La Nation Bénin...
De
l’Etoile sportive football club de Porto-Novo à la sélection nationale en
passant par le mythique club Dragons Fc de l’Ouémé, Victor Zèvounou a été, à
tous les étages, un sportif exemplaire. La rigueur comme bréviaire, talent
débordant, l’éternel N°8 laisse en legs, à la postérité, l’image d’un
footballeur accompli à la carrière longue, jalonnée de succès et
d’anecdotes.
Victor
Zèvounou. Un sportif au destin atypique. Septuagénaire joyeux, ses touches de
balle impressionnantes et ses techniques légendaires lors des séances
hebdomadaires d’entrainement, sur l’aire de jeu du stade René Pleven,
renseignent que l’ancien capitaine des Dragons Fc n’a rien perdu de son allant
et de son talent. Seule sa perte de vivacité rappelle qu’il n’a plus ses jambes
de redoutable athlète des 20-25 ans.
Taille
moyenne, la démarche dégingandée et le visage épanoui, Victor Zèvounou s’est
toujours révélé être un défenseur intraitable, doté d’une lecture de jeu et
d’une relance hors du commun. Mais sa spontanéité, ses tacles, sa vélocité, sa
détente contrastent avec la nonchalance apparente qu’il affiche. « Un faux
nonchalant » comme aime le taquiner son coéquipier en sélection, David Fèliho.
Des qualités qui expliquent à suffisance, la longévité du joueur au poste de
libéro aussi bien en sélection nationale qu’en club.
Titulaire
indiscutable, durant plus d’une décennie, au sein des Dragons Fc, ce défenseur
teigneux à la mine rembrunie (très peu souriant) a fini par y laisser son
empreinte. Il en est devenu même une légende.
Au
début de sa carrière vers la fin des années 60, avec l’Etoile sportive de
Porto-Novo, le jeune Victor, collégien moyen, évoluait dans le bastion
offensif. Il passait pour un sérial buteur. Progressivement, l’ailier s’est
transformé en milieu de terrain. Un ratisseur très athlétique dès ses premiers
pas au sein des Dragons Fc, avant de terminer sa carrière comme l’un des
meilleurs libéros de sa génération. « Polyvalent capable de jouer à tous
les postes sauf à être gardien de but », aime-t-il à rappeler.
Calme
de nature, à la limite d’une grande timidité, Victor est pourtant intraitable
dans la récupération de balles. «Physiquement aguerri et techniquement
doué, doté d’une intelligence de jeu extraordinaire», renseigne son ancien
coéquipier Hounguè Toudonou dit ‘’Patati’’. C’est à raison que, souvent, son
nom revient, aux côtés d’autres grandes figures du football telles que :
Francis Yèkédo, Saadou do-Régo, Yacoubou Mansourou, Maroufou Adéchokan, Valère
Tchidikofan, Gérard Gandonou..., comme précurseurs de la rédaction des plus
belles pages de l’histoire du club phare de Porto-Novo, au début des années 80.
Détenteur
d’une longue carrière en football de près de deux décennies, le natif d’Atakè
aime scinder ses dix ans passés au niveau des Dragons de l’Ouémé en trois
périodes : celle où il a joué avec les ainés, le grand moment avec les
coéquipiers de sa génération, puis le temps passé ensemble avec les moins âgés
que lui. Victor est un carriériste. Il a longtemps trainé sa bosse au sein des
Dragons Fc qui est comme sa « famille. C’est une partie de
moi-même », exulte le joueur, les yeux pétillants de souvenirs.
Et pourtant, enfant à Porto-Novo, Victor Zèvounou n’avait jamais nourri le rêve de faire la carrière qui a été la sienne plus tard : longue, peu couronnée mais riche en rebondissements.
