La Nation Bénin...
De
passage au Bénin, Patrick Juillard, journaliste et spécialiste du football
africain, a assisté à plusieurs rencontres du championnat d’élite pour
s’imprégner des réalités locales. Dans cet entretien, il partage ses
impressions sur le niveau de la compétition, analyse les chances des Guépards à
la Can 2025 au Maroc et donne les favoris pour le titre continental.
La Nation : Nous vous connaissons en tant que journaliste et analyste du football africain. Mais en réalité, qui est Patrick Juillard ?
Patrick Juillard : C’est une question à laquelle il n’est pas simple de répondre, mais je vais tenter. Avant tout, je suis un passionné de football, d’Afrique et des peuples qui la composent. Les voyages que j’ai la chance de réaliser aujourd’hui me permettent de combiner ces trois passions. C’est d’ailleurs une réflexion que je poursuis constamment sur moi-même. J’aime le partage et les échanges, ce qui explique le plaisir que je prends à intervenir sur des plateformes comme Rfi (Radio France Internationale). Mon ambition est de découvrir l’Afrique dans toute sa profondeur, en me débarrassant des préjugés ou des perspectives européennes. Mon approche se veut ouverte, sincère et respectueuse des réalités locales.
Pourquoi avoir choisi de vous consacrer au sport, et plus précisément au football africain ?
J’ai toujours été passionné par le football. Un moment charnière dans ma carrière m’a permis de faire un choix : j’ai eu l’opportunité de travailler dans la presse spécialisée. J’ai saisi cette chance, et aujourd’hui, je m’en réjouis. Cela a donné un sens à mes passions et m’a permis de les partager avec un large public. C’est ainsi que mon parcours a pris cette direction.
Quel est l’objet principal de votre visite au Bénin ?
Il s’agit principalement d’une visite de loisir. Je ne suis pas venu pour travailler, mais j’en ai profité pour m’intéresser à quelques matchs du championnat local. Cela m’a permis d’observer de plus près la réalité du football béninois.
Quelle
est votre appréciation du niveau du championnat béninois, notamment la Ligue
Pro de football ?
J’ai assisté à un match entre Sobemap et l’As Police à Avrankou. J’ai perçu un travail tactique et une certaine réflexion sur le jeu. La qualité des sorties de balle et des mouvements m’a semblé prometteuse. Cela témoigne des efforts des entraîneurs pour développer des principes de jeu. Cependant, à mon sens, le championnat gagnerait à être resserré. Une élite composée de moins de clubs permettrait l’émergence de locomotives capables de tirer l’ensemble vers le haut. La réduction de l’élite et l’instauration d’une poule unique l’année prochaine sont déjà des mesures encourageantes. Pour que le football béninois progresse davantage, il faut que les clubs parviennent à atteindre régulièrement les phases de poules des compétitions continentales. Il reste encore du chemin à parcourir, mais les bases actuelles sont plus solides qu’il y a quelques années. Aujourd’hui, le championnat est organisé de manière régulière, ce qui n’était pas le cas par le passé.
Avez-vous remarqué des joueurs béninois ayant des qualités susceptibles d’intéresser des recruteurs internationaux ?
Oui, assurément. Toutefois, pour évaluer un joueur, il est essentiel de l’observer sur plusieurs matchs. Lors de cette visite, il m’est donc difficile de citer des noms précis. Cependant, pour faire progresser le championnat, il est nécessaire que chaque année, quelques joueurs soient exportés vers d’autres pays. Cela permet de libérer de la place pour les jeunes talents locaux, créant ainsi une dynamique vertueuse. Il est cependant primordial que ces joueurs soient bien conseillés afin d’éviter les erreurs. Certains talents partis à l’étranger ont malheureusement vu leur carrière stagner ou régresser en raison de choix inadéquats. Je pense notamment à Charbel Gomez, mais il n’est pas un cas isolé. La maturité et la lucidité sont essentielles. Un joueur doit être conscient de son niveau réel pour planifier judicieusement sa carrière. Croire que l’on peut immédiatement intégrer des compétitions comme la Ligue des champions est illusoire.
Quelles mesures prendre pour rendre le championnat béninois plus attractif ?
Ce qui a été accompli jusqu’à présent constitue un premier pas encourageant. Certains clubs attirent déjà des joueurs venus du Niger, du Togo ou de la Côte d’Ivoire. Cela démontre un certain sérieux dans l’organisation. Toutefois, pour aller plus loin, il faut resserrer l’élite et renforcer les dotations des rencontres. Cela accroîtrait la motivation et permettrait d’augmenter l’intensité des enjeux. Il faut également encourager des luttes acharnées pour le titre, tout en favorisant l’émergence de clubs solides et réguliers. A l’heure actuelle, avec deux groupes de 18 clubs, l’émulation reste limitée.
La formation des joueurs et encadreurs est souvent citée comme un enjeu crucial. Quelle importance accordez-vous à ce volet, et quelles pistes d’amélioration proposez-vous ?
