La Nation Bénin...
L’Afrique,
avec sa jeunesse en pleine expansion, fait face à une crise silencieuse : la
désillusion urbaine. Alors que les villes africaines devraient tripler leur
population d’ici 2050, les promesses de progrès socio-économiques liées à
l'urbanisation tardent à se concrétiser.
Avec 60 % de la population urbaine âgée de moins de 25 ans, cette jeunesse, malgré son potentiel immense pour la transformation du continent, fait face à une désillusion croissante. Face à des taux de chômage alarmants, à une corruption endémique et à l'inefficacité des systèmes démocratiques, nombreux sont ceux qui se sentent trahis et perdent espoir. Cette désillusion alimente deux mirages dangereux: l’émigration clandestine vers l’Occident, perçue comme une échappatoire, et une attirance accrue pour diverses formes d’extrémisme. Cette situation explosive est une véritable bombe à retardement pour l’avenir des villes africaines.
Le
chômage des jeunes en Afrique atteint des proportions inquiétantes, notamment
dans les zones urbaines. En moyenne, 60 % des chômeurs africains ont moins de
25 ans, et le taux de chômage des jeunes est deux à trois fois plus élevé que
celui des adultes. Dans les villes, les opportunités économiques formelles sont
limitées, obligeant les jeunes à se tourner vers l'économie informelle, qui est
souvent précaire et sans protection sociale.
La
montée de l’urbanisation, qui devrait amener des opportunités, n’a fait
qu’aggraver ce déséquilibre. La majorité des jeunes urbains, bien que souvent
mieux éduqués que leurs aînés, se retrouvent sans emploi stable. Ce chômage
structurel nourrit un profond sentiment de frustration et d’abandon, poussant
certains vers l’émigration ou l’extrémisme.
Un
sondage récent dans 16 pays africains, rapporté par Jeune Afrique, met en
lumière un autre aspect de la désillusion urbaine: 83 % des jeunes interrogés
identifient la corruption comme le principal fléau affectant leurs villes. Ce
problème endémique est perçu comme un obstacle majeur au développement, à la
bonne gouvernance, et à la démocratie. Les promesses de gouvernance
transparente et d’inclusion semblent inaccessibles aux jeunes, qui se sentent
souvent exclus des processus décisionnels.
De
plus, l’exclusion sociale est renforcée par l'absence d’une planification
urbaine adaptée aux besoins de la jeunesse. Les jeunes sont rarement consultés
dans les décisions relatives à l’aménagement des infrastructures et des
services publics. Cela se traduit par un manque d’accès à des logements
décents, à des transports publics fiables, et à des espaces urbains sûrs et
inclusifs.
Pour
résoudre la crise urbaine, une décentralisation effective est cruciale. Il ne
suffit plus de simplement transférer des pouvoirs aux collectivités locales ;
il faut également permettre une réelle participation des jeunes aux processus
de décision. Une gouvernance participative, où les jeunes peuvent s'exprimer,
influencer les politiques et contribuer à la planification des infrastructures,
est essentielle pour redonner du sens à la démocratie africaine. La
planification des infrastructures et services publics doit répondre aux besoins
spécifiques des jeunes, notamment en matière de logements, de transports
publics fiables et abordables ainsi que d'espaces publics sécurisés,
renforçant ainsi leur inclusion, leur capacité à façonner leur environnement et
à réaliser pleinement leurs potentialités.
Il
est parfois surprenant d’admirer la confiance, l’esprit d’entreprise et le goût
du risque des jeunes qui choisissent l’émigration clandestine. Mais comment
canaliser ces qualités vers l’entrepreneuriat et les investir dans l’économie
urbaine pour créer des opportunités durables ?
C’est
là tout le défi. Les villes africaines ont le potentiel de devenir des pôles
d'innovation et de croissance en soutenant des secteurs clés tels que
l’agribusiness, les technologies numériques, les énergies renouvelables et
l’économie circulaire. Ces domaines en pleine expansion peuvent générer des
emplois de qualité, adaptés aux compétences des jeunes, tout en adressant les
problèmes de chômage et d'exclusion économique.
Les
villes doivent aussi encourager l'entrepreneuriat chez les jeunes en facilitant
l'accès aux financements, en créant des incubateurs d'entreprises et en
promouvant des partenariats public-privé pour stimuler l'innovation. Il est
tout aussi crucial de formaliser les emplois dans le secteur informel, qui
constitue une grande partie de l'économie urbaine africaine, en le rendant plus
durable et structuré.
Enfin,
la promotion de l'innovation verte dans les villes peut non seulement résoudre
certains défis environnementaux et de résilience climatique mais aussi créer de
nouvelles opportunités économiques. En exploitant pleinement le potentiel de la
jeunesse, les villes africaines ont l’opportunité de non seulement retenir
leurs talents mais aussi de devenir des modèles de transformation économique et
sociale pour l’avenir du continent.
Aujourd'hui,
la jeunesse africaine urbaine est piégée entre chômage, exclusion sociale, et
manque de gouvernance crédible et participative. Pourtant, cette crise peut
devenir une opportunité. En misant sur une décentralisation effective, une
planification urbaine participative, et en renforçant le rôle des villes comme
pôles de croissance, les centres urbains peuvent devenir des moteurs de
transformation durable. En capitalisant sur le potentiel de leur jeunesse, les
villes africaines pourraient se réinventer en véritables centres d'inclusion,
d'innovation, et de développement, répondant aux aspirations de la génération
actuelle tout en réconciliant démocratie et progrès■
*Architecte,
Président de GPS-Development
Ancien ministre de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme
Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies
Luc Gnacadja