Fils
de Dénis Zèvounou, commerçant et promoteur d’établissement scolaire et d’une
ménagère, Elisabeth Yénoukoumè Araba, Victor a reçu son premier ballon de son père, comme cadeau. Et ce sont les
murs de la maison familiale qui vont souffrir des tirs répétés du gamin. Victor
aimait taper dans le ballon. Il adorait s’exercer aux tirs de précisions. Très
souvent, des ‘’cercles dessinés aux murs servaient d’outils d’exercice à cet
effet.’’ Tel un sparing partner, les murs lui renvoyaient, évidemment, le
ballon. C’est ainsi que le jeune Victor a appris à aiguiser sa dextérité et à
renforcer son caractère taciturne, à force de vouloir jouer seul. Parfois,
c’est hors de la concession familiale, dans la rue, que l’aspirant footballeur
s’amuse à joindre de loin un poteau avec le ballon.
Pris
d’inquiétude par l’allure que prend la passion de son rejeton pour le ballon,
depuis son bas-âge, son géniteur décide de dissuader le petit
écolier-footballeur de ne pas franchir le rubicon. Papa Denis Zèvounou rêvait
grand : « Victor doit devenir juriste de haut niveau ». Alors autant
éloigner tôt le petit aficionado de la pratique de ce jeu et l’orienter vers le
chemin de la réussite académique. Raison pour laquelle le père l’inscrit dans
l’établissement scolaire dont il est le fondé. (Il n’y enseignait pas. Il était
un illettré !). Mais peine perdue. Car, entre son fils Victor et le ballon
de foot, c’était un amour fusionnel. Le gamin n’a eu de cesse de se cacher pour
assouvir sa passion dans le quartier voisin, à Agbokou.
Au fil du temps, le jeu de l’écolier footballeur se bonifie avec l’âge. Célestin Kouton, l’un des aînés du quartier est subjugué par la technicité et la combativité du jeune Victor. Aussitôt, la pépite est proposée à évoluer à ses côtés au sein du club dénommé Islam Fc. Si, à première vue, personne n’avait parié un sou sur les capacités du gringalet, ses premières touches, ses contrôles de balle ainsi que son but marqué, quelques minutes seulement après son entrée en jeu, ont fini par convaincre tout le monde sur les potentialités du petit ailier virevoltant. Désormais sociétaire du club Islam, Victor y a fait ses armes avec des fortunes diverses. Un club qu’il a marqué de son empreinte par son endurance et sa perspicacité dans le jeu.
Au fil du temps, le talent de Victor Zèvounou s’éclôt. Son nom commence à faire écho dans la cité des Aïnonvi. Tout ceci à l’insu de son père dont le rêve pour sa descendance est à l’antipode de la pratique du football. « Tu ne vas pas à l’école pour jouer », n’a eu de cesse de lui seriner le très rigoureux papa.
Véritable
machine de travail, Victor a atteint un niveau technique presque en adéquation
avec ses qualités athlétiques : buteur, dribbleur, et surtout bon tireur.
Alphonse Hondjo, sociétaire de l’Etoile sportive de Porto-Novo, découvre le
petit prodige. Il tombe sous le charme d’un « joueur véloce, avec une
détente athlétique et un jeu de tête imparable ». C’est alors qu’en 1968,
il propose au jeune joueur de rejoindre l’Etoile sportive. Affolé, le gamin
reste dubitatif. « Moi, évoluer aux côtés de ces aînés, ces
demi-dieux du foot ? », s’est-il demandé tout frileux, l’air ébahi.
Légitime questionnement pour un adolescent, puisque à l’époque, l’Etoile
sportive de Porto-Novo regorgeait de grands noms : les frères Georges et
Bernard Govou, Charles Dossou, Alphonse Hondjo, Moutaïrou Kamelia dit ‘’Roi des
amortis’’, Coffi Firmin dit ‘’Bizoritaire’’, Idriss Bio Tchané, … Passé le
temps des hésitations et la peur de jouer avec « les dinosaures »,
Victor Zèvounou s’est vite intégré au sein de ce club de renom, grand rival à
l’époque de Postel Fc, Asso Porto-Novo, dans la ville capitale.
Au
sein de l’Etoile sportive de Porto-Novo où il a évolué jusqu’en 1974, Victor
Zèvounou s’est vite adapté, malgré son jeune âge. Classé, à l’époque, au rang
de plus jeune parmi les grands. « J’ai bénéficié du soutien ferme et
de l’attention soutenue des aînés », se souvient-il. Talent précoce, sa
vivacité, sa ténacité et son intelligence lui ont vite ouvert les portes des
sélections du District, puis celle provinciale en 1972. Un parcours qui
conduit, plus tard, le jeune homme en sélection nationale en 1977.
