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Deuil national: Mathieu Kérékou, une empreinte indélébile sur le Bénin

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Par   LANATION, le 15 oct. 2015 à 06h28

Le mercredi 02 septembre dernier, il bouclait officiellement ses 82 ans. Sans doute qu’il avait un peu plus dans la réalité mais qu’importe ! Ce qui compte désormais, c’est le parcours remarquable de l’homme qui, depuis hier, a entamé le grand voyage. Un homme dont la disparition ne laissera personne indifférent, tant il aura marqué et façonné l’histoire du Bénin, un homme qui, désormais, parlera plus que jamais par le silence…

C’était un jeudi, le 26 octobre 1972, par un temps bien ensoleillé, qu’il fit son apparition fracassante sur la scène politique béninoise. C’est ce mercredi, 14 octobre, à douze jours de la date anniversaire de sa naissance à la politique agissante, après une pluie battante, qu’il aura choisi pour nous donner le dos et partir les pieds devant. Entre les deux événements, 43 ans jour pour jour se seraient écoulés dans 11 jours. 43 ans durant lesquels le nom du général Mathieu Kérékou a toujours été associé à la vie du Bénin. Et pour cause, l’homme dont on parlera désormais au passé et avec plus de respect encore, aura passé 28 ans, 5 mois et 11 jours au pouvoir. Un record remarquable dans ce pays où, avant lui, l’instabilité politique, consubstantielle aux coups d’Etat répétés, était le sport favori. Pourtant, en ce 26 octobre-là, le commandant Mathieu Kérékou n’était objectivement pas attendu pour être la vedette. Mais c’est lui qui entrera dans l’histoire.

Comme un cheveu sur la soupe ?

Ce 26 octobre 1972 là, soit le commandant Mathieu Kérékou dont la réputation de justicier, redresseur de tort, était faite au camp au point de lui valoir le surnom de « Zorro » avait réussi l’exploit d’être des deux ou trois coups d’Etat qui se préparaient pour renverser le « monstre à trois têtes » qui dirigeait le Dahomey, soit il n’était associé à aucun des coups en préparation. Dans un cas comme dans l’autre, il est finalement apparu comme le point d’intersection des coups ourdis, et l’homme de synthèse qui devait ramasser la mise. Comme un cheveu sur la soupe donc, il se voyait projeter au devant de la scène. Démarche altière, voix chevrotante voire hésitante, celui qui deviendra « le Grand camarade de lutte » après avoir proclamé le marxisme-léninisme, promis que «la branche ne se cassera pas dans les mains du caméléon», débaptisé le Dahomey pour en faire le Bénin, en avait assez, d’autres compagnons avec, de voir son pays affublé du qualificatif peu glorieux d’« enfant malade de l’Afrique», justifié par l’instabilité chronique faite d’une dizaine de coups d’Etat entre 1963 et 1972 et autant de chefs d’Etat en si peu de temps. Lui et ses amis, sinon ses amis sans lui, avaient donc décidé de prendre leurs responsabilités et de tourner les pages sombres. En ces années-là, en effet, les rivalités entre les trois acteurs politiques majeurs, Hubert Maga, Justin Tomètin Ahomadégbé et Sourou Migan Apithy, ne cessaient d’empoisonner la vie nationale. L’ambition des putschistes était grande, la volonté sans doute plus grande encore. Les efforts engagés étaient-ils à la hauteur des espoirs suscités ? Le moins qu’on puisse dire est que le résultat était mitigé. Mitigé au plan sociopolitique, mitigé au plan de l’éducation malgré l’institution de «l’école nouvelle», mitigé au plan économique. Si mitigé qu’il obligea le révolutionnaire à concéder qu’il était temps de passer à autre chose.

Conversion à la démocratie

Aussi accepta-t-il d’organiser, après 17 ans de règne, de solder les comptes de la révolution sur l’autel du renouveau démocratique qui naîtra de la Conférence nationale qu’il eut le génie politique de convoquer pour février 1990, afin d’organiser une transition pacifique. A l’occasion de ce tournant historique, le côté imprévisible mais aussi le grand sens de l’Etat du général se seront manifestés. De nombreuses sources rapportent qu’il aurait bien pu faire capoter la Conférence nationale. Il n’en fut rien. Au contraire, il s’engagea fermement à faire appliquer ses décisions dans la discipline. Ce 28 février 1990 donc, le Bénin renaissait à la démocratie. Autant dire que la partition du président Mathieu Kérékou ne fut pas négligeable. Puis, il travailla avec les autres acteurs de premier plan, à en asseoir les bases. Pendant un an, il ne fut pas pris à défaut sur son engagement. Même quand, lors de la présidentielle de 1991, certains l’engageaient à contester la victoire de son challenger, c’est un silence éloquent qu’il leur opposa, se repliant littéralement dans sa tanière.

