La Nation Bénin...
Clément Coffi Alladagbin poursuivi pour détournement de deniers publics a vu son cas examiné hier mercredi 12 août, lors de l’étude du 14e dossier inscrit au rôle de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Cotonou. A la présidence, il y avait Eliane Hortense Bada Padonou. Elle avait comme assesseurs, Martial Boko et Virgile Kpomalegni. Comme représentant du ministère public, il y avait Badirou Olatoundji Lawani. Au greffe, Me Bienvenu Prosper Djossou. Les jurés qui ont siégé s’appellent Noël Dansou Kounou, Honoré Hounyèmè, Mello Louis Zanmènou Hounkanlin, et Maurice Akodé Bénou.
Il a passé plus de 12 ans derrière les barreaux à titre de détention préventive. Mais reconnu coupable aux termes de l’examen de la procédure de détournement de deniers publics engagée contre lui, Clément Coffi Alladagbin a été condamné à 11ans de travaux forcés. Il est donc désormais libre depuis le prononcé de la sentence.
Avant l’ouverture du procès, la défense assurée par Me Julien Togbadja a attiré l’attention de la Cour sur le fait que ce n’était que hier matin, à l’appel du dossier qu’il a vu son client. Il a présenté des observations liminaires qui ont alors valu une brève suspension.
Puis à la reprise, Monique Ouadaï, représentant le directeur général de la SBEE est la partie civile citée qui a suivi les débats en direct. A l’appui de sa procuration, elle a présenté des pièces dont les autres parties ont reçu copie. L’autre personnalité citée comme témoin mais isolée, répond au nom de Pierre Paulin Sossou, ex-directeur comptable et financier de la SBEE au moment des faits.
Les faits ont été résumés ainsi qu’il suit par la présidente, Eliane Hortense Bada Padonou. Clément Coffi Alladagbin, aide-comptable en service à l’ex-Société béninoise d’électricité et d’eau (SBEE), recette de Kindonou en qualité de caissier-guichetier a entrepris de dissiper une partie des fonds provenant des paiements de la facturation pour les clients de cette structure. Pour camoufler son forfait, il a procédé à la manipulation des montants inscrits sur les reçus qu’il présentait à la Direction générale. Un contrôle a permis de découvrir durant la période du 8 juillet au 27 août 2003, un écart de treize millions neuf cent mille (13 900 000) F CFA entre les reçus présentés et les montants figurant sur les relevés bancaires. Clément Coffi Alladagbin a reconnu les faits à toutes les étapes de la procédure en tentant d’expliquer qu’il a utilisé les fonds dans une activité commerciale avec son ami Fernando Gnanni de nationalité camerounaise.
L’enquête de moralité lui est favorable. Le casier judiciaire de Clément Coffi Alladagbin ne porte mention d’aucune condamnation. L’expertise médico-psychologique et psychiatrique atteste qu’au moment des faits, aucun trouble mental, sans discernement des actes, objectivable pouvant abolir le contrôle de ses actes n’a été repéré.
L’accusé a plaidé coupable
A la barre, d’entrée, répondant aux questions de la présidente, Clément Coffi Alladagbin a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Expliquant que sur les reçus bancaires, on ne marquait pas les montants en lettres, ce qui lui facilitait les manipulations.
Certaines questions de la défense ont permis à l’accusé de confirmer que c’est pour faire face à ses charges qu’il s’est permis d’opérer des manipulations sur les factures.
Pierre Paulin Sossou, directeur comptable et financier au moment des faits, a témoigné que, c’est en faisant des rapprochements bancaires qu’il s’est aperçu de la supercherie. Il a expliqué que c’est en comparant les reçus de versements faits et ceux positionnés qu’il s’est rendu compte que les reçus de versements de Kindonou sont manipulés. Avant juillet, il n’y a pas eu de manipulations. Ainsi, il a relevé un montant de 13 900 000 F CFA d’une part et 6 000 000 F CFA d’autre part, soit au total 19 900 000F CFA.
Pierre Paulin Sossou a assuré que les guichetiers dépendent de façon fonctionnelle de la direction commerciale et déplore qu’à l’époque, les contrôles à ce niveau n’aient pas bien marché et qu’ils aient favorisé les faiblesses du système ayant permis à Clément Coffi Alladagbin d’opérer de la sorte.
A la question de la défense, "Y a-t-il eu un arrêté de compte contradictoirement établi"? le témoin Pierre Paulin Sossou a répondu par la négative. Ce qui a fait dire à la défense que les dossiers sont gérés de manière pas très rigoureuse.