Pendant une partie de sa carrière, Victor a été contraint d’évoluer sous le pseudonyme de ’’Zagallo’’. Nom d’emprunt à lui attribué par le célèbre reporter feu Abul Clément et l’un des dirigeants du club, Bernard Pognon. Était-ce pour faire effet avec la lettre ‘’Z’’ de « Zèvounou et Zagallo ou référence est-elle faite simplement à la star brésilienne du foot à l’époque dont c’était le patronyme ? En tout cas, derrière le manège se cache sans conteste la crainte de s’attirer la colère de papa. Car, Denis Zèvounou ne devrait jamais être informé que son fils jouait au foot et à ce niveau. Toutefois, le pot aux roses finit par être découvert, un bel après-midi, alors qu’un reporter, par inadvertance, a laissé parler son cœur : « Victor Zèvounou au duel avec son adversaire, il a eu le dessus, Zèvounou contrôle la balle...Impérial Victor Zèvounou… ». La nuit de cette retransmission radiophonique, la maison familiale du joueur a senti le soufre …. Papa Denis Zèvounou, furieux, se disait avoir perdu son rejeton. Il en a été tout malheureux. Ce n’est que des années plus tard, après la disparition de son père, en 1977, que Victor a retrouvé sa vraie identité dans le milieu du football.
En 1977, les clubs départementaux sont nés sur les cendres des clubs traditionnels du pays. Le jeune lycéen opte pour l'intégration de la sélection provinciale de l’Ouémé, puis devient sociétaire des Dragons Fc ; club qui représentait la Province de l’Ouémé. Il y retrouve d’autres cadors dont entre autres: Simon Gnonlonfoun, Abassi Inoussa, Pamphile Adjovi, Josias Djidonou, Raïmi Soubérou, Adolphe Ogougnon, Yaovi Ahanmada, Gangbo Lavenir…
Débute
alors pour Victor, l’enfant qui ne devrait pas jouer au ballon, une nouvelle
aventure fulgurante de plus d’une décennie avec ce club soutenu par les
richissimes commerçants de la capitale. Milieu remuant, Victor tendait déjà
vers la fin de sa carrière lorsque les circonstances ont fait de lui le libéro
du club. Il règnera en maître dans le bastion défensif dont il était la tour de
contrôle aux côtés de son frère cadet, Sylvain Zèvounou, de Théodore Ahouassou
et surtout de l’intraitable Toudonou Hounguè dit ‘’Patati’’. Victor et ses coéquipiers
ont aidé les Dragons à régner sur le football béninois, voire sous régional.
C’était la période faste des vedettes nationales comme internationales :
Pamphile Adjovi, Mesmin Koukoui, Francis Yèkèdo, Saadou do-Rego. Raoul Zamba,
Opoku N’ti, Francis Kumi, Abédi Pelé, Peter Rufaï, Georges Gormashe…. Des moments mémorables que sont les
affrontements des Dragons contre Olympique Kankande de Gboké (Guinée), Usm
(Gabon), Gormahia (Kénya), Dihep Di Nkam (Cameroun), Vital’o (Burundi) et Al
Ahly (Egypte).
De
ce club, demi-finaliste de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de Coupe en 1987,
son ancien libéro en parle avec excitation. « Dragons Fc était un fétiche.
C’est une chance pour moi d’y avoir joué », aime à répéter, celui qui a
fièrement porté la tunique Orange- noir pendant une décennie. De la vie du
club, Victor révèle la bonne camaraderie, l’ambiance de fraternité qui y a
régné. Puis il souligne la passion qui animait ses dirigeants. « Il était
difficile de quitter les Dragons Fc pour aller ailleurs », insiste-t-il,
précisant que c’est le secret de longévité de ce club. « Chacun
nourrissait l’envie de maintenir le plus longtemps ce maillot. »,
poursuit-il.
