La Nation Bénin...
Les relations humaines, lorsqu’elles sont au
beau fixe, participent de l’équilibre de l’homme et des familles. Mais cela
passe pour un vrai défi aujourd’hui au regard des violences de toutes sortes
qui mettent à mal les valeurs humaines. Tangma Kpanté, spécialiste Prévention
et Gestion des violences domestiques, fondatrice de African Center for Healthy
Relationships (Arche) et son équipe en font leur combat.
Au Centre africain des relations saines (Arche), votre combat parle de lui-même. Que doit comprendre le lecteur à travers les notions de relations saines et malsaines ?
Toute relation se situe à un point du spectre
relationnel. Sur ce spectre relationnel, il y a trois types de relations : une
relation saine, malsaine, ou toxique. Une relation saine est construite sur,
entre autres, le respect, la confiance, la bonne communication, l'honnêteté et
l'égalité. Si nous sommes dans une relation dans laquelle ces éléments sont
absents ou tendent à disparaître, nous devons commencer par nous poser les
bonnes questions et surtout agir. Une relation saine peut évoluer en relation
malsaine et peut devenir, si rien n’est fait, une relation toxique c’est-à-dire
violente. La violence peut être verbale, émotionnelle, psychologique,
économique, sexuelle, spirituelle et physique. Aujourd’hui nous ajoutons même
la violence technologique.
Je voudrais faire remarquer ici qu'il s'agit de
toute relation, pas seulement des relations amoureuses ou conjugales. Ça peut
être une relation amicale, fraternelle, ou même parentale. Nous devons veiller
à ce que toutes les relations de notre vie soient des relations saines qui nous
garantissent le bien-être et nous propulsent vers l’avant. Une relation saine
ne veut pas dire une relation sans problèmes ou défis. Une relation saine veut
simplement dire que lorsqu’il y a des problèmes, on utilise des moyens basés
sur le respect et tous les éléments précités pour les résoudre et non la
violence. Il faut reconnaître aussi que toute relation a besoin de travail et
demande des sacrifices. Mais jusqu'où vont ces sacrifices ? Où poser les
limites ? Surtout en matière de relation amoureuse et conjugale, nous
commettons souvent l’erreur de nous accrocher à certaines relations alors
qu’elles sont déjà toxiques. Toute personne peut changer et remplacer ses
comportements violents par des comportements sains, mais lorsqu'il s’agit d’une
relation toxique ou violente, la priorité, c’est notre bien-être et notre
sécurité.
De la même manière, nous abandonnons aussi des
relations malsaines qui peuvent toujours être travaillées et devenir des
relations saines avec la volonté des deux partenaires, les outils et
l’accompagnement nécessaires. Pire, nous abandonnons même parfois des relations
saines qui font juste face à des défis à surmonter, c’est-à-dire des conflits
conjugaux. Dans ce monde de “fast food” et d’attentes irréalistes où nous
sommes aujourd'hui, il devient de plus en plus difficile aux couples de faire
preuve de patience l’un envers l’autre. Que ce soit un conflit conjugal ou une
relation malsaine, le travail à faire requiert la volonté des deux partenaires.
D'où la nécessité de savoir, en matière de relation conjugale, la différence
entre le conflit conjugal et la violence conjugale. Ce sont des notions que
nous développons en profondeur dans nos formations et programmes
d’accompagnement au centre Arche.
Quel est le sens de votre engagement ?
J’ai toujours été la voix des sans voix, d'où
mon surnom de “juge” à la maison. J’ai aussi milité dans plusieurs groupes et
associations et travaillé avec plusieurs organisations non gouvernementales.
Mon désir étant toujours d’aider les vulnérables. C’est ce qui a d’ailleurs
motivé mes études et formations dans le domaine du développement international
et les organisations non gouvernementales. Mon action aujourd’hui dans le
domaine des relations saines et violences domestiques, plus qu’un travail ou une
passion, est une mission de vie. Je suis venue à ce domaine à la suite de mes
propres expériences en matière de violence domestique et conjugale. Je voudrais
dire aux lecteurs qui me lisent et ne se retrouvent pas toujours dans ce qu’ils
devraient accomplir dans ce monde, de se tourner vers leur histoire et leurs
expériences personnelles. Ils y trouveront des réponses. Aujourd'hui, je me
base sur mes expériences pour aider autant de personnes que possible à éviter
les erreurs que j’ai commises en matière de relation. Ma mission est que toute
personne connaisse ce qu’est une relation toxique, la différence entre le
conflit conjugal et la violence conjugale. Et surtout connaître les signes
précurseurs de violence pour pouvoir la détecter très tôt et prendre des
mesures adéquates.
Pensez-vous que les sociétés africaines et du monde courent à leur perte parce que la vie de couple devient de plus en plus toxique ?
