La Nation Bénin...
Jusqu’à l’avènement de l’Approche par les compétences, la dictée était la grande préoccupation du CEFEB puis du BEPC au Bénin. Les élèves étaient même surentraînés dans ce domaine. Les barèmes scolaires étaient également beaucoup plus sévères à l’époque qu’aujourd’hui. Mais pour tous ceux qui ne continuaient pas leurs études au-delà, c’est-à-dire la majorité, la déperdition des compétences orthographiques était énorme. D’où la nécessité de trouver mieux que la dictée.
L’avènement des TIC
Le principal facteur qui rend plus visible, les difficultés liées à l’orthographe, ce qui conforte d’ailleurs la montée de l’illettrisme, c’est qu’on écrit aujourd’hui plus qu’avant. Jusqu’à ces dernières années, en dehors du cadre scolaire, les gens écrivaient très peu et étaient essentiellement des lecteurs. Aujourd’hui, les outils informatiques, Internet en particulier, suscitent plus que jamais le besoin d’écrire. On constate, alors, l’émergence d’une situation de polygraphie, c’est-à-dire, la coexistence d’une variété de formes écrites selon qu’il s’agit de SMS, de courriels, de forums de discussion, etc. Tous ces échanges favorisent la communication écrite sur des bases spécifiques qui ne répondent pas aux normes académiques. On peut déplorer un tel état de fait ou, de façon plus pragmatique, constater que ces pratiques moins académiques de l’écrit contribuent à légitimer plusieurs «normes» orthographiques. Ce qui devrait à terme permettre une plus grande tolérance dans ce domaine. En tout cas, dans le domaine de l’orthographe, et malgré les tendances institutionnelles qui semblent prévaloir depuis quelque temps (la dictée), les solutions contemporaines nous semblent indissociables de démarches sensibles à la découverte et à l’action. L’orthographe s’apprend par et dans l’écriture, avec des ajustements progressifs entre les besoins de la production et les compétences propres aux individus. L’apprentissage de l’orthographe nous semble, en outre, indissociable de savoirs procéduraux qui doivent être entrainés. En orthographe, plus que de grands discours, on a besoin de supports concrets qui fonctionnent tout à la fois comme des objectifs d’enseignement et des outils fonctionnels.
Que faire pour remédier aux difficultés ?
Nous constatons que les connaissances linguistiques impliquées par les compétences de communication font défaut à la plupart des élèves. Parce que l’enseignement des savoirs langagiers (grammaire de phrase, de texte, de discours, orthographe, conjugaison, vocabulaire) est parfois réduit à la portion congrue à l’école. Les élèves ont, peut-être, «fait» de la grammaire, de l’orthographe, de la conjugaison, du vocabulaire ; mais la manière d’en «faire» a été telle que les savoirs appris ne sont pas devenus, dans l’esprit des apprenants, des ressources mobilisables pour résoudre les problèmes inhérents aux situations de communication scolaires.
Voilà, en deux mots, notre «situation» — au sens sartrien du terme : le réseau de données dans lequel, inévitablement, nous sommes pris et compte tenu duquel nous exerçons notre liberté. Dans cette situation, l’alternative cruciale est la suivante. Soit, nous rejoignons la cohorte qui fait régulièrement pèlerinage au mur des lamentations, pour regretter, avec le troupeau des affligés, de ne pas avoir affaire à l’élite que nous pensons mériter («Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?» C’est de Beaumarchais et, mutatis mutandis, à méditer souvent.). Soit nous savons que le mur des lamentations n’a pas d’oreilles, que personne d’autre que vous ne prendra le taureau par les cornes — et, alors, nous y allons crânement.
Y aller de quoi ? Sûrement pas d’un cours de grammaire comme au bon vieux temps des Ménapiens. Surtout que nous ne disposons pas, compte tenu du fait que nos élèves peinent à parler convenablement (quand il s’agit de s’exprimer dans certaines formes) et qu’ils écrivent encore plus péniblement qu’ils ne parlent, d’un crédit d’heures qui permettrait une «remédiation» sérieuse. Nous avons quatre ou cinq heures hebdomadaires pour «tout faire», comme les autres ! Donc pas le temps qu’il faut pour contrer les effets cumulés de plusieurs années de non-enseignement des savoirs linguistiques ou, dans le meilleur des cas de non-apprentissage de savoirs langagiers mobilisables pour résoudre les problèmes inhérents à la production des discours scolaires.
Mais faire quelque chose néanmoins. Parer au plus pressé.
Nous pouvons parier sur l’efficacité d’activités d’ordre linguistique qui ameuteront, ici, quelques souvenirs, qui constitueront, là, un très modeste viatique de connaissances propres à une nécessaire prise de distance d’avec les textes (ceux qu’on lit en classe comme ceux qu’on écrit pour la classe).
L’objectif n’est guère ambitieux, mais pour peu qu’on y réfléchisse, cette ambition-là n’est pas dérisoire. Tant d’élèves sont comme englués dans le texte. Ils pataugent quand ils lisent, ils pataugent quand ils écrivent. Ils n’ont pas eu (ou ils n’ont pas pu profiter) d’occasions d’observer comme c’est fait, de réfléchir aux façons de faire, de s’essayer à la fabrication.
Mais comme nos jours (de cours) sont comptés, nous proposons de faire d’une pierre deux coups et de prendre la bonne résolution d’envoyer définitivement au diable les énoncés insignifiants qui ont proliféré dans les livres de grammaire du jour où l’on s’est avisé que l’excellent M. Grevisse et ses émules soumettaient à l’attention des chères têtes blondes des phrases comme ils n’en écriraient jamais. ( Corneille, La Rochefoucauld, La Bruyère, Voltaire, Chateaubriand, Flaubert, Proust). Retour aux florilèges d’antan, alors ? Peut-être. Mais foin de ces exemples d’une platitude de niveau de mer, qui n’avaient même pas pour eux d’illustrer le discours courant authentique. Foin des énoncés, prétexte à faire de la grammaire.