La défense insiste pour savoir si son client a été formé par son employeur.
Monique Ouadaï, confirme qu’elle a reçu mandat pour représenter le directeur général et que son dossier comporte 2 montants, à savoir 13 900 000 F CFA et 6 000 000 F CFA.
La présidente de la Cour lui explique que les sociétés d’Etat dans lesquelles les agents sont poursuivis pour détournement de deniers publics sont normalement défendues sur ce volet par l’AJT. Monique Ouadaï a produit à la Cour les pièces couvrant le montant que la SBEE réclame à Clément Coffi Alladagbin.
Appelé à la barre, le représentant de l’AJT, Omer Gagui explique que l’arrêté de débet qu’il détient porte une date de juillet 2015 et 13 900 000 F CFA : un montant qui n’est pas le même que ce que réclame la représentante de la SBEE.
Dans ses observations, la partie civile représentée par Me Serge Pognon a expliqué que le préjudice est là ; il existe. La légèreté a favorisé le jeu des manipulations entre les sommes facturées, celles perçues et celles effectivement encaissées.
Entre juillet et août 2003, cela fait 13 900 000 F CFA et après 6 000 000 F CFA par la suite comme préjudices subis, indique-t-il dans ses réclamations. Les faits sont constants : les manipulations de reçus. Du faux. Il était commis par son employeur pour recueillir, encaisser les sous. Mais il s’est rendu coupable de faux en écriture de commerce et d’abus de confiance ;
Sauvegarder les intérêts de la SBEE
Lorsqu’on se plaint des déficits exagérés de la SBEE, cela est dû à des agents de la trempe de Clément Coffi Alladagbin, justifie Me Serge Pognon. Quel que soit le montant du préjudice subi, il a déclaré se constituer partie civile pour le compte de la SBEE et plaider pour que ses intérêts soient sauvegardés même si lesdits intérêts doivent être renvoyés à une autre session.
Pour ses réquisitions, le ministère public, Badirou Olatoundji Lawani, les agents de nos sociétés d’Etat sont de plus en plus coupables de mauvaise gouvernance. Rappelant les faits objets de la poursuite, il a expliqué qu’ils relèvent de faux en écriture de commerce et abus de confiance sur la somme de 19 900 000 F CFA. Ainsi, indique-t-il, Clément Coffi Alladagbin a été affecté à Kindonou, en qualité de caissier guichetier. A la suite de contrôle opéré, le représentant du ministère public a fait remarquer que sur la base des relevés bancaires, la direction comptable et financière a effectué des rapprochements bancaires. Des vérifications opérées, l’accusé a manipulé les relevés en ajoutant les chiffres qui lui paraissaient adéquats selon sa stratégie. Ces faits, selon Badirou Olatoundji Lawani tombent sous le coup des articles 147 et 408 al 1 du Code pénal. Ainsi, poursuit-il, la réunion des 3 éléments, légal, matériel et moral permettra de retenir la responsabilité de l’accusé. Les faits qualifiés de faux sont bels et bien établis.
A part l’élément légal retenu, (articles 147 et 408 cités supra), il y a l’élément matériel qui constitue un faux. A côté, il faut relever une vérité altérée, un support également altéré, un préjudice résultant de cette altération de la réalité.
Pour l’élément moral, l’élément intentionnel peut résulter de l’intention frauduleuse de la pleine conscience que l’accusé avait du préjudice qu’il causait à la SBEE.
Citant par la suite l’article 3 de l’ordonnance 79-23, il a expliqué que son champ d’application s’étend également bien aux faits reprochés à Clément Coffi Alladagbin en tant que caissier guichetier. Il devait reverser à la SBEE les fonds qui lui étaient provisoirement confiés à charge pour lui de les représenter. Il fait observer qu’il n’avait pas déposé l’intégralité des fonds déposés ou reçus. Le ministère public s’est appesanti sur certaines déclarations de l’accusé devant le juge d’instruction tendant à lui expliquer que les fonds ont servi à alimenter un ami avec qui il avait projeté de faire des affaires de vente de véhicules.
Il a montré que les ressources de la SBEE sont des ressources publiques ou de l’Etat et que Clément Coffi Alladagbin étant un agent de la SBEE est donc un agent public auquel s’applique l’ordonnance 79-23.
Sur la base de l’article 147 du Code pénal et de l’article 3 de l’ordonnance 79-23, le représentant du ministère public demande aux jurés de répondre par l’affirmative aux questions qu’il leur a posées et qui leur permettent sur cette base, de disqualifier la qualification préalablement retenue et de la requalifier Ce qui permet, selon lui, de retenir la culpabilité de l’accusé pour requérir sa condamnation à 15 ans de travaux forcés et que ce sera justice faite.