D’une
voix enjouée, Victor Zèvounou actualise ses souvenirs de certains grands
moments du club. Les rencontres du très médiatique Tournoi international de
football de Cotonou (Tifoco), les épiques confrontations entre son club et son
éternel rival des Requins de l’Atlantique au cours du Championnat national ou
les matchs de la Coupe du Bénin. La
gorge nouée et la voix plus fluette, le footballeur retraité de Porto-Novo
évoque certaines rencontres internationales qui l’ont marqué :
Dragons-Africa sports d’Abidjan (club que dirigeait le puissant président
Simplice De Messy Zinsou), en 1978, émaillée d’incidents où la formation de
Porto-Novo a subi une fouille au corps pour une affaire relative aux pratiques
occultes. Dragons-Black Stars du Ghana, au stade de l’Amitié de Kouhounou, en
82. Une formation du Ghana avec sa constellation de vedettes en route pour la
Can 80, au Nigeria, avait fait escale à Cotonou et y a affronté les
‘’Ouémènous’’. Le fameux Dragons-Canon Fc de Yaoundé à Cotonou en 83, comptant
pour les éliminatoires de la Coupe des clubs champions, Dragons-Algérie, en
amical à Kouhounou, en 82, lors du
séjour d’acclimatation des Fennecs au Bénin avant de se rendre à la Can 82 à
Tripoli. Des formations qui regorgeaient de grands noms du football africain,
avec lesquelles les Dragons avaient rivalisé. « De grands matchs de foot
qui ont révélé le niveau international des Dragons Fc », a martelé Victor
Zèvounou.
A la question récurrente sur son insistance à refuser d’aller monnayer son talent à l’étranger, Victor soupire. Puis sourit. Et lance, d’un timbre de voix râpeux, comme pour se défendre : « Moi j’aime mon pays ». En réalité, l’ex-libéro des Dragons a toujours manifesté de réticence à céder aux chants des sirènes. Une demi-dizaine de fois, au cours de sa carrière, il a manqué d’aller voir si l’herbe était verte ailleurs. « Qu’est-ce qu’ils n’ont pas fait, les stars ghanéennes Abédi Pelé, et Opoku N’ti pour m’amener avec eux, respectivement en France et en Suisse ?! » s’exclame-t-il. Puis ajoute que son coach russe des Dragons lui avait proposé une bourse pour un Institut de football en Russie. Mais, Victor n’a jamais manifesté un intérêt pour ces sollicitations. Il aime à raconter que même des dirigeants d’un grand club français l’ont presque contraint, parapheur en main, pour qu’il y appose simplement sa signature et devenir, un footballeur professionnel. Mais Victor, vacancier à l’époque chez sa sœur aînée, à Orléans a marqué un refus catégorique, jusqu’à la fin de sa carrière en 1987.
L’amour
du terroir, le natif d’Atakè le cultive. Il continue de le clamer même après sa
carrière de footballeur. Sans regret !
Aujourd’hui
septuagénaire, Victor Zèvounou, l’ancien agent commercial de la Centrale
d’achat (structure devenue plus tard ‘’La Coop’’ puis Alimentation générale du
Bénin (Agb), jouit d’une retraite paisible. L’ancien n° 8 de la sélection
nationale du Bénin a un ancrage indéracinable dans son Porto-Novo natal. Il y
vit et s’y plait. « Monogame joyeux et épanoui », l’heureux
père de famille de cinq enfants, confesse consacrer son temps de repos aux côtés
de sa dulcinée, si ce n’est le temps passé à jouer à la belote avec ses amis ou
aller suivre des rencontres de football des jeunes. ‘ « Regarder les
enfants jouer est excitant. Et leur jeu révèle qu’il y a encore du beau et du
vrai à ce niveau», sourit Victor Zèvounou, plein d’espérance. Puis, il professe
que : « Le pays a encore des chances de connaitre des jours heureux
dans le domaine du football ». La condition est qu’il faut redoubler
d’ardeur au travail.
Si
aujourd’hui, les enfants de Victor (trois garçons et deux filles) n’ont pas
emprunté le chemin du football, l’ex- international ne s’en soucie guère. Au
contraire, il s’en réjouit presque, au vu du « peu d’attention accordé aux
anciens footballeurs de son pays, et le manque de considération à leur
égard »■