La Nation Bénin...
Eminent professeur
d’université, Paulin Hountondji aura fortement marqué ses concitoyens par son
savoir et ses travaux. Une vie et un parcours dont se rappellent ceux qui l’ont
connu et côtoyé avant cette funeste date du 2 février 2024 où son ombre leur a
été retirée si brusquement.
Professeur Albert Bienvenu
Akoha
« Un farouche défenseur de
la liberté individuelle et collective »
Le professeur Paulin
Hountondji est incontestablement l'un des plus grands philosophes africains de
notre époque. Son brillant parcours universitaire illustre tout à fait cette
assertion. J'ai pour cet aîné une grande admiration et un profond respect, bien
que ne partageant pas entièrement certaines de ses positions, notamment en ce
qui concerne les langues africaines, leurs productions littéraires, et leurs
potentialités dans la transmission des savoirs, savoir-faire et savoir-être.
Quand on parle du
professeur Paulin Hountondji, ce qui vient immédiatement à l'esprit de la
plupart des doctorants africains qui, comme moi, fréquentaient la Sorbonne dans
les années 1980, c'était la publication chez Maspéro de son célèbre ouvrage
intitulé «Sur la philosophie africaine : critique de
"l'ethnophilosophie"». Je me souviens de la grande polémique qu'a
soulevée cet ouvrage au sein des intellectuels africains qui y voyaient un
refus catégorique et sans nuance d'élever les savoirs, et surtout la sagesse
africaine au rang de philosophie.
Naturellement, ce débat a
eu son prolongement à l'Université nationale du Bénin dans les années 1980 où
l'opinion retenait, d'une manière caricaturale, il faut le souligner, que le
doyen Paulin Hountondji déniait aux cultures africaines de tradition orale la
capacité de produire des pensées philosophiques.
Mais patiemment et
méthodiquement, le professeur Paulin Hountondji a su apporter les
clarifications nécessaires et lever les équivoques à travers une série
d'actions et de publications. Dès 1982, il publia, entre autres son article «
Langues africaines et philosophie, hypothèse relativiste» (in Les études
philosophiques, Paris). Il a ensuite initié et dirigé pour le compte de
l'Université nationale du Bénin et du Codestria (Conseil pour le développement
de la recherche en sciences sociales en Afrique), le grand projet
pluridisciplinaire intitulé «Les savoirs endogènes, pistes pour une recherche
». C'est à travers ce projet animé par 12 enseignants-chercheurs de
l'Université nationale du Bénin de différentes spécialités (historien,
psychologue, linguiste, mathématicien, botaniste, psychiatre, médecin
chirurgien et philosophe) dont il a su coordonner les productions que j'ai
appréhendé les multiples articulations de sa pensée philosophique.
J'en retiens que la
science et l'universalité s'inscrivent au cœur de sa philosophie. C'est au nom
de cette vision de la science qu'il exige des savoirs endogènes africains
qu'ils soient mieux travaillés pour être érigés au rang de philosophie. On
comprend alors son rejet de tout mimétisme et de toutes les politiques fondées
sur le dogmatisme, l'exclusion et le maintien des intellectuels africains au
rang de ''manœuvres de la science voire d'ethnologues du dedans'' pour les
savants de l'Occident colonisateur.
Paulin Hountondji refuse
obstinément que notre Afrique continue d'être une éternelle colonie, « un
immense réservoir de faits scientifiques nouveaux, recueillis (par des
chercheurs africains) pour être communiqués aux laboratoires et centres de
recherches métropolitains» qui confisquent pour eux le droit de les « traiter
théoriquement, de les interpréter » et de « les intégrer à leur juste place
dans le système d'ensemble des faits connus et reconnus par la science ».
Je me souviens des
discussions passionnées que j'ai eues dans ce cadre avec lui autour du thème,
les systèmes graphiques de l'Afrique précoloniale qu'il m'avait chargé de
traiter. Ses échanges m'ont laissé le souvenir d'un penseur exceptionnel, très
ouvert à la critique et un farouche défenseur de la liberté individuelle autant
que de la liberté collective.