Place aux textes
Place à des textes susceptibles d’intéresser les élèves. Place à des textes qui viennent à point nommé dans le cadre d’une séquence… et dont on envisage certains aspects linguistiques.
Grammaire occasionnelle alors ? Oui, faute de mieux. Oui, puisqu’il est trop tard pour rattraper le temps perdu. Nous ne dirons, certes, pas la même chose s’agissant de l’école primaire, s’agissant des premiers apprentissages, qui, pour les choses essentielles, doivent être progressifs et systématiques. Mais soit ! Ce qui a été fait est fait et il faut s’en accommoder. Mais non en fermant les yeux sur les criantes différences entre les performances de communication des uns et des autres, non en perpétuant l’iniquité de notre système scolaire: les performances de nos élèves provenant de milieux privilégiés sont toutes proches des meilleures performances à l’échelle internationale, alors que celles de nos élèves provenant de milieux défavorisés avoisinent les moins bonnes. C’est cet écart qu’il faut réduire. C’est cet écart qu’il faut encore tenter de réduire quand il s’est bien creusé : nous voulons dire quand les élèves entament l’ultime ligne droite de l’enseignement du secondaire et du supérieur.
Les activités de langue
Les activités de langue que nous proposons ne forment pas, tant s’en faut, un « cours » de remédiation en langue française. Elles exemplifient à notre humble avis, selon une distribution tout à fait aléatoire, des possibilités d’intervention concourant à rendre les élèves plus sensibles à certaines difficultés langagières, des difficultés qu’ils doivent apprendre à surmonter pour produire un écrit correct. Il s’agit des textes à trous, des textes en puzzle et des textes lacunaires qui ont fait leur preuve surtout en Belgique et en France.
On peut, par exemple, choisir un texte compréhensible par les élèves et susceptible de les intéresser, si possible dans le cadre d’une séquence d’activités.
Annoncer aux élèves qu’ils devront répondre à un questionnaire de compréhension portant sur le texte : il importe en effet que les activités mobilisant des connaissances d’ordre langagier soient rattachées à des tâches de communication. Cela évite que les apprenants négligent le sens sous prétexte qu’ils travaillent sur la langue. Cela évite également qu’ils cloisonnent activités de langue et activités de compréhension.
Faire la lecture du texte en question, dans sa version originale.
Donner aux élèves la version trafiquée.
Trafiquer ce texte en veillant à ne pas multiplier les altérations et, surtout, à mettre en évidence des problèmes de langue courants. Résister à la fort commune tentation de mettre l’exception en évidence. Toujours garder à l’esprit que les problèmes qui sont, pour le professeur, extrêmement, voire excessivement, faciles à résoudre peuvent être très difficiles pour les élèves.
Privilégier résolument les problèmes d’orthographe grammaticale qui, à l’inverse des problèmes d’orthographe lexicale, font appel à un raisonnement sur la langue.
Ne pas négliger pour autant les difficultés d’orthographe lexicale qui peuvent être surmontées grâce à l’application de règles.
Garder ceci en point de mire : l’objectif à atteindre est que les élèves deviennent capables de résoudre, dans le cours même de la production d’un écrit, les problèmes d’orthographe les plus fréquents ou, tout au moins, de corriger les erreurs qu’ils ont commises en cours de production.
Pour atteindre cet objectif, leur apprendre à douter des formes qu’ils ont produites ou qui ont été produites par des tiers. Cet apprentissage implique la réflexion sur des formes correctes et sur des formes erronées.
Si des formes erronées sont proposées à la réflexion, bannir les formes qui n’existent pas.
Ne pas hésiter à confronter les élèves plusieurs fois à la même difficulté ni à faire énoncer plusieurs fois la procédure à suivre pour la surmonter : il y a des automatismes à faire acquérir.
Répéter inlassablement que l’important n’est pas d’avoir noté « la bonne orthographe » mais de savoir comment faire pour produire la forme correcte.
Varier les tâches. Par exemple : orthographier des mots dictés qui auront été sélectionnés compte tenu du fait qu’ils ne s’écrivent pas comme ils s’entendent ; choisir entre deux (exceptionnellement trois) formes proposées ; justifier une forme correcte ou corriger, justification à l’appui, une forme erronée ; trouver et corriger un nombre donné d’erreurs dans un texte ; corriger un texte, etc.
Eviter les tâches trop longues. Songer à morceler le texte. Accorder quelques minutes pour résoudre une partie des problèmes, puis passer à la correction.
Ne pas hésiter à laisser les élèves travailler par couples ou, si la disposition des tables le permet, par petits groupes.
Surveiller leur travail et repérer, en passant dans la classe, les élèves qui échouent à résoudre certains problèmes.
Donner prioritairement la parole aux élèves qui ont commis des erreurs.
Les questionner sur leurs stratégies de résolution des problèmes.
Veiller à mettre à la disposition de tous les stratégies adéquates, d’abord en faisant appel à d’autres élèves, ensuite, si nécessaire, en explicitant soi-même la stratégie pertinente.
Se demander si l’exercice est utilisé dans le cadre d’une évaluation diagnostique, formative, ou certificative. Dans ce dernier cas, il convient que les élèves aient été préalablement aguerris aux tâches imposées.
Jules-Marie GANDAGBE
*Professeur Certifié de Français
Conseiller Pédagogique