La
formation est effectivement un élément fondamental. Les clubs devraient être
obligés d’avoir des équipes de jeunes. Ce n’est pas suffisant de disposer de
moyens financiers pour acheter les meilleurs jeunes. Il faut que les dotations
accordées aux clubs soient conditionnées au développement d’académies et
d’équipes de jeunes. Ainsi, un système vertueux pourrait se mettre en place :
les meilleurs jeunes intègreraient les équipes premières, et les meilleurs
éléments de ces dernières s’expatrieraient, créant un effet d’entraînement.
Cela exige un encadrement de qualité et des formateurs compétents. Ces efforts
financiers représentent un investissement qui pourrait porter ses fruits sur le
long terme. En somme, pour structurer le football béninois, il faut une vision
claire, des moyens et de la persévérance.
Avec les réformes récentes, pensez-vous que le public sportif béninois peut nourrir de grands espoirs pour l’avenir de son football ?
Je pense qu’il est tout à fait possible de réaliser de belles choses. Le Bénin n’aura jamais le réservoir de talents du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, en raison de sa plus petite population. C’est un fait mathématique : une population moindre implique un vivier de jeunes talents plus réduit. Cependant, avec une organisation rigoureuse et un travail sérieux, il est tout à fait envisageable d’élever le niveau du football national.
Le Bénin a peu de joueurs évoluant dans les grands championnats européens. Quels leviers peuvent être actionnés pour augmenter la présence de nos joueurs au plus haut niveau ?
Je pense qu’il faut mettre en place des filières de formation sur le long terme. Les meilleurs clubs locaux devraient établir des partenariats avec des clubs européens pour faciliter l’intégration des jeunes talents. Il est essentiel de leur offrir un cadre propice à leur adaptation lorsqu’ils arrivent en Europe, afin qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes. Cela nécessite une certaine patience : il ne faut pas chercher à tirer immédiatement un bénéfice financier des transferts. Parfois, il est préférable de reculer pour mieux sauter, c’est-à-dire permettre aux joueurs de se perfectionner en Europe avant de viser le plus haut niveau. Les clubs européens recherchent principalement des jeunes joueurs, souvent âgés d’une vingtaine d’années. Les joueurs plus âgés, même talentueux, ne les intéressent pas toujours. Il est donc primordial d’identifier ces talents très tôt, de les préparer localement, puis de les accompagner dans leur développement à l’étranger. Cependant, cette approche demande une vision à long terme, ce qui peut être un défi pour certains dirigeants de clubs, souvent trop pressés d’obtenir des résultats immédiats.
Malgré l’absence de « grands noms », le Bénin s’est qualifié pour la Can 2025 au Maroc. Comment jugez-vous le parcours des Guépards du Bénin lors des éliminatoires ?
Les
Guépards ont démontré une grande résistance et beaucoup de ténacité. Ils ont
décroché leur qualification lors de la dernière journée, à l’extérieur, dans
des conditions difficiles. Le match décisif contre la Libye a été très disputé,
avec une préparation et un contexte tendus, notamment en raison d’un accueil
peu chaleureux de la part des Libyens. Malgré ces obstacles, le Bénin a su
faire preuve de résilience. Ce parcours est marqué par des performances
intéressantes, avec notamment 7 buts inscrits lors des éliminatoires. L’attaque
a été au rendez-vous, portée par un Steve Mounié en véritable leader offensif.
Cependant, il reste des marges d’amélioration, notamment au milieu de terrain.
La transition entre la défense et l’attaque peut encore être optimisée.
Globalement, l’équipe est sur la bonne voie, et le retour à la Can, après avoir
manqué deux éditions, est très encourageant. Si le Bénin avait échoué une
troisième fois, cela aurait pu engendrer un certain découragement, comme ce fut
le cas pour le Togo. Cette qualification met donc fin à une mauvaise série et
redonne de l’espoir au football béninois.
Pensez-vous que l’équipe béninoise a les moyens de briller au Maroc, comme elle l’avait fait en 2019 en atteignant les quarts de finale sous Michel Dussuyer ?
Je pense même que le Bénin peut faire mieux, pour une raison simple. En 2019, l’équipe avait atteint les quarts de finale sans remporter un seul match, grâce à une défense solide. Aujourd’hui, l’équipe a évolué. Bien que Saturnin Allagbé ne soit plus le gardien qu’il était à l’époque, et que certains cadres en défense aient quitté la sélection, le Bénin propose désormais un jeu plus dynamique, notamment dans les transitions. L’objectif principal devrait être de remporter un match. Cela constituerait déjà la meilleure performance historique du Bénin en phase finale et augmenterait considérablement les chances de qualification pour le tour suivant, puisque les quatre meilleurs troisièmes sont retenus. Il est important de progresser étape par étape, sans brûler les étapes. Une victoire, dans un premier temps, serait une avancée significative. Par la suite, sous la direction de Gernot Rohr, qui saura aborder chaque rencontre avec stratégie, le Bénin pourra aspirer à d’autres succès.