Son chantier des
recherches scientifiques africaines sur les savoirs endogènes reste ouvert; il
a su indiquer la voie à suivre; il a même prescrit la bonne méthodologie à
utiliser en s'appuyant sur la pluridisciplinarité et l'interdisciplinarité…
Souhaitons que les
ouvriers se relaient sur ce noble chantier et que les fruits, de génération en
génération, portent la promesse des fleurs.
Le sage ne meurt pas car
il laisse toujours derrière lui les traces de ses vertus… et surtout, ses
pensées. Repose en paix.
Me Robert Dossou, ancien
président de la Cour constitutionnelle, au micro de la Télévision nationale
« C’est un cerveau
béninois mais aussi panafricain »
« Paulin Hountondji, c’est
trois personnages en un. Il a une dimension de savant, intellectuel de très
haut niveau, ensuite c’est un militant politique. Il milite pour ses idées. Et
enfin, c’est un homme qui est très attaché à son église.
Je l’ai connu depuis le
lycée et nous nous sommes créé une certaine proximité sinon, une proximité
certaine. Il s’était déjà fait remarquer au lycée Victor Ballot par sa
brillance. Au plan scientifique, il a marqué son temps et il s’est attaqué à la
philosophie africaine. C’est l’un de ceux qui ont le plus écrit pour
endogénéiser la matière de la philosophie et il s’est attaqué à
l’ethnophilosophie. Il a publié un ouvrage fondamental sur la philosophie
africaine, qui a reçu un prix. Il m’a remis un exemplaire de la réédition de
cet ouvrage au moment où je lui communiquais un article que j’ai publié en
septembre 2022 ; article dans lequel je me suis inspiré de son concept
d’ethnophilosophie pour poser la problématique de l’ethnodémocratie.
Non seulement c’est un
cerveau béninois mais aussi panafricain. Paulin Hountondji était l’un des
délégués de la Conférence nationale de février 1990 et il avait sorti la
Conférence d’une impasse terrible. S’il croit en quelque chose, il fonce dans
cette direction, mais s’il n'y croit pas, il va vous dire ses oppositions
fermes et vous ne pourrez pas le convaincre, ni le transformer.
C’était un monsieur très
attaché à son église. Fils de pasteur, il a été très impliqué dans le règlement
de tous les conflits qui ont parcouru l’église protestante méthodiste, et je
crois savoir que le jour même de son rappel à Dieu, il devrait participer ou
présider une assemblée des laïcs protestants méthodistes, et les gens ne l’ont
pas vu parce que Dieu l’avait rappelé.
Paul Christian Kiti,
enseignant chercheur, maître de conférences à l’Uac au département de
philosophie
« C’est l’une des
rationalités les plus fortes qui ont marqué le continent »
Il faut d’abord dire que
j’ai été son assistant pendant près de dix ans au premier Conseil national de
l’Education. J’ai aussi été depuis 2009, son assistant sur le plan
scientifique. Je suivais avec lui, les mémoires, les thèses qu’il dirigeait. Je
retiens que c’est l’une des rationalités les plus fortes qui ont marqué le
continent africain. Il y a eu pour ceux qui le savent, un grand débat qui a
commencé dans les années 1950 autour de la philosophie en Afrique. Il a été
l’un des intellectuels africains qui ont profondément marqué ces débats par ses
prises de positions hautement philosophiques, par son engagement intellectuel
pour le continent africain. Il a eu aussi un passage en politique qui a marqué
beaucoup de Béninois. C’est sous son mandat que le 2e Forum national de
l’éducation a été organisé et c’est lui l’initiateur du projet qui a rassemblé
beaucoup de compétences. Je dirai que c’est un homme particulièrement
rationnel. On le constate à travers ses publications mais c’est aussi un homme
d’un très grand cœur et d’une grande humilité. Il a l’humilité de dire ce qu’il
pense. C’est un intellectuel hors pair et un homme très passionné pour
l’Afrique et le Bénin. Pour le découvrir, il faut vraiment être proche de lui.
Il y a une génération d’intellectuels africains qui lui sont très redevables.
Parmi eux, figure le professeur Souleymane Bachir Diagne qui est aujourd’hui le
philosophe noir africain le plus respecté aux Etats-Unis et qui a été un de ses
plus grands admirateurs. J’ai moi-même fait ma thèse de doctorat sous sa
direction, j’ai beaucoup appris de lui. Il y a beaucoup d’intellectuels
par-delà le monde qui se réclament de sa pensée et de son héritage. Je pense
que ceux-là constituent une perpétuation de sa mémoire. Depuis que sa mort a
été annoncée, il y a beaucoup d’initiatives sur le plan international qui se
prennent.