La défense n’est pas de cet avis. Me Julien Togbadja puise son inspiration des écritures saintes. «Nécessité fait surgir le loup du bois» dit la Bible. Du point de vue social, le ministère public n’a pas tenu compte du caractère social du dossier. Au conseil de discipline, il a fait amende honorable, justifie-t-il ; et à la barre, il a reconnu avoir commis des impairs, justifie la défense. «Nous sommes en matière pénale et vous jugez un homme qui est devant vous», insiste-t-il.
Et pour Me Julien Togbadja, l’éducation se fait par le bas. Son client fait partie de ceux qui vivent le quotidien; ceux qui vivent la réalité de tous les jours.
«Si vous voulez donner l’exemple, la fermeté qu’il faut, il faut commencer par le haut. Dans cet environnement où le sommet pourrit tout, à un moment donné vous avez beau être déterminé, vous commencez à fléchir; on ne peut pas refuser les circonstances atténuantes à cet homme qui plaide coupable. Il n’apparait que pour la première fois devant la juridiction criminelle et vous demandez de l’enfoncer», défend-il. Le ministère public, selon Me Julien Togbadja, a oublié le père et veut punir l’enfant. Pour la défense, en tant que délinquant primaire, son client a besoin de bénéficier de circonstances atténuantes ; il faut un assouplissement de la peine. Ce n’est pas la dureté ; vous êtes père et mère de famille, élément du peuple, il faut un peu de souplesse à son égard. Pourquoi ne veut-on pas créer des conditions pour racheter cet homme ? s’interroge-t-il. « Il a cru que ne pouvant manger avec 40.000F qu’il pouvait fructifier les sous. Ne peut-on pas le sauver en cantonnant la peine au temps qu’il a déjà passé en prison ? Il en a passé 12 et le ministère public vous demande d’aller à 15. Je vous prie de bien vouloir tenir compte de tout cela. Considérez qu’il a plaidé coupable et au regard de la loi, il doit bénéficier de circonstances atténuantes.
L’Etat béninois étant dans la cause, la SBEE ne doit plus se constituer partie civile», fait observer, par ailleurs, Me Julien Togbadja.
La Cour après délibérations, a rendu un arrêt de disqualification, de requalification et de condamnation, les faits s’analysant, a-t-elle déduit, plutôt en crime de détournement de deniers publics, car l’accusé alors dépositaire de fonds publics en a fait usage à sa guise. Il est passible de l’application des articles 147 du Code pénal et de l’article 3 de l’ordonnance 79-23 du 10 mai 1979 et l’a condamné à 11 ans de travaux forcés
Arrêté de débet non conforme au préjudice subi
Statuant sur les intérêts civils, la Cour a prié la partie civile de faire part de ses observations proprement dites. Ainsi, pour Me Pognon, l’acte matériel qui fonde les intérêts civils est l’arrêté de débet. Et comme il existe une certaine ambiguïté entre le montant présenté par le représentant de l’AJT et ce qui est ressorti des débats et présenté par le représentant du directeur général de la SBEE, Me Serge Pognon a souhaité que l’examen desdits intérêts soit renvoyé à une prochaine session de la Cour d'assises afin que les positions soient harmonisées et le nécessaire fait.
Le ministère public s’est associé à ses observations de la partie civile.
Quant à la défense, seule la personne légalement désignée ayant des compétences est l’agent judiciaire du trésor. Pour elle donc, la SBEE ne peut ester. « Si la partie civile n’est pas prête, vous déciderez de la conduite à tenir ».
Il est inadmissible pour lui qu’après plus de 10 ans, on ne puisse pas évaluer le préjudice qu’on a subi depuis 2003, s’est offusqué Me Julien Togbadja. Cela ne fait qu’illustrer, selon lui, l’état de la gouvernance des entreprises.
En réplique, Me Serge Pognon estime que la SBEE est régie par les lois de l’OHADA. La SBEE agit à titre principal et l’AJT à titre accessoire.
Sur les intérêts civils, les représentants de l’AJT et du directeur général de la SBEE sollicitent le renvoi en vue d’une évaluation exacte du montant du préjudice subi.
Après délibérations, la Cour a estimé que l’examen des intérêts civils est généralement basé sur un arrêté de débet que présente généralement l’agent judiciaire du trésor. Ayant donc relevé une discordance entre les montants présentés par Omer Gagui et le représentant du directeur général, Monique Ouadaï, elle a renvoyé l’examen des intérêts civils à la prochaine session.