La Nation Bénin...
La création du ministère du Plan et du Développement dans le gouvernement en place depuis le 06 avril 2016, est une opportunité pour le Bénin, de réformer son système national de planification : c'est-à-dire le cadre organisationnel de la planification, ses processus, ses techniques et les arrangements institutionnels entre les différents intervenants.
Mon précédent article publié dans la Nation n° 6499 du mardi 31 mai et dans le n°6500 du mercredi 1er juin 2016, plaidait déjà pour le retour du Bénin aux plans nationaux de développement. Mais restaurer les plans ne suffirait pas à renforcer les capacités de gestion du développement du Bénin. Il faudrait en plus, réformer tout le système national de planification en stabilisant son cadre organisationnel et en standardisant ses techniques.
Les systèmes de planification dépendent du contexte économique, social et environnemental national, des caractéristiques de l’État planificateur et surtout de ses capacités de gestion ainsi que des thèses contemporaines de l’économie du développement. Dans cette perspective, une réforme du système national de planification du Bénin requiert de :
1) changer de modèle de développement et opter pour un modèle plus éclectique;
2) recentrer le rôle de l’État dans la gestion du développement en faisant du plan et du marché, les principaux instruments d’allocation des ressources ;
3) assurer la cohérence temporelle des actions publiques en valorisant la prospective;
4) adapter les instruments de planification à un contexte en pleine mutation et en élaborant un Plan national de développement durable (PNDD) pour la période 2017-2021;
5) définir une stratégie de financement du développement basée sur un bilan de la Table Ronde de Paris et orientée vers la mobilisation de financements alternatifs à l’APD (fondations philanthropiques, BRICS , fonds de la diaspora, fonds environnementaux, fonds arabes, notamment); et
6) institutionnaliser la fonction planificatrice autour d’une loi-cadre et une commission nationale de planification.
Changer de modèle de développement
Les modèles de développement se basent sur les concepts, les théories et les pratiques de l’économie du développement, sur les faits stylisés et la recherche empirique pour préconiser des voies à suivre pour surmonter les obstacles aux progrès économiques, sociaux et environnementaux dans les pays en développement.
Les planificateurs béninois des années d’avant 1990, comme d’ailleurs dans le tiers monde, ont tenté à travers les plans qu’ils élaboraient d’appliquer les principales théories de l’économie du développement ainsi que les stratégies y relatives. Fortement inspirés par le décollage de Rostow , le dualisme des Lewis et le structuralisme de R. Prebish, Samir Amin et al., ils ont fait des choix stratégiques qui se sont avérés par la suite inopérants. Des stratégies de développement autocentré aux industries «industrialisantes» en passant par l’industrialisation par substitution des importations, les planificateurs ont tout essayé mais le constat d’échec est le même partout.
Le bilan de plus d’un demi-siècle de gestion du développement met ainsi en exergue les limites des modèles appliqués ainsi que des schémas de croissance sous-jacents. Ni le libéralisme du début des indépendances, ni le socialisme de l’ère révolutionnaire, ni le consensus de Washington qui a inspiré le modèle d’ajustement structurel, encore moins les stratégies de lutte contre la pauvreté, n’ont favorisé une augmentation substantielle de la croissance du PIB pour améliorer les conditions de vie. Ils n’ont pas non plus apporté un gain de productivité suffisant pour opérer la transformation structurelle de l’économie, ni une compétitivité accrue susceptible de mettre le pays sur la voie de l’émergence.
Aujourd’hui encore les thèses sur le développement foisonnent. Entre 1990 et l’an 2000, le développement s’est vu affublé de nouveaux qualificatifs : développement durable et développement humain, notamment. De même, les concepts comme l’émergence et la croissance inclusive figurent en permanence sur l’agenda actuel du développement. Cependant ces théories et autres paradigmes ne doivent pas faire l’objet d’une application aveugle. Ils doivent être appropriés et mis en œuvre en tenant compte du contexte national.
