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Ouanilo Médégan, directeur du pôle de la Sécurité des systèmes d’information: « Le but de cette opération est de décourager la cyberescroquerie »

Numérique
Par   Christian HOUNONGBE, le 07 mars 2023 à 20h56
La lutte contre la cybercriminalité s’est accentuée, ces derniers jours, au Bénin avec l’arrestation de plusieurs « gaymans ». L’information défraie la chronique avec l’intervention de certains artistes et influenceurs sur les réseaux sociaux. Dans cette interview, Ouanilo Médégan, directeur du pôle de la Sécurité des systèmes d’information, évoque la perception de la société de ce phénomène, les actions du gouvernement et lance un appel aux parents.La Nation : Le pôle de la sécurité des systèmes d’information et bien d’autres structures travaillent pour la sécurité numérique depuis 2017. Comment se porte le cyberespace béninois ? Ouanilo Médégan : Aujourd’hui, le cyberespace béninois peut être vu sous deux angles. Il contient un certain nombre de systèmes et de services qui facilitent la vie aussi bien aux usagers de l’administration publique qu’aux entreprises du secteur privé. Au regard de ces potentialités, on peut en être fier dans la mesure où le Bénin tient une bonne position dans le classement mondial des pays en termes de préparation à la cybersécurité. Malheureusement, sur le plan de la protection des avoirs de nos concitoyens et de la réputation du pays, il y a un problème du fait de la cyberescroquerie. Avec les ‘’gaymen’’ qui utilisent des failles dans les systèmes pour en prendre le contrôle, la cybercriminalité continue de prendre de l’ampleur dans le pays malgré les actions du gouvernement.

Beaucoup de jeunes sont arrêtés pour cybercriminalité, ces derniers jours au Bénin. Qu’est-ce qui justifie la persistance du phénomène ?

Je puis vous dire que les derniers développements de l’actualité montrent à suffisance que la persistance de la cyberescroquerie est liée à la perception qu’en a la société béninoise. C’est triste et regrettable qu’une bonne partie de la population considère que ce phénomène n’est pas grave. Elle considère les ‘’gaymen’’ comme des Robins des bois qui volent chez les Blancs qui nous avaient colonisés et qui redistribuent dans la société. Cette conception est erronée sur plusieurs plans. Ces gens ne sont pas des Robins des Bois, dans la mesure où nous avons des chiffres qui montrent que le nombre de victimes venant du Bénin et du continent africain est plus important que le nombre de victimes en Occident. Toute la population béninoise doit comprendre que la cyberescroquerie n’est pas une revanche sur la colonisation. C’est vrai que les sommes récoltées à la suite de ces manœuvres ne sont pas plus considérables que celles de l’Europe, mais dites-vous que les conséquences des pressions morales sur un individu au Bénin pour lui soutirer ses pauvres sous sont autant dévastatrices que celles sur les Occidentaux. Ces escrocs brisent des vies au Bénin et ailleurs. Le nombre de personnes en dépression ou malades du fait de ce phénomène est important. Vous n’en avez pas l’idée mais il y a eu des suicides et des carrières brisées. De plus, la manière dont cet argent est utilisé n’est pas vertueuse. Bon nombre dépensent leur butin dans les boîtes de nuit et des activités qui ne servent à rien de durable. Nous avons plein de jeunes intelligents qui sont orientés dans cette mauvaise direction. Nous en avons pour preuve l’affaire Cameo-Shell. Cette structure a ouvert en novembre mais lorsque le gouvernement mettait fin à ses activités en février, elle avait réussi à collecter 3 milliards F Cfa chez les Béninois. On constate là l’amour de notre société pour le gain facile.

Malgré toutes les actions contre ce fléau, comment ces jeunes continuent-ils de profiter de la vulnérabilité de notre cyberespace ?

La première vulnérabilité du cyberespace, c’est l’humain parce que ces escrocs ne sont pas des experts en informatique. Ce sont des personnes qui maitrisent l’ingénierie sociale. Ils sont rodés et servent d’autres personnes plus techniques qui font des piratages informatiques en volant des comptes, des identités sur des plateformes, des données et des cartes bancaires. Nos ‘’gaymen’’ achètent chez eux les fruits de leur labeur et les utilisent dans une chaine pour monter leur arnaque. C’est pourquoi, les populations doivent être conscientes du danger que constituent ces jeunes cyber-délinquants. La méchanceté fait partie de leur pratique. Ils font des sacrifices des plus petits quand ils s’embarquent dans les choses mystiques qu’ils ne maitrisent pas. Si tout le monde était sensibilisé, ils auraient moins de succès à opérer, car ils profitent des failles et de la vulnérabilité des populations.

Que fait le pôle Sécurité des systèmes d’information de l’Asin pour renforcer le cyberespace béninois ?

Depuis l’adoption du Code du numérique, il y a eu le renforcement de la synergie d’actions entre l’ex-Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information devenue le pôle de la sécurité des systèmes d’information de l’Agence des systèmes d’information et du numérique et l’Office central de la répression de la cybercriminalité (Ocrc). Ce sont deux entités qui travaillent aujourd’hui la main dans la main pour accélérer les investigations de l’Ocrc et identifier de manière fiable les actions des gaymen pour avoir des preuves. Ce qui permet d’avoir un processus plus efficace et de corser la répression. Au niveau de la prévention, le pôle fait beaucoup d’actions de sensibilisation. Nous avons la campagne Protégé, Alerté, Responsabilité et Eduqué (Paré) qui vise à sensibiliser les citoyens notamment la couche juvénile à l’importance de la sécurité numérique. Elle a consisté à diffuser un ensemble de contenus sur les réseaux sociaux et à afficher sur les panneaux ou à faire des sensibilisations dans les écoles. Nous allons poursuivre ces campagnes pour être sûrs que nos populations sont mieux éduquées contre la cyberescroquerie.

Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes qui continuent de s’adonner à cette pratique ?

Je voudrais dire à ces jeunes que le gouvernement ne reculera pas dans la lutte contre les gaymen. Le but de cette opération, c’est de décourager cette activité qu’est la cyberescroquerie et de montrer aux jeunes que ni le chômage ni la misère ne peuvent constituer une raison pour s’adonner à ce phénomène. De toutes les façons, les dispositions sont prises pour casser de manière considérable leurs activités dans le pays. Je pense personnellement qu’il faut que les jeunes sachent qu’en dehors de l’escroquerie, il y a des opportunités sur internet. Il y a les métiers du numérique comme le métier de rédacteur web, de community manager et développeur web qui permettent aujourd’hui à plein de jeunes de gagner leur vie de manière saine. Que ces jeunes entraînés dans la cybercriminalité laissent cette activité, qu’ils cherchent à se spécialiser, à apprendre les métiers du numérique et sachent que le monde est ouvert grâce à internet par lequel ils peuvent gagner honnêtement leur vie.

Quel appel avez-vous à lancer aux parents qui sont les premiers éducateurs ?

Il faut que les parents perçoivent que les gaymen ne sont pas des Robins des bois. Ce sont des criminels qui brisent des vies. La plupart de ces ‘’gaymen’’ sont des jeunes conscients mais quand ils sont dans la peau de l’arnaqueur, l’humanité les quitte... Les parents doivent nous accompagner dans cette lutte et ne plus considérer que c’est l’argent du colon ou du Blanc sur lequel on a une revanche à prendre. Il faut qu’ils perçoivent la gravité de la situation n