Votre préoccupation est très pertinente! Vous
savez, les relations toxiques ont toujours existé, que ce soit en Afrique ou
ailleurs. Dans nos formations certifiantes sur la “prévention et gestion des
violences domestiques-assistance aux victimes”, nous parcourons l’historique du
mouvement de lutte contre les violences domestiques. Nos étudiants sont souvent
étonnés d’apprendre que la violence domestique et conjugale était un droit pour
l’homme à une période donnée de l’histoire de l'humanité. L’homme avait le
droit de battre sa femme. L’homme avait le pouvoir de vie et de mort sur sa
femme et ses enfants.
C’est avec le mouvement féministe à travers les
revendications des droits des femmes que nous sommes arrivés récemment à la
lutte contre les violences domestiques. Les États-Unis ont adopté la loi
fédérale sur la violence contre les femmes (Vawa) en 1994. Après l'adoption de
la Vawa, le taux de violence conjugale contre les femmes a diminué de 53 %
entre 1993 et 2008. Les taux de violence contre les hommes ont diminué de 54 %.
C’est cette loi qui a également permis de mettre à la disposition de la population
une ligne verte d'écoute et d’assistance de victimes de violences domestiques.
En donnant à la fois les taux des femmes et des
hommes victimes, je voudrais souligner que les questions de violences
domestiques ne sont pas des questions de féminisme. Quoique la majorité des
victimes soient des femmes, les deux sexes peuvent à la fois être victimes et
auteurs de violences conjugales.
Nous sommes aujourd’hui à l'ère de
l’information, avec la prolifération des réseaux sociaux. Ce qui nous permet
d'avoir rapidement accès aux informations sur certains sujets et cas de
violence. Les exemples de cadres et personnalités qui battent leurs femmes
foisonnent au Bénin et ailleurs. Grâce aux nouvelles technologies de
l’information et de la communication nous sommes informés des cas et arrivons à
former des gens désireux de suivre une formation sur la lutte contre les
violences domestiques. Aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses pour demeurer dans
l’ignorance. Nous faisons tout pour rendre l’information et l'éducation
accessibles à tous, et nous espérons que les populations, organisations et
professionnels joueront également leur partition. Enfin, j’en appelle aussi à
l'engagement des preneurs de décisions de nos pays. Aux Etats-Unis et en
France, les actions de lutte contre les violences domestiques ont véritablement
commencé par porter de fruits lorsque l’Etat a pris un engagement ferme dans ce
sens. Je voudrais d’ailleurs saluer les actions du gouvernement béninois dans
ce sens, à travers notamment l’Institut national de la femme (Inf).
Comment les couples et les familles peuvent-ils vivre en harmonie ?
Plus que la sensibilisation, notre travail
consiste à éduquer les gens. Tout comme nous investissons dans d’autres aspects
de notre vie, il est temps de commencer par investir aussi dans l'acquisition
des outils nécessaires pour une vie familiale saine. Aujourd'hui plus que
jamais, nous avons l'information à notre portée. Nous pouvons décider d’avoir
les outils nécessaires pour bien communiquer dans la famille, surtout avec nos
enfants, et suivre une formation dans ce sens. Nous nous préparons pour plusieurs
choses dans la vie mais nous ne sommes pas assez prêts pour être parents. Être
parent, c’est plus que s’occuper des besoins physiologiques de l’enfant ; nous
sommes aussi responsables de leur stabilité émotionnelle et psychologique.
Aujourd'hui nous pouvons décider d’avoir les outils pour une bonne éducation
sexuelle de nos enfants. C’est une réalité que nous n’avons pas reçu cette
éducation de la part de nos parents. Mais nous avons aujourd’hui le choix de
briser ce cercle.
Que gagnent les couples, les familles et les organisations auprès de vous ?
Nos parents ne savaient rien des différents
types de tempéraments et personnalités avec leurs forces et défis. Aujourd’hui
nous avons ces formations à notre disposition. Notre stratégie à Arche consiste
à offrir les outils nécessaires pour tous les aspects de la vie familiale à
travers des ateliers, conférences et programmes d'accompagnement. En plus des
individus, couples et familles, nous offrons également des programmes de
formation et de renforcement de capacités à l’endroit des professionnels et organisations
pour la gestion efficace des cas de violences domestiques. Plusieurs
professionnels "revictimisent" les victimes sans le savoir. Ceux qui
sont dans ces situations et qui nous contactent obtiennent gain de cause. Notre
mission, c’est de fournir aux individus les informations et les outils
nécessaires pour vivre dans des environnements sains, afin qu’ils puissent
libérer tout leur plein potentiel. Je crois fermement que les relations saines
sont possibles.
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