La Nation Bénin...
La ville de Cotonou dispose depuis peu, d’un Centre de prise en charge des victimes et survivants de violences basées sur le genre. C’est une initiative du gouvernement américain à travers Wildaf-Bénin, pour soulager les victimes. Huguette Bokpè Gnacadja, consultante en droit de l’Homme et en genre et coordonnatrice nouvellement élue de Wildaf-Bénin parle dans cette interview, de l’importance dudit centre.
La Nation : L’USAID à travers Wildaf-Bénin, a ouvert récemment à Cotonou, un centre intégré de prise en charge des victimes de violences. Quel est l’intérêt de ce centre en faveur de la lutte contre les violences ?
Huguette Gnacadja : Comment est-ce qu’on peut le comprendre, le phénomène des violences ? Il reste toujours une question intimement liée à la tradition. Ce n’est pas une nouvelle glorieuse qui peut être portée de manière positive. Ce n’est pas une bonne nouvelle que d’avoir à annoncer qu’on est une femme régulièrement battue par son mari, maltraitée par un membre de la belle famille ou de la famille. Le premier réflexe de toute femme qui a subi une violence de ce genre, est de garder le silence. Et ce réflexe se trouve renforcé par l’accueil qui est réservé aux questions qu’on juge "familiale" au niveau des commissariats et des brigades. En même temps que la dénonciation est un motif de soulagement pour les femmes, elle constitue également pour elles, un parcours de combattant, une fois qu’elles ont eu le courage de porter plainte puis d’être entourées par des personnes qui les encouragent à ne pas céder aux pressions. Des personnes tiennent souvent des propos du genre, «c’est une affaire de famille, laissons tomber», juste pour dissuader les victimes. Généralement, ce n’est pas facile pour les victimes de suivre une procédure jusqu’à son terme.
Nous nous sommes rendus compte que même quand elles vont également au tribunal (sauf pour les femmes intellectuelles), la complexité de la procédure et le jargon qu’on utilise leur sont étrangers. Les études, les enquêtes et analyses ont montré que les victimes sont plus enclines à la dénonciation lorsqu’elles se retrouvent dans un environnement plus favorable, plus solidaire et plus humain. L’expérience a été déjà faite dans certains pays africains de tradition anglophone. Pas seulement en Europe, pour qu’on ne pense pas que c’est quelque chose d’importé. Et donc, c’est dans cet esprit là que la loi de 2012 sur la prévention et la répression des violences faites aux femmes a, au nombre des institutions dont elle a demandé la création, prévu les centres de prise en charge des victimes de violences. Le Bénin en compte deux. La première expérience a été celle d’Abomey dont le centre a été ouvert en 2014 et actuellement celui de Cotonou. Wildaf-Bénin a eu l’idée de tirer profit de cette exigence de la loi et a élaboré un projet qui a rencontré l’accord et le soutien de l’USAID.
Ces centres servent à offrir aux victimes de violences, toutes les compétences et les prestations dont elles ont besoin, dans un même endroit sans avoir à effectuer des allers et retours intermittents. Parce qu’entre le commissariat et l’hôpital, elles ont le temps de se décourager, de subir toutes les pressions possibles et de laisser tomber la plainte. L’objectif est de créer un cadre favorable à la dénonciation par les femmes.
On aura beau ouvrir les centres de prise en charge, mais tant que la mise en application des textes ne sera pas effective, le phénomène subsistera.
L’ouverture des centres de prise en charge est une mesure d’application de la loi et elle ne s’applique que quand son contenu a été suffisamment intégré par ceux, auxquels elle est censée s’appliquer. Le but du centre, c’est aussi d’éduquer. Elle n’a pas une fonction curative ou une fonction de préparation à la sanction, mais une fonction éducative qui va permettre pendant les dialogues, les discussions qui vont être instaurés entre la victime et la personne qui a perpétré la violence, de faire prendre conscience. On se dit aussi que par cette éducation de proximité, on va progressivement contribuer à une application de la loi dans un contexte où elle est comprise même si elle n’est pas admise.
L’ouverture de ce centre porte à deux le nombre de centres de prise en charge des victimes et survivants de violences au Bénin. Mais qu’est-ce qui a concrètement changé depuis l’ouverture du premier centre à Abomey en 2014 ?
Nous notons de plus en plus la naissance du réflexe. Lorsque les victimes découvrent qu’il y a un endroit où elles peuvent trouver une solution à leurs préoccupations, c’est un double encouragement pour elles. Et lorsque cet endroit dispose surtout d’un guichet unique de prestations, la dénonciation est spontanée. Au tout début, l’affluence était faible ; mais de bouche à oreille, les gens ont commencé par mesurer l’enjeu de la dénonciation. Même si une victime n’a pas le courage, la personne qui est près d’elle peut faire la démarche avant qu’elle-même ne s’implique progressivement dans la procédure. Et ce réflexe va forcément freiner la proportion à commettre les violences. Nous nous réjouissons déjà de ce que ce réflexe est en train de se consolider. Il est né et il se développe et doit se construire.
L’état des lieux des violences augure-t-il d’un lendemain meilleur en faveur de la lutte qui y est menée ?
Si on devrait s’en tenir à l’état des lieux actuels, on pourrait être découragé puisqu’on peut encore s’étonner du nombre de violences qui s’exercent non seulement à l’égard des femmes, mais aussi à l’endroit des filles. La situation n’est pas brillante mais elle a évolué. Nous sommes passés à une époque où on n’en parlait pas du tout, à une phase à laquelle nous sommes écoutés, à une époque où les populations savent que ce que nous faisons a une connotation pénale et elles nous accompagnent. Nous ne sommes donc plus à l’étape du découragement et du blocage à la poursuite de la plainte, mais à la phase de dénonciation, de la réception de la plainte et de sa transmission au procureur de la République. Le mur de silence a été également brisé. La résistance est toujours d’actualité, mais de plus en plus, le réflexe de la dénonciation, la prise de conscience même est née et je pense que c’est déjà un grand pas.
De plus en plus, les hommes aussi se réclament être victimes de violences. D’ailleurs, le leitmotiv de votre ONG est de lutter contre les violences basées sur le genre. Votre politique de lutte prend-elle aussi en compte les individus de sexe masculin ?
De la même façon que nous voulons mettre fin à l’impunité à l’égard des femmes, nous ne pouvons pas la cultiver à l’endroit des hommes. Nous avons conscience de ce que les violences se développent de plus en plus à l’égard des hommes. Ce qui frappe, c’est que ce phénomène est caractérisé par deux profils de femmes qui commettent lesdites violences. Le premier profil, concerne celles qui commettent des violences après avoir atteint un niveau de ras-le-bol ou c’est une réponse à la violence qu’elles subissent. La deuxième catégorie, ce sont les femmes qui souffrent le plus souvent de troubles psychologiques, alcooliques, ou les droguées.
Les centres de prise en charge sont également destinés à servir les hommes victimes de violences. Il se peut également que nous ayons des cas de violences réciproques qui seront également reçus. Le but de notre action, c’est aussi de consolider les familles et si la situation fait appel à la répression, nous ne ferons pas du tout obstacle à cela. Mais on a observé que ce phénomène n’a pas encore atteint le degré avancé et c’est probablement pour cette raison qu’il est encore minimisé. Il faut reconnaître que ce sont les mêmes pesanteurs socioculturelles auxquelles les hommes ne croient pas qui justifient encore le phénomène à leur égard. Ils sont très peu nombreux à avoir le courage de dire qu’ils ont été battus par leurs femmes. Les pesanteurs sont une réalité autant pour les femmes que pour les hommes.