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Intervention du Parlement de la Cedeao dans la crise Bénin-Niger: « Je ne vois pas cette médiation prospérer », dixit Dr Badoussi

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Romaric Lucien Badoussi, docteur en Sciences politiques, spécialiste de la Cedeao et enseignant  à l’Université de Parakou Romaric Lucien Badoussi, docteur en Sciences politiques, spécialiste de la Cedeao et enseignant à l’Université de Parakou

La médiation du Parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dans le différend qui oppose le Bénin et le Niger a peu de chances d’aboutir. C’est l’avis de Romaric Lucien Badoussi, docteur en Sciences politiques, spécialiste de la Cedeao et enseignant à l’Université de Parakou. A l’en croire, la position du Niger vis-à-vis de l’organisation qu’il a reniée ne favorise pas une telle médiation. Mais, selon lui, la crise pourrait connaitre un dénouement heureux si le médiateur est accepté des deux parties ou en cas de changement de régime politique dans l’un des deux pays.

 

Par   Ariel GBAGUIDI, le 29 mai 2024 à 06h05 Durée 3 min.
#Frontière Bénin-Niger

La Nation : Dr Romaric Lucien Badoussi, le Parlement de la Cedeao veut tenter une médiation dans la crise bénino-nigérienne. Ces parlementaires peuvent-ils réussir là où la Commission et la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao ont échoué ?

 Dr Romaric L. Badoussi : En relations internationales, dans le cadre du règlement des différends entre Etats, effectivement, il y a l’approche diplomatique de la médiation. Mais pour que la médiation ait lieu, il faut que les parties en conflit acceptent le médiateur. Si l’une des parties récuse le médiateur, la médiation est impossible.

Aujourd’hui, vous connaissez le cas de figure. Le Niger a déclaré qu’il n’est plus membre de la Cedeao. Dans ces conditions, il est difficilement imaginable que le Niger accepte une médiation venant de la Cedeao.

L’expérience a montré que le Parlement n’a aucune voix pratiquement au sein de la Cedeao. Les grandes décisions sont prises par la Commission et surtout par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement qui maintient toute l’organisation sous sa domination. Donc, moi personnellement, je ne vois pas cette médiation prospérer.

 Qui ou quelle organisation peut alors jouer ce rôle pour un dénouement heureux pour le bonheur des deux peuples déjà exaspérés par la crise ?

 Le dossier du pipeline introduit un nouvel acteur qu’est la Chine, dans ce différend. La Chine a beaucoup investi et je ne crois pas que l’Etat chinois accepterait que son investissement soit confronté à ces genres de conjoncture. C’est en cela que je pense que la Chine mettra tout en œuvre pour amener les deux parties à trouver un terrain d’entente. De ce côté, je pense que quelque chose est possible. Les trois parties ont intérêt à ce que les lignes bougent.

Autre possibilité de règlement est que la donne change dans la politique intérieure de l’un des deux Etats. Cette crise me rappelle une précédente. Quand le président Nicéphore D. Soglo était au pouvoir, Mahamane Ousmane, premier président démocratiquement élu du Niger a été renversé par un officier du nom de Ibrahim Baré Maïnassara. Exactement comme le président Patrice Talon aujourd’hui, le président Soglo est monté au créneau pour vivement condamner ce coup d’Etat. En ce moment, la Cedeao n’avait pas encore ses instruments juridiques qui pouvaient lui permettre de réclamer le retour à l’ordre constitutionnel. Donc, les relations entre le Bénin et le Niger sont restées extrêmement tendues sauf qu’à l’époque, il n’y avait pas eu de fermeture des frontières. Ce qui a fait bouger les lignes, c’est qu’en 1996 le président Soglo a perdu le pouvoir après la présidentielle. Le président Mathieu Kérékou qui est revenu au pouvoir s’est montré plus souple vis-à-vis du Niger. Du coup, les relations se sont normalisées. Et quelque temps après l’arrivée de Kérékou,

Maïnassara a été assassiné. Donc, les deux acteurs de chaque côté sont partis et la crise s’est dénouée tout naturellement. Si par extraordinaire Tiani n’est plus pouvoir aujourd’hui au Niger et que son successeur ou bien le Bénin se montre moins exigeant, vous verrez que les choses vont évoluer. Ça aussi, c’est une possibilité de sortie de crise.

Mais aucune des deux parties n’a intérêt à ce que cette crise dure et perdure.

 Y a-t-il eu d’autres crises par le passé entre les deux pays et quelles ont été les voies de sortie ?

 En dehors du cas que je viens de citer plus haut, il y a eu d’autres tensions entre le Bénin et le Niger, sous les présidents Kérékou et Boni Yayi, qui portaient sur la question du transit.

Sous Kérékou, il y a eu un incident qui s’est produit à la gare routière des gros porteurs de Godomey. Un Nigérien a été tué, la tension a été vive et les transporteurs nigériens ont décidé de boycotter le port de Cotonou. Mais quelque temps après, ils sont revenus parce que c’est le corridor le plus avantageux pour eux. Sous le président Boni Yayi, des opérateurs économiques du Bénin font croire à l’Etat béninois que les produits qu’ils importent vont en direction du Niger. Mais ils évoluent un peu vers le Nord-Bénin et ils reviennent déverser ces produits sur le marché béninois. Le régime Yayi a décidé de commencer par taxer les produits en direction du Niger comme si ces produits devraient être mis en consommation sur le territoire béninois. Le gouvernement d’alors avait expliqué que les taxes prélevées allaient être rétrocédées aux transporteurs une fois qu’il sera sûr que les produits sont arrivés sur le territoire nigérien. Là aussi il y a eu des tensions entre les opérateurs économiques béninois, nigériens et le gouvernement béninois. Les gens ont menacé de boycotter le port de Cotonou mais finalement ils sont revenus. Donc, moi je crois que les choses finiront par rentrer dans l’ordre mais à quel moment, je ne pourrais le dire.