En conséquence, la conception du SNP doit chercher, au regard des réalités spécifiques du pays, à identifier les points forts de chacun de ces référentiels pour en faire une application judicieuse. La finalité est d’éviter d’enfermer le SNP dans des dogmes, des idéologies et autres effets de mode. Il s’agit plutôt de rechercher dans ce foisonnement de théories et paradigmes, des éléments intéressants permettant d’opérer le choix d’un modèle éclectique susceptible d’être appliqué avec succès aux défis nationaux de développement.
Recentrer le rôle de l’État
Face aux défis qui se posent au pays au plan démographique, social, économique et environnemental, l’État est appelé à jouer un rôle central dans la gestion du développement.
Ce rôle par le passé a été vertement décrié en ce qu’il a conduit à un interventionnisme hypertrophique, causé les déséquilibres financiers du milieu des années 80 et conduit à l’ajustement structurel et à son cortège d’austérités. Aujourd’hui, les bonnes pratiques enregistrées dans les pays ayant opéré avec succès leur transformation structurelle, enseignent que le rôle de l’État dans l’économie pour être efficace, doit être recentré.
Il y a trois manières d’opérer ce recentrage : (i) consolider l’environnement institutionnel en place; (ii) doter l’État des instruments appropriés de gestion du développement ; et (iii) renforcer ses capacités.
La consolidation de l’environnement institutionnel
Un environnement institutionnel propice à la gestion du développement par l’État suppose un leadership éclairé, de solides fondations politiques, des processus décisionnels participatifs, une prise en compte de l’intégration régionale.
Le leadership éclairé est incarné par des gouvernants engagés, crédibles et compétents. Asseoir de solides fondations politiques, signifie de consolider les bases démocratiques du pays, l’Etat de droit et les libertés fondamentales. Le degré d’implication des divers autres acteurs : secteur privé et société civile dans la prise de décision, renforce l’appropriation nationale et améliore la qualité de la gouvernance. Cela suppose une administration compétente, professionnelle et impartiale, qui assure la mise en œuvre efficace des politiques publiques.
L’intégration sous-régionale et régionale joue un rôle important dans les échanges et les investissements directs étrangers. Elle est donc une réalité à prendre en compte dans la consolidation de l’environnement institutionnel.
Il est à espérer que les réformes politiques et institutionnelles inscrites à l’agenda du présent quinquennat viennent renforcer le cadre global de gestion du développement et améliorer l’économie politique des réformes en faisant émerger une classe d’acteurs politiques crédibles et compétents, désireux de doter le pays d’une vision de développement; capables d’anticipation et de réformes; porteurs d’idéaux de changement; attentifs aux préoccupations des populations et sachant communiquer et persuader.
Les instruments appropriés de gestion du développement
L’État doit disposer de trois (3) principaux instruments pour jouer efficacement le rôle central qui lui est dévolu dans la gestion du développement à savoir : le marché, le plan et des politiques publiques appropriées.
Les bonnes pratiques enseignent que l’État peut valablement utiliser le marché non seulement comme un mécanisme d’allocation de ressources mais aussi comme un instrument.
Mais le marché livré à lui-même ne saurait opérer spontanément les changements structurels qu’exige le développement. C’est pour cela que l’État doit recourir, aux côtés du marché, au plan comme un instrument d’intervention dans une perspective de complémentarité et d’efficacité accrue dans la gestion du développement.
Cette perspective exige que l’État se dote de politiques publiques à même d’assurer la stabilité macroéconomique, de promouvoir une croissance vigoureuse et inclusive, de garantir une fourniture adéquate des biens publics et des services collectifs aux populations, de créer les bases d’une transformation structurelle durable de l’économie.
Le renforcement des capacités de l’État
L’État doit disposer de capacités suffisantes pour se doter de politiques publiques pertinentes, efficaces et efficientes. La gouvernance économique, la gouvernance financière, le suivi et l’évaluation sont les domaines clés dans lesquels, l’État doit être renforcé pour favoriser la mise en place d’un système de planification opérant au service du développement.
