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Martin Omba, président de la Caef de Toucountouna: «Les élus communaux n’ont pas la même vision que l’Etat»

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Martin Omba Martin Omba

La réforme du secteur de la décentralisation en cours de mise en œuvre dans les communes du Bénin est un levier de développement. Mais les acteurs relèvent des irrégularités qui plombent ce système grâce auquel la mobilisation des ressources facilite les actions de développement. Martin Omba, conseiller communal de Toucountouna, est le président de la Commission affaires économiques et financières (Caef). Dans cet entretien, il fait part de ses observations pour plus d’efficacité dans les conseils communaux.

Par   Alexis METON A/R Atacora-Donga, le 06 nov. 2023 à 01h57 Durée 6 min.
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La Nation : L’actualité, c’est la démission de la secrétaire exécutive de Toucountouna. Comment appréciez-vous ce fait ?

Martin Omba : C’est un acte salvateur, selon moi. Il faut d’abord qu’elle prenne ses responsabilités pour ne pas esquinter sa santé. Si vous ne vous retrouvez dans un environnement où les gens pensent que vous êtes la bête à abattre, il vaut mieux quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Je ne suis pas de ceux-là qui pensent qu’elle est la bête à abattre, mais toujours est-il qu’elle a pris une décision courageuse. La vie, c’est une continuité. Elle ira faire valoir ses compétences là où le besoin se fera sentir.

Pour la commune, les acquis de cette réforme auxquels elle a contribué sont énormes. On est parti d’un budget de quarante millions au maximum. Aujourd’hui, avec le collectif, on est à un milliard quatre cents millions. Cette année, nous sommes en train de préparer un budget qui va faire un milliard trois cents millions. Vous pensez que s’il n’y avait pas des acquis ou un changement de comportement, les gens allaient avoir confiance en nous pour améliorer par exemple les taux de recouvrement et voir dans quel domaine la commune va se développer ? 

Avez-vous le sentiment qu’il y a une vraie collaboration entre les cadres envoyés dans les communes et les conseils communaux ?

C’est là que l’Etat central doit prendre ses responsabilités. Vous savez, les élus communaux sont à la recherche des facilités. Avec les cadres techniques, les malversations seront vraiment difficiles parce que en cas de mauvaise gestion, ce sont les cadres qui en répondront devant la loi. Donc, souffrez que la collaboration entre élus et ces cadres pose problème. Comme je le dis, on ne peut pas frapper un enfant et en même temps lui interdire de pleurer. Les maires, leurs adjoints, avec le système de passation des marchés publics, c’était la guerre. Même quand on parlait de la destitution des maires par rapport à la gestion solitaire et autres, ce n’était pas vraiment le cas. Ce sont des intérêts que rapportaient ces marchés publics, je ne parlerai pas des 10 %, mais c’est ça qui opposait des conseillers à leurs maires.

Aujourd’hui, le même phénomène se poursuit entre les maires et les secrétaires exécutifs. C’est dans les communes où les élus sont peut-être honnêtes et ne veulent pas bousculer la réforme que tout marche. Pour ma part, là où il y a difficultés, il faut comprendre que c’est parce que les secrétaires exécutifs ne veulent pas laisser continuer le phénomène de malversation. Et c’est ça qui crée la mauvaise collaboration entre les Se et les maires. 

Quelle lecture faites-vous de l’expérience de la décentralisation en cours au Bénin ?

Pour ce qui est de la décentralisation, nous avons fait l’expérience et on a constaté avec amertume que l’objectif visé n’était pas atteint. C’est ce qui a motivé la décision courageuse du président Patrice Talon en confiant la destinée de l’administration communale aux cadres techniques. Pour nous les élus, il nous revenait seulement d’accompagner et de sensibiliser nos parents pour qu’ils comprennent ce qu’on entend par développement à la base. Chaque citoyen devrait savoir que le bon fonctionnement de sa localité lui incombe. Il doit s’atteler au développement de sa localité.

La décentralisation a failli parce que en tant qu'élus communaux, nous n’avons pas les mêmes visions que l’Etat. C’est pour dire que tout est politisé et la gestion des fonds alloués pour le développement communautaire subit des tripatouillages au point où dans certaines localités, une certaine pagaille s’installe. Ce qui expliquait des éléphants blancs par endroits. Le chef de l’État a voulu confier la gestion aux cadres techniques. Et c’est ce qui a amené l’avènement des secrétaires exécutifs qui sont purement administratifs et ce sont eux qui doivent gérer l’administration et être les ordonnateurs des budgets communaux. 

Est-ce le cas dans toutes les communes ? 

Ce que je vous dis, un autre conseiller dira le contraire. Ce sont mes observations et c’est parce que j’ai fait la première mandature, la deuxième, la troisième et que je suis à ma quatrième mandature. Je n’ai pas occupé le poste de maire, mais je sais que ces malversations existent et des gens continuent de les prôner et à un moment donné, on ne peut pas s’entendre. Je l’ai souligné en présence des membres de la Cellule présidentielle de suivi des réformes dans le secteur de la décentralisation. J’ai dit qu’en réalité, il n’y a pas de problème. La vraie question, c’est parce que les secrétaires exécutifs refusent de collaborer avec eux pour continuer leur sale besogne. 

Le chef de l’État a voulu changer la donne en envoyant les secrétaires exécutifs, quels sont les acquis pour le cas de votre commune ?

Comme je le disais, même au niveau des recrutements, tout était politisé. On ne mettait pas l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Avec la réforme, on a constaté que c’est purement les cadres techniques, les cadres compétents qu’on a amenés et désormais, on ne devrait pas faire un recrutement politique pour insérer des incompétents.

De la même manière, au niveau des recettes propres, on a mis un accent particulier sur ce point, parce que vous savez, l’homme politique ne veut pas bousculer ses administrés. Mais en accompagnant, les recettes a commencé par s’améliorer. Il y a l’aspect des cadres qui a joué. Il y a aussi les partenaires qui ont commencé par avoir confiance aux mairies en investissant dans les communes mieux qu’auparavant. Entre-temps, il y a qu’on pensait qu’il n’y avait pas de cadres compétents pour répondre aux attentes des partenaires. C’est avec une grande joie que nous apprécions tout ce qui a été fait dans le cadre de la réforme. Les acquis de cette réforme sont énormes pour notre commune. 

Que faut-il faire de plus pour que cette réforme marche et impacte le développement à la base ?

Nous ne sommes pas au niveau de la prise de décision. Il faut sanctionner parce que au Bénin, c’est l’impunité. L’audit Fadec vient contrôler et nous prodiguer des conseils. Il ne faudrait pas élaborer les textes et ne pas en suivre l’application. Aujourd’hui, les secrétaires exécutifs sont à l’abattoir. Ils sont laissés pour compte. J’ai l’impression que des gens veulent que la réforme échoue. L’origine des crises, c’est la manipulation des élus que nous sommes. Nous ne voulons pas laisser la main aux gens pour travailler librement.

La collaboration ne se mesure pas. Si nous délibérons, nous faisons nos sessions de manière statutaire et que dans la mise en œuvre encore, c’est nous qui voulons voir comment ça se passe, je dis non. Ce n’est plus notre rôle, et c’est ce que la réforme a refusé. Hier, on décidait et on mettait en œuvre et cela ne marchait pas correctement. Cette fois-ci, il y a les cadres qui doivent mettre en œuvre les décisions, les délibérations du conseil communal. En principe, nous conseillers communaux, on devrait attendre à la fin pour demander des comptes en cas de failles. S’il y a sanction, on sanctionne plutôt que de faire des crocs-en-jambe, ce qui n’est pas normal.