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Dépression et isolement: Les défis insoupçonnés des jeunes étudiants de la diaspora

Société
La dépression chez les adolescents, les jeunes et spécifiquement, chez les étudiants est un phénomène de  plus en plus préoccupant La dépression chez les adolescents, les jeunes et spécifiquement, chez les étudiants est un phénomène de plus en plus préoccupant

La dépression chez les jeunes étudiants de la diaspora est un sujet de plus en plus préoccupant, notamment en raison des défis uniques auxquels ceux-ci sont confrontés. Loin de leur pays d’origine, ces étudiants doivent s’adapter à un nouvel environnement culturel, souvent sans le soutien direct de leurs familles et de leurs amis. 

Par   Lhys DEGLA, le 26 déc. 2024 à 08h14 Durée 3 min.
#Dépression #diaspora

Vivre dans un pays étranger implique de s’adapter à de nouvelles normes sociales, des pratiques académiques différentes et parfois une langue étrangère. Cette transition peut être déstabilisante, surtout pour ceux qui n’ont jamais vécu loin de chez eux. De plus, se retrouver seul dans un pays étranger peut entraîner un isolement social. Les étudiants de la diaspora peuvent avoir du mal à se faire de nouveaux amis ou à s’intégrer dans des groupes sociaux, ce qui peut augmenter leur sentiment de solitude.

La dépression, selon Nadine Fagnissè Délé, coach juvénile et formatrice en parentalité positive, est en réalité une maladie psychique liée à de nombreux facteurs psychologiques, biologiques et environnementaux. Elle se traduit par des perturbations régulières de l’humeur et peut affecter fortement la vie quotidienne. Elle ne désigne pas un simple coup de déprime ou une tristesse passagère mais une véritable pathologie qui mérite une prise en charge adéquate.

La dépression chez les adolescents, les jeunes et spécifiquement, chez les étudiants est un phénomène de plus en plus préoccupant, souvent déclenché par des facteurs d’adaptation, personnels, financiers, sociaux ou académiques.

Les symptômes de la dépression chez les étudiants et ceux de la diaspora en particulier se traduiraient, à son avis, par une perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées, des troubles du sommeil, des changements d’appétit, une baisse de l’énergie, des difficultés de concentration, des sentiments de désespoir, et même des pensées suicidaires. Ces symptômes peuvent perturber gravement leur capacité à fonctionner dans leur vie quotidienne et à réussir dans leurs études.

Par ailleurs, la pression pour réussir, les attentes élevées, la charge de travail excessive, et les préoccupations financières contribuent à un sentiment accablant de stress et d’angoisse qui peut engendrer la dépression chez le jeune.

En outre, être loin de sa famille et de son milieu habituel, de ses soutiens habituels, la barrière linguistique, la différence des habitudes de vie peuvent exacerber les sentiments de solitude et d’isolement et conduire à une dépression.

Confidences 

Jaurès, étudiant béninois en ingénierie informatique au Maroc, partage son expérience troublante qui l’a conduit à bien de vices et a failli le pousser au suicide : « Je vis au Maroc où j’étudie et travaille par la même occasion. Je suis en fin de cycle universitaire et je sors avec une Ivoirienne depuis quatre ans. » Jaurès confie avoir commencé sa descente aux enfers à partir du mois de juillet de cette année. Sa relation sentimentale avec Audrey s’est soldée par un échec cuisant suite à une infidélité de cette dernière. Bien que soupçonnant le fait, il n’avait pas de preuves jusqu’au jour où il voit sa bien-aimée attablée dans un restaurant avec celui qui était en ce moment-là, son patron à lui.  « J’ai sombré dans l’alcool et la cigarette alors que j’étais totalement non-fumeur. N’eût été l’intervention musclée de certains amis, je serais devenu accro de la cigarette et de tous types de produits euphorisants juste pour oublier la trahison de ma copine. » explique-t-il. La situation a peu à peu détruit plusieurs relations sociales autour de lui alors qu’il plongeait dans le gouffre sans fin de la dépression. A cette peine indicible, s’ajoutent les difficultés financières, la discrimination et l’isolement, fardeaux, bien souvent, communs aux étudiants en pays étranger. De plus, l’intéressé affirme que la pression familiale au regard des espoirs fondés sur lui en tant qu’aîné, ne lui rend pas la tâche aisée. Le stress est quasi permanent avec son lot de malaises physiques, mentaux et comportementaux. « Heureusement, je bénéficie du soutien moral de mes amis, ce qui m’aide à tenir le coup. J’ai décidé de me tourner vers la prière pour trouver la force de ne pas abandonner. C’est vraiment dur, mais je continue à lutter. » conclut Jaurès.

Jaurès n’est pas un cas isolé. Ailleurs, sous d’autres cieux, Elvis connait presque les mêmes troubles. Il vit au Canada depuis 2022 où il étudie la communication publique : « À partir de mars, j’ai vécu une période difficile après la fin d’une relation qui m’a profondément démoralisé, car elle manquait de réciprocité. » avoue-t-il. Cet événement a eu un impact négatif sur ses études, lui ôtant toute force mentale pour continuer à travailler. Sans faire exprès, Elvis a commencé petitement à s’isoler, préférant la solitude. Les seuls moments de réconfort et de chaleur humaine étaient ceux partagés avec des amis très proches « Cet épisode de ma vie, m’a davantage rapproché de Dieu ». Elvis a la nostalgie de sa famille biologique, surtout de sa mère et de ses frères, que la distance ne lui permet pas de voir et de pouvoir serrer dans ses bras comme par le passé. Pour lui, c’est l’une des plus grandes thérapies au monde. « Il arrive des jours où je n’ai rien. C’est difficile à croire mais c’est comme ça. Ces jours-là, je regrette d’avoir quitté Cotonou. Même quand je n’avais pas le sou, il y avait toujours à manger à la maison.». Dans le cas d’Elvis, le rythme académique est pressant, stressant et harassant. De quoi augmenter l’envie de tout envoyer balader et revenir au bercail, mais il a conscience que ses parents attendent de lui qu’il réussisse absolument et il entend bien le faire. « Ma mère souffre beaucoup pour nous voir réussir, mes frères et moi. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Pour me doper moralement, j’appelle soit ma mère, ma tante, mon oncle, soit un ami avec qui je discute de longues heures au téléphone.»