Répit, repos et retour…

Après avoir exercé le pouvoir sans répit pendant 17 ans donc, le «camarade» redevenu «monsieur» à la faveur de la Conférence nationale, va être quelque peu délesté de son pouvoir. En effet, s’il garde la présidence de la République sous la transition d’un an qui suivit ces assises historiques, ce ne fut plus qu’à titre honorifique, le Premier ministre Nicéphore D. Soglo étant chef du gouvernement. Mais, en bon militaire, le général savait être discipliné. Il respecta donc le pacte social conclu au PLM Alédjo du 19 au 28 février 1990 et put voir son autorité réduite. Il sera ensuite contraint au repos dès le 4 avril 1991 quand le Premier ministre lui infligea une défaite électorale à l’occasion du second tour de la présidentielle de cette année-là qui les opposa. Nicéphore D. Soglo s’imposait largement face au président Mathieu Kérékou dépouillé de l’essentiel de ses prérogatives à la suite de la Conférence nationale : 67,73% des suffrages (873.790 voix) contre 32,27% (416.257 voix). Ensuite, l’homme du 26 octobre 1972, considéré désormais aussi comme l’homme de la Conférence nationale, se retira littéralement comme en ermitage dans sa résidence dite des filaos, pour ne refaire une vague apparition publique qu’en décembre 1995, lors du Sommet de la Francophonie qui se tenait à Cotonou. Une façon de prendre le pouls de la situation dans la perspective de son retour annoncé aux affaires ? Toujours est-il que quelques petits mois plus tard, en février-mars 1996, monsieur Mathieu Kérékou revenait au devant de la scène, comme challenger de son successeur, à qui il reprendra son bien qu’il lui avait confié cinq ans plus tôt. Si Nicéphore D. Soglo, qui a vainement recherché le K.O. dès le premier tour, confiant en la magie de ses performances économiques arrivait en tête du scrutin avec 35,69% des suffrages (596.371 voix), le vieux général sorti de sa retraite le talonnait avec 33,94% des suffrages (567.084 voix). Pour arbitrer ce duel, Adrien Houngbédji, président de l’Assemblée nationale de 1991 à 1995, qui a perdu le perchoir au profit de Bruno Amoussou soutenu par le pouvoir, et ce dernier essentiellement; celui-là se positionnant 3ème avec 19,71% des suffrages (329.364 voix) et celui-ci 4ème avec 7,76% des suffrages (129.731 voix). A la stupéfaction du pouvoir sortant, ils choisirent d’appeler à voter pour Mathieu Kérékou, estimant que la démocratie chèrement acquise était déjà menacée. Et c’est sans grande surprise mais au grand désespoir des partisans de Soglo que le 18 mars 1996, le vieux Kamélélon «remontait en haut» (selon sa propre expression), avec 52,49% des suffrages (999.453 voix) contre 47,51% des suffrages (909.626 voix). Autant dire que la partie fut serrée. Ainsi revenu au pouvoir le 6 avril 1996, il y passera encore dix ans devenant le premier président de l’ère du renouveau démocratique à rempiler. En effet, large vainqueur du 1er tour tenu le 4 mars 2001 avec plus de 47% des suffrages (1.127.100 voix), contre 28% pour Nicéphore Soglo (672.927 voix), le Kaméléon devra finalement affronter le 4ème du 1er tour, son ministre d’Etat Bruno Amoussou (à peine 7% des suffrages), Nicéphore D. Soglo refusant de participer au second tour, en dénonçant des «tripatouillages» et une «mascarade» ; suivi en cela par le 3ème, Adrien Houngbédji (13% des suffrages), qui respectait ainsi un accord politique intervenu deux ans plus tôt, quand il regagnait le perchoir de l’Assemblée nationale avec le soutien de la R.B. notamment. Le 22 mars 2001, c’est par un score digne de son épopée révolutionnaire que Mathieu Kérékou conservait son fauteuil : 84,06% des suffrages contre 15,94% pour Bruno Amoussou. Mais au bout de dix années le général-président ne semblait pas pressé de devoir quitter les affaires. S’il ne formula jamais officiellement un quelconque vœu dans ce sens, ses thuriféraires entreprirent sérieusement de lui ménager un sauf conduit pour se maintenir au pouvoir à travers une révision de la Constitution qui y aurait aidé. En tout cas, c’est à pas de tortue, son animal totem, qu’il quitta finalement la scène…

Tumultes

Le séjour du président Mathieu Kérékou à la tête du pays ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Surtout pas. Par ces temps de révolution marxiste-léniniste où la rhétorique ambiante était incisive, dirigée contre « les réactionnaires » et autres « ennemis de la Révolution », il va sans dire que le général ne comptait pas que des amis. Comme souvent aussi sous les régimes du genre, la complotite semblait de mise. Sans doute que de réelles velléités de putsch ont existé, autant que des complots factices ont pu être imaginés, tous finalement avec des conséquences énormes. C’est l’un de ses coups (réel ou factice ?) qu’aurait envisagé Janvier Assogba, un des pères du coups du 26 octobre 1972, pour reprendre le pouvoir à celui qu’il avait contribué, semble-t-il, à y installer. A l’époque, en langage révolutionnaire correct, on parlait d’ « odieux complot ourdi par l’impérialisme international » avec le relais de ses « valets locaux ». C’est le cas aussi de la mémorable agression du 16 janvier 1977, censée le déloger du palais de la Marina et qui fera flop, malgré l’armada déployée sur Cotonou. Un bon génie veillait certainement sur l’homme, sinon qu’il était verni…
Mathieu Kérékou, le révolutionnaire, quoique présenté comme profondément humain et humble par ses proches, entendait honorer son statut. Ceux qui osaient se mettre en travers de sa révolution payaient leur témérité du prix fort. Condamnations à mort multiples, exil, prison de longue durée furent le lot de ceux-là, dont de nombreux, revenus au pays ou libérés à l’occasion de la Conférence nationale, feront la paix avec lui, collaboreront même avec lui. Aujourd’hui encore, certains qui auraient pu y passer, exercent d’éminentes fonctions dans le pays. Tout cela illustre le côté imprévisible de l’homme. Ce qui restera une de ses marques de fabrique. Autant que son sens de l’humilité qui n’a pas faibli malgré la grandeur qu’il a connue. Combien de fois, par exemple, a-t-on entendu le général Mathieu Kérékou, depuis qu’il a quitté le pouvoir le 6 avril 2006, se prononcer sur la gestion du pays après lui en prenant parti, ou en critiquant les acteurs du moment ? N’enseignait-il pas que si «l’on n’a rien à dire de plus beau que le silence, il faut se taire» ? Désormais, c’est de ce silence d’or qu’il parlera…