Le moment venu, ceux qui
vont prendre part à ces activités scientifiques seront informés mais il y a
deux ans, à l’occasion de ses 80 ans, nous avons entre collègues, lancé les
‘’Mélanges’’ en son hommage. C’est un ouvrage
de près de cinq cents pages qui a été produit par des intellectuels de grand
renom à savoir : Souleymane Bachir Diagne, Michelle Massalo, rectrice de
l’Académie de Paris, Wolé Soyinka et bien d’autres pour lui rendre hommage.
Euloge Franck Akodjetin,
enseignant à l’Uac et chef du département de philosophie
« C’était un homme de foi
qui croyait en Dieu »
L’héritage du professeur
Paulin Hountondji est à la fois visible et invisible. C’est un homme grand,
immense, profond. C’est lui qui a créé le département de philosophie puis a
façonné ce département. Son héritage peut être présenté en deux grandes parties,
sur trois grands plans. Le premier, c’est sa poigne intellectuelle. Comme
intellectuel africain, c’en était un achevé de tout point de vue, homme de
pensée mais également homme d’action. Les horizons qu’il a ouverts à l’homme
africain et qui lui ont permis d’avoir un statut de respect dans le concert des
nations, c’est d’avoir dit oui, ‘’Malgré ce que vous dites, il y a une
philosophie africaine mais elle n’est pas ce que vous pensez’’. La philosophie
se conjugue à la première personne et de ce point de vue, il a introduit la
notion des responsabilités personnelles dans la notion de la philosophie,
toutes choses qu’on contestait à l’homme africain. Paulin Hountondji a eu le
courage de dire qu’il existe une philosophie africaine. Il a été beaucoup critiqué
et ce n’est qu’après qu’il a été compris.
De cette définition, nous sortons aujourd’hui grandis.
Le deuxième plan sur
lequel je le présente est qu’il est un homme d’action. Ce n’est pas donné à des
théoriciens d’être également des hommes d’action. Il a été à la fois un
brillant théoricien et un grand homme d’action. Je veux parler de son
engagement politique. On accuse souvent les philosophes d’être déconnectés de
la réalité ou des grandes questions temporelles mais Paulin Hountondji a montré
le modèle de philosophe qui lie à la fois la pensée à l’action. Cet ancrage
s’est révélé dans son engagement politique. J’en veux pour preuve la Conférence
des forces vives de la nation où c’est lui le premier à réclamer le principe de
souveraineté de la conférence. Si la conférence a été le déclic d’une nouvelle
ère politique au Bénin et en Afrique, c’est grâce à la clairvoyance et à la
ténacité de cet homme. Si la conférence n’a pas réussi dans les autres pays,
c’est parce qu’ils n’ont pas eu ce principe de souveraineté.
Le troisième plan sur
lequel je le présente, est qu’il est un homme accompli, intégral, un humain
tout court. C’était aussi un homme de foi qui croyait en Dieu et en qui tout
convergeait vers le bien. C’est une grande perte pour la nation béninoise et davantage
pour le monde intellectuel universitaire et pour le département dont je suis le
premier responsable. En même temps, c’est un appel pour nous de lui emboîter le
pas et le dépasser.
Innocent Adjaho
« C’est un homme pétri
d’idées qui use de sa rigueur avec souplesse »
Paulin Hountondji a été
mon ministre de la Culture. Il a été sincère dans tout ce qu’il disait. C’est
un homme qui n’aime pas la tricherie et ne fait pas de favoritisme. Chez lui,
tout le monde est sur le même pied d’égalité. A l’époque, le président Soglo
l’appréciait pour sa gestion des affaires et sa clairvoyance d’esprit. C’est un
homme pétri d’idées qui use de sa rigueur avec souplesse. Son héritage est à
perpétuer. Je crois que les générations à venir doivent lui emboîter le pas. A
la conférence nationale, il fait partie de ceux qui ont dit que toutes les
décisions de la Conférence soient souveraines. A un moment donné, ses
interventions dérangeaient le président Mathieu Kérékou qui était obligé
d’intervenir pour le dissuader.