Le cas d’Adrianne est différent. L’étudiante béninoise en quatrième année de médecine, vivant en Guinée Conakry, déprimait sans s’en rendre compte. « C’est un médecin qui me l’a dit. J’évitais les interactions humaines. Je me connectais de moins en moins et je ne sortais presque plus de chez moi. ». Adrianne n’allait plus au cours pour ne plus être au contact des autres. Ce qui, malheureusement, a dégradé les relations avec ses amis.  « Mon plus gros défaut est que je ne sais pas me confier aux gens. Mes problèmes, je les gère seule comme je le peux. »

Elle estime, avec du recul que son état dépressif serait dû, entre autres, à la séparation d’avec sa famille et ses amis ; la différence culturelle ; la barrière de la langue et la pression académique. « Personnellement, je n’ai parlé de mon mal-être à mes proches, qu’une fois m’être sentie mieux. J’avais un ami qui a été inconditionnellement présent pendant ces moments sombres.».

Fort heureusement, Adrianne a été suivie par un médecin pour surmonter sa dépression. « Au début, je répondais à une série de questions qu’il me posait. Après, il me demandait de parler de mon problème. Au début, c’était compliqué d’en parler mais au fur et à mesure que le temps passait, j’étais plus à l’aise à me confier. »

Ces témoignages viennent confirmer le diagnostic de Nadine Fagnissè Délé, coach juvénile et formatrice en parentalité positive. Les causes de la dépression, selon elle, chez les étudiants de la diaspora, seraient liées à la pression académique. La pression pour réussir sur le plan académique est l’une des principales causes de dépression chez les étudiants ; les attentes élevées des parents, des enseignants et de la société en général peuvent provoquer un stress intense. Les étudiants ressentent souvent une obligation de performer à un niveau exceptionnel, ce qui peut engendrer de l’anxiété et un sentiment d’échec en cas de résultats insatisfaisants. Il y a également la transition et l’adaptation : pour de nombreux étudiants, l’entrée à l’université marque une période de transition significative. S’adapter à un nouvel environnement, loin de la famille et des amis, peut être un défi majeur. La solitude, l’isolement et le mal du pays sont des facteurs qui peuvent contribuer à l’apparition de la dépression.

Aussi, faut-il noter que les soucis financiers sont une autre source de stress pour les étudiants. Les frais de scolarité élevés, les coûts de logement et les autres dépenses liées à la vie universitaire peuvent créer une pression considérable. Certains étudiants doivent travailler à temps partiel en plus de leurs études, ce qui peut entraîner de l’épuisement et un sentiment de surcharge.

Il ne faut pas omettre les problèmes personnels et relationnels : les relations interpersonnelles (trahisons, déceptions amoureuses etc…) jouent un rôle crucial dans la santé mentale des étudiants. Les conflits avec des amis, des partenaires ou des membres de la famille peuvent engendrer du stress et de la dépression.

Prise en charge de la dépression chez les étudiants 

« En promouvant une culture de bien-être mental, passant par l’écoute active des proches, l’empathie et la bienveillance de l’entourage, nous pouvons aider les étudiants à réussir non seulement sur le plan académique, mais aussi personnellement et émotionnellement. », indique la coach juvénile. Elle propose quelques pistes tant pour l’intéressé(e) que pour ses proches notamment : être attentif aux signes d’alerte tels que la tristesse persistante, la perte d’intérêt, la fatigue, les pensées négatives récurrentes et les idées suicidaires ; Écouter le jeune sans jugement et l’encourager à parler à une personne avertie ou à un professionnel de la santé mentale ; veiller à ce qu’il adopte une routine saine comprenant une alimentation équilibrée, un sommeil suffisant et de l’exercice physique régulier ; entretenir avec les écrans, jeux vidéo et les réseaux sociaux un rapport sain et équilibré ; Rassurer le jeune sur votre soutien inconditionnel.

En étant présents et en offrant un soutien approprié, Nadine Fagnissè Délé, spécialiste de la psychologie juvénile, pense que les parents, proches et enseignants pourront aider les étudiants à surmonter la dépression et à retrouver une vie équilibrée et épanouissante.

De plus, elle préconise la thérapie, sous ses diverses formes, par des professionnels, une méthode qui offre des outils précieux pour aider les étudiants à surmonter leurs défis mentaux et émotionnels. Il est crucial de reconnaître les signes de dépression chez ces étudiants, car ils peuvent souvent passer inaperçus. Parmi les symptômes les plus courants, on retrouve: un sentiment persistant de tristesse ou de désespoir ; une perte d’intérêt pour les activités autrefois appréciées; des troubles du sommeil, comme l’insomnie ou l’hypersomnie; des difficultés à se concentrer ou à prendre des décisions ; des changements dans l’appétit ou le poids ; des pensées suicidaires ou des actes d’automutilation.

La dépression chez les jeunes étudiants de la diaspora est un problème complexe qui nécessite une approche globale pour être abordé efficacement. En reconnaissant les signes avant-coureurs, en offrant un soutien adéquat et en créant un environnement accueillant, nous pouvons aider ces étudiants à surmonter les défis auxquels ils sont confrontés et à réussir dans leurs études et leur vie personnelle.