La Nation Bénin...

Tangma Kpanté, conseillère et formatrice en relations saines: « Une relation saine peut devenir malsaine et toxique »

Société
Tangma Kpanté Tangma Kpanté

Les relations humaines, lorsqu’elles sont au beau fixe, participent de l’équilibre de l’homme et des familles. Mais cela passe pour un vrai défi aujourd’hui au regard des violences de toutes sortes qui mettent à mal les valeurs humaines. Tangma Kpanté, spécialiste Prévention et Gestion des violences domestiques, fondatrice de African Center for Healthy Relationships (Arche) et son équipe en font leur combat. 

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 16 nov. 2023 à 08h57 Durée 5 min.
#Tangma Kpanté #conseillère et formatrice en relations saines #malsaine et toxique

Au Centre africain des relations saines (Arche), votre combat parle de lui-même. Que doit comprendre le lecteur à travers les notions de relations saines et malsaines ?

Toute relation se situe à un point du spectre relationnel. Sur ce spectre relationnel, il y a trois types de relations : une relation saine, malsaine, ou toxique. Une relation saine est construite sur, entre autres, le respect, la confiance, la bonne communication, l'honnêteté et l'égalité. Si nous sommes dans une relation dans laquelle ces éléments sont absents ou tendent à disparaître, nous devons commencer par nous poser les bonnes questions et surtout agir. Une relation saine peut évoluer en relation malsaine et peut devenir, si rien n’est fait, une relation toxique c’est-à-dire violente. La violence peut être verbale, émotionnelle, psychologique, économique, sexuelle, spirituelle et physique. Aujourd’hui nous ajoutons même la violence technologique.

Je voudrais faire remarquer ici qu'il s'agit de toute relation, pas seulement des relations amoureuses ou conjugales. Ça peut être une relation amicale, fraternelle, ou même parentale. Nous devons veiller à ce que toutes les relations de notre vie soient des relations saines qui nous garantissent le bien-être et nous propulsent vers l’avant. Une relation saine ne veut pas dire une relation sans problèmes ou défis. Une relation saine veut simplement dire que lorsqu’il y a des problèmes, on utilise des moyens basés sur le respect et tous les éléments précités pour les résoudre et non la violence. Il faut reconnaître aussi que toute relation a besoin de travail et demande des sacrifices. Mais jusqu'où vont ces sacrifices ? Où poser les limites ? Surtout en matière de relation amoureuse et conjugale, nous commettons souvent l’erreur de nous accrocher à certaines relations alors qu’elles sont déjà toxiques. Toute personne peut changer et remplacer ses comportements violents par des comportements sains, mais lorsqu'il s’agit d’une relation toxique ou violente, la priorité, c’est notre bien-être et notre sécurité.

De la même manière, nous abandonnons aussi des relations malsaines qui peuvent toujours être travaillées et devenir des relations saines avec la volonté des deux partenaires, les outils et l’accompagnement nécessaires. Pire, nous abandonnons même parfois des relations saines qui font juste face à des défis à surmonter, c’est-à-dire des conflits conjugaux. Dans ce monde de “fast food” et d’attentes irréalistes où nous sommes aujourd'hui, il devient de plus en plus difficile aux couples de faire preuve de patience l’un envers l’autre. Que ce soit un conflit conjugal ou une relation malsaine, le travail à faire requiert la volonté des deux partenaires. D'où la nécessité de savoir, en matière de relation conjugale, la différence entre le conflit conjugal et la violence conjugale. Ce sont des notions que nous développons en profondeur dans nos formations et programmes d’accompagnement au centre Arche. 

Quel est le sens de votre engagement ?

J’ai toujours été la voix des sans voix, d'où mon surnom de “juge” à la maison. J’ai aussi milité dans plusieurs groupes et associations et travaillé avec plusieurs organisations non gouvernementales. Mon désir étant toujours d’aider les vulnérables. C’est ce qui a d’ailleurs motivé mes études et formations dans le domaine du développement international et les organisations non gouvernementales. Mon action aujourd’hui dans le domaine des relations saines et violences domestiques, plus qu’un travail ou une passion, est une mission de vie. Je suis venue à ce domaine à la suite de mes propres expériences en matière de violence domestique et conjugale. Je voudrais dire aux lecteurs qui me lisent et ne se retrouvent pas toujours dans ce qu’ils devraient accomplir dans ce monde, de se tourner vers leur histoire et leurs expériences personnelles. Ils y trouveront des réponses. Aujourd'hui, je me base sur mes expériences pour aider autant de personnes que possible à éviter les erreurs que j’ai commises en matière de relation. Ma mission est que toute personne connaisse ce qu’est une relation toxique, la différence entre le conflit conjugal et la violence conjugale. Et surtout connaître les signes précurseurs de violence pour pouvoir la détecter très tôt et prendre des mesures adéquates. 