Quelle analyse faites-vous des 24 pays qualifiés pour la Can au regard de leurs parcours en éliminatoires ?
Globalement, on constate un déclin marqué de l’Afrique de l’Ouest, avec de nombreuses nations autrefois régulières qui ont manqué leur qualification. La Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Cap-Vert et même le Ghana n’ont pas su répondre aux attentes. A l’inverse, l’Afrique australe est en pleine croissance. Le Botswana fait son retour en phase finale après 13 ans d’absence, et des équipes comme le Mozambique, l’Angola ou l’Afrique du Sud montrent des progrès notables. En Afrique centrale, le Gabon retrouve sa place après avoir manqué la dernière édition, tandis que le Cameroun demeure un pilier stable. L’Afrique de l’Ouest est essentiellement portée par ses locomotives habituelles : le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire.
L’absence de la Guinée et du Ghana était-elle prévisible ?
Oui,
pour des raisons différentes. La Guinée, par exemple, a commis des erreurs dans
sa préparation. La fédération a congédié Kaba Diawara, le sélectionneur, non
pas en raison des résultats de l’équipe première, mais à cause de ceux de
l’équipe olympique. Cette décision manque de logique, car ces deux équipes sont
distinctes. Son remplacement par son ancien adjoint a généré des tensions et
des divisions dans le groupe. Lorsqu’un nouvel entraîneur, Michel Dussuyer, a
été rappelé en octobre, il était déjà trop tard. Malgré un sursaut, notamment
grâce à Serhou Guirassy, la Guinée a perdu un match décisif contre la Tanzanie
et a été éliminée. Quant au Ghana, il s’agit d’un effondrement progressif.
Autrefois la meilleure équipe d’Afrique de l’Ouest, le Ghana n’a pas réussi à
dépasser le premier tour lors des deux dernières éditions et échoue cette fois
lamentablement. Dans une poule qui, il y a 10 ou 15 ans, aurait été facile à
dominer, le Ghana a terminé dernier. Le déclin du Ghana s’explique par un
manque de travail à tous les niveaux. Les équipes U17 et U20, autrefois
redoutables, sont aujourd’hui méconnaissables. Même au sein de l’équipe senior,
des conflits internes et des absences de joueurs clés ont pesé sur les
résultats. Une remise à plat s’impose pour reconstruire cette grande nation de
football.
La Can, c’est en décembre 2025. Quels seront les grands favoris pour la couronne continentale au Maroc ?
Il est difficile de répondre avec certitude plus d’un an à l’avance. Si la compétition avait lieu dans un mois ou deux, le Maroc apparaîtrait pratiquement imbattable. Cependant, plusieurs matchs vont se jouer d’ici à là : les qualifications pour la Coupe du Monde, des rencontres amicales... Cela pourrait redistribuer les cartes. Certaines équipes pourraient se mettre en confiance grâce à de bons résultats dans les éliminatoires de la Coupe du Monde. Néanmoins, je dirais que le Maroc sera difficile à battre. L’Égypte reste toujours redoutable, l’Algérie voudra briller sur le territoire de son rival historique, le Maroc. La Côte d’Ivoire cherchera à défendre son titre, tandis que le Nigeria, avec son immense potentiel offensif, pourrait également faire sensation, comme cela a été le cas en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, l’Afrique du Sud montre une régularité et une solidité croissantes. Je mentionnerais également la Rd Congo, qui a réalisé un très beau parcours lors des éliminatoires, bien qu’elle doive encore enrichir son effectif pour maintenir ce niveau. Enfin, le Sénégal devra aussi essayer de retrouver sa splendeur passée. Toutefois, cela nécessitera, à mon avis, un renouvellement générationnel, car plusieurs joueurs de cette équipe atteignent un âge avancé.
Dans ce contexte, quelle nation voyez-vous succéder à la Côte d’Ivoire lors de la Can au Maroc ?
Je dirais que le Maroc semble nettement en avance sur ses concurrents. D’une part, il jouera à domicile, ce qui constitue un avantage considérable. D’autre part, les joueurs binationaux, récemment intégrés à l’équipe, apportent une réelle plus-value. On a pu reprocher à Walid Regragui, par le passé, de proposer un jeu trop calculateur et peu prolifique en buts. Cependant, l’équipe a prouvé le contraire, notamment avec un parcours exceptionnel lors des qualifications, marqué par une moyenne de plus de trois buts par match et des victoires éclatantes. Des talents émergents comme Brahim Diaz ou Eliesse Ben Seghir y ont fortement contribué. Cela dit, il leur reste à se mesurer à des équipes de très haut niveau pour compléter leur préparation. Mais, si je devais miser sur une nation aujourd’hui, ce serait indubitablement le Maroc.