Ainsi, les services de l’administration publique aux différents niveaux doivent être capables, en matière de gouvernance économique : (i) de conduire des réflexions stratégiques, (ii) d’assurer la gestion macroéconomique, (iii) de concevoir et d’exécuter les politiques, programmes et projets de développement, et (iv) de mettre en œuvre les réformes (structurelles et institutionnelles) ; en matière de gouvernance financière, : (v) d’observer la discipline budgétaire; (vi) d’assurer l’efficacité de l’allocation budgétaire ; et (vii) de garantir l’efficience de l’exécution budgétaire ; en matière de suivi et d’évaluation : (ix) d’assurer la disponibilité de données actuelles et une bonne qualité des flux d’informations ; (x) de produire dans les délais requis et régulièrement, des indicateurs fiables et aptes à rendre compte des progrès accomplis dans l’atteinte des objectifs fixés ; (xi) de conduire des évaluations sur la performance des politiques ; (xii) d’utiliser les résultats de ces évaluations pour éclairer la prise de décision.
Assurer la cohérence temporelle de l’action publique
La nature et l’impact attendus de l’action publique nécessitent de la part des décideurs des choix temporels cohérents. Ils doivent décider de ce qu’il faut faire dans le court terme pour atteindre des objectifs de moyen terme. Dans le même temps, pour concrétiser la vision nationale de long terme, ils doivent aussi décider de ce qui est à faire à moyen terme. Le temps est donc une variable clé en matière de planification et tout système national de planification doit reposer sur un cadre temporel cohérent.
La première dimension temporelle à considérer dans le SNP est d’abord l’année. C’est au cours de l’année que l’État met en œuvre son budget qui est l’expression financière de sa politique. Conformément à la loi de finances, il doit collecter les impôts et taxes, mobiliser les ressources extérieures et exécuter les dépenses publiques de fonctionnement et d’investissements. Il doit également faire face à la conjoncture. Même si elle se réalise au cours de l’année, l’action de l’État doit s’inscrire dans la durée et de manière cohérente d’une période à une autre. Les choix budgétaires doivent ainsi se faire en référence aux stratégies globales et sectorielles élaborées sur le moyen ou long terme.
La deuxième dimension temporelle à considérer dans le SNP est le court terme qui pourrait aller d’un an à trois ans. A court terme, l’État doit procéder aux allocations budgétaires pluriannuelles tout en assurant les équilibres financiers internes et externes du pays. L’État agit dans ce cas à travers la politique économique avec comme finalité la stabilité macroéconomique c’est-à-dire un niveau jugé soutenable pour l’économie, d’un ensemble de variables macroéconomiques clés. La stabilité macroéconomique est un facteur déterminant pour les investissements et la croissance. Elle conditionne l’efficacité des actions à moyen terme.
La troisième dimension temporelle à considérer dans le SNP est le moyen terme qui pourrait être une période de 4 ou 5 ans. A moyen terme, l’État doit veiller à prendre en compte les retombées de certaines interventions initiées dans le court terme. Il en est ainsi, par exemple, des coûts récurrents des investissements réalisés et qui doivent être intégrés dans la planification. A moyen terme, il y a aussi à prendre en compte les actions publiques dont la mise en œuvre va au-delà du court terme. C’est le cas des grands projets d’infrastructures qui requièrent des études techniques (pré-faisabilité, faisabilité,…), des études environnementales et des études de rentabilité (financière et économique). Toutes ces actions de nature pluriannuelle doivent être judicieusement programmées en fonction de leur degré de maturité, dans une perspective de moyen terme pour s’assurer de leur réalisation.
La quatrième dimension à considérer dans le SNP est le long terme qui pourrait être considéré comme la période au-delà de 5 ans. A long terme, quel que soit le rôle que le marché est appelé à jouer, l'État continuera d’exercer un certain nombre de missions (stabilisation, allocation, redistribution) qui peuvent difficilement lui être contestées et qui lui imposent d'anticiper les tendances lourdes de l'évolution économique et sociale.
Par Sylvain Théodule DEGBE*