Pensez-vous que les sociétés africaines et du monde courent à leur perte parce que la vie de couple devient de plus en plus toxique ?

Votre préoccupation est très pertinente! Vous savez, les relations toxiques ont toujours existé, que ce soit en Afrique ou ailleurs. Dans nos formations certifiantes sur la “prévention et gestion des violences domestiques-assistance aux victimes”, nous parcourons l’historique du mouvement de lutte contre les violences domestiques. Nos étudiants sont souvent étonnés d’apprendre que la violence domestique et conjugale était un droit pour l’homme à une période donnée de l’histoire de l'humanité. L’homme avait le droit de battre sa femme. L’homme avait le pouvoir de vie et de mort sur sa femme et ses enfants.

C’est avec le mouvement féministe à travers les revendications des droits des femmes que nous sommes arrivés récemment à la lutte contre les violences domestiques. Les États-Unis ont adopté la loi fédérale sur la violence contre les femmes (Vawa) en 1994. Après l'adoption de la Vawa, le taux de violence conjugale contre les femmes a diminué de 53 % entre 1993 et 2008. Les taux de violence contre les hommes ont diminué de 54 %. C’est cette loi qui a également permis de mettre à la disposition de la population une ligne verte d'écoute et d’assistance de victimes de violences domestiques.

En donnant à la fois les taux des femmes et des hommes victimes, je voudrais souligner que les questions de violences domestiques ne sont pas des questions de féminisme. Quoique la majorité des victimes soient des femmes, les deux sexes peuvent à la fois être victimes et auteurs de violences conjugales.

Nous sommes aujourd’hui à l'ère de l’information, avec la prolifération des réseaux sociaux. Ce qui nous permet d'avoir rapidement accès aux informations sur certains sujets et cas de violence. Les exemples de cadres et personnalités qui battent leurs femmes foisonnent au Bénin et ailleurs. Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication nous sommes informés des cas et arrivons à former des gens désireux de suivre une formation sur la lutte contre les violences domestiques. Aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses pour demeurer dans l’ignorance. Nous faisons tout pour rendre l’information et l'éducation accessibles à tous, et nous espérons que les populations, organisations et professionnels joueront également leur partition. Enfin, j’en appelle aussi à l'engagement des preneurs de décisions de nos pays. Aux Etats-Unis et en France, les actions de lutte contre les violences domestiques ont véritablement commencé par porter de fruits lorsque l’Etat a pris un engagement ferme dans ce sens. Je voudrais d’ailleurs saluer les actions du gouvernement béninois dans ce sens, à travers notamment l’Institut national de la femme (Inf). 

Comment les couples et les familles peuvent-ils vivre en harmonie ?

Plus que la sensibilisation, notre travail consiste à éduquer les gens. Tout comme nous investissons dans d’autres aspects de notre vie, il est temps de commencer par investir aussi dans l'acquisition des outils nécessaires pour une vie familiale saine. Aujourd'hui plus que jamais, nous avons l'information à notre portée. Nous pouvons décider d’avoir les outils nécessaires pour bien communiquer dans la famille, surtout avec nos enfants, et suivre une formation dans ce sens. Nous nous préparons pour plusieurs choses dans la vie mais nous ne sommes pas assez prêts pour être parents. Être parent, c’est plus que s’occuper des besoins physiologiques de l’enfant ; nous sommes aussi responsables de leur stabilité émotionnelle et psychologique. Aujourd'hui nous pouvons décider d’avoir les outils pour une bonne éducation sexuelle de nos enfants. C’est une réalité que nous n’avons pas reçu cette éducation de la part de nos parents. Mais nous avons aujourd’hui le choix de briser ce cercle. 

Que gagnent les couples, les familles et les organisations auprès de vous ?

Nos parents ne savaient rien des différents types de tempéraments et personnalités avec leurs forces et défis. Aujourd’hui nous avons ces formations à notre disposition. Notre stratégie à Arche consiste à offrir les outils nécessaires pour tous les aspects de la vie familiale à travers des ateliers, conférences et programmes d'accompagnement. En plus des individus, couples et familles, nous offrons également des programmes de formation et de renforcement de capacités à l’endroit des professionnels et organisations pour la gestion efficace des cas de violences domestiques. Plusieurs professionnels "revictimisent" les victimes sans le savoir. Ceux qui sont dans ces situations et qui nous contactent obtiennent gain de cause. Notre mission, c’est de fournir aux individus les informations et les outils nécessaires pour vivre dans des environnements sains, afin qu’ils puissent libérer tout leur plein potentiel. Je crois fermement que les relations saines sont possibles.