’autres qui ne comprennent pas du tout. Et
c’est dommage parce qu’il y a vraiment une complémentarité entre nous. Ce qui
est encore plus grave, c’est qu’il y a beaucoup de résultats de recherche qui
sont rangés dans les tiroirs alors que nous, dans nos espaces, on a sûrement
besoin de certaines choses pour pouvoir avancer plus.
En tout cas, au Burkina, il n’y a pas une
étroite collaboration entre les FabLabs et les laboratoires de recherche des
universités. Peu d’entre eux quittent leur zone de confort et acceptent ce que
nous faisons. Ils sont des experts mais à la limite quand tu n’acceptes pas
aussi la démarche de l’autre, tu ne pourras pas l’amener à adopter la meilleure
démarche.