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Promotion de la sécurité alimentaire au Bénin: Filière riz, un potentiel encore sous-exploité !
Produire ce que l’on consomme et consommer ce que l’on produit, c’est sans doute l’une des clés du développement en général et du développement de l’agriculture en particulier. Où en sommes-nous au Bénin, s’agissant de la filière riz ? Cette spéculation est-elle produite en quantité suffisante ? Dans quelles conditions ? Quel sort pour les producteurs ?
« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active », disent les spécialistes.
Le riz aussi à la base de l'alimentation
Si le maïs est généralement considéré comme la base de l’alimentation au Bénin, le riz semble devenir, de plus en plus, une composante essentielle au point de générer un intérêt particulier tant de la part de particuliers que de l’Etat lui-même. Et si la production évolue en dents de scie, en raison des aléas climatiques ou des techniques culturales, elle est tout de même en dynamique positive. A la direction de la Statistique agricole du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, les données renseignent que la production nationale s’établit à 234.145 tonnes pour la saison 2014-2015, pour une superficie emblavée de 74.586 hectares, avec un rendement moyen de 3,139 tonnes à l’hectare. Des statistiques nettement meilleures à celles de la campagne précédente qui révèlent une production nationale de 206.943 tonnes, pour une superficie emblavée de 68.259 hectares et un rendement par hectare de 3,032 tonnes. Moins bien que la campagne agricole 2012-2013 au cours de laquelle, pour moins de superficie emblavée (65.730 hectares), la production s’est portée à 219.101 tonnes, soit un rendement moyen à l’hectare de 3,333 tonnes. Un rendement moyen à l’hectare plus intéressant encore en 2011-2012, s’établissant à 3,924 tonnes et générant une production nationale de 218.939 tonnes pour 55.797 hectares de superficie emblavée. En fait, c’est à partir de cette campagne, semble-t-il, que le Bénin a pris conscience de ses potentialités rizicoles. Précédemment en effet, la production était de moindre importance. 124.974 tonnes en 2010-2011, 112.705 tonnes en 2009-2010, 105.599 tonnes en 2008-2009, 74.867 tonnes en 2007-2008. Par rapport à ces données, certains bassins rizicoles se distinguent. Cas par exemple des départements du Borgou-Alibori, 95.944 tonnes en 2014-2015 (Malanville, Karimama et Banikoara étant les greniers essentiels), de l’Atacora-Donga, 70.514 tonnes en 2014-2015 (avec Boukoumbé, Matéri, Djougou et Ouaké comme champions de la production), du Zou-Collines, 53.811 tonnes en 2014-2015 (avec Glazoué, Dassa-Zoumè et Savalou en tête). A côté d’eux, le Mono-Couffo (6.032 tonnes en 2014-2015), l’Ouémé-Plateau (7.298 tonnes en 2014-2015) et l’Atlantique (546 tonnes en 2014-2015) font figure de nains rizicoles. Somme toute, une production qui gagnerait à s’intensifier sur les prochaines années, pour que l’offre nationale réponde de façon adéquate à la demande. En effet, les chiffres de l’importation de cette céréale au Bénin témoignent que la demande est largement supérieure à l’offre. Selon l’Office national d’Appui à la Sécurité alimentaire (ONASA), le Bénin a importé 725.001 tonnes de riz en 2014, soit plus de trois fois la production domestique. En 2013, ce furent 730.521 tonnes importées contre 335.925 tonnes en 2012, 199.889 tonnes en 2011, 421.360 tonnes en 2010, 521.138 tonnes en 2009, etc. Déduction logique, la production nationale n’arrive pas encore à couvrir les besoins. Pourtant le potentiel rizicole du Bénin est manifeste.
Nous les producteurs de riz…
Grand-Popo. Nous sommes dans le village de Houndjohoundji, agglomération de Matékpo. Ici, une rizière s’étend sur 20 hectares. C’est l’œuvre de sieur Eloi Hounkponou. Ce particulier y mène son expérience depuis 2011. Pour produire son riz qu’il garantit entièrement bio et donc sans engrais, il emploie une centaine de personnes préposées au sarclage, à la chasse aviaire, à l’étuvage, à l’ensachage, etc.). Eloi Hounkponou pense que le soutien et l’accompagnement de l’Etat en termes techniques et matériels doivent être effectifs pour que la filière se porte davantage bien… Car, expose-t-il, « pour la chasse aviaire par exemple, il faut se lever tôt, se mettre à l’œuvre dès 6h du matin et y rester jusqu’à 19h. Je dois nourrir trois fois par jour les personnes qui le font, et leur payer 30 000 FCFA chacune à la fin du mois. Et il faut le faire sur trois mois. Mais avant, j’avais élevé des piliers dans mon champ, puis acheté des filets pour le couvrir. Ceux-ci se sont révélés pas très adaptés. Ce fut donc une grosse dépense sans résultat probant». C’est au prix de ces efforts et investissements qu’il peut se réjouir d’avoir un rendement de 6,2 tonnes à l’hectare, lequel peut être bonifié si les techniques de semis elles-mêmes sont améliorées, assure-t-il. Pour le moment, après le décorticage, il se retrouve avec 80 à 90 tonnes de riz.
Comme lui, Léopold S. Azonhoumon et Pierre Azian sont des producteurs de riz. Eux sont dans le village Gangban dans la commune d’Adjohoun. En fait, ils ne produisent pas de façon isolée. Ils appartiennent au groupement Gbénonkpo (Entente en langue locale), lequel regroupe 17 personnes et a emblavé une superficie de 100 hectares en 2015 pour un rendement moyen de 5 tonnes à l’hectare. Ici aussi la variété IR 841 est prisée et, comme à Grand-Popo, des investissements sont nécessaires. Le groupement Gbénonkpo doit, en effet, veiller à disposer de bonnes semences ; car leur mauvaise qualité affecte la production, tout comme une pluviométrie trop abondante est nuisible. De même, il faut organiser la lutte contre les criquets, les termites, les oiseaux. Relativement à ces derniers parasites, le recours aux filets de protection s’est révélé inefficace aussi. Par suite, Gbénonkpo emploie une centaine de personnes, sur une période d’un mois et demi. Des manœuvres rémunérés en fonction de la pénibilité de la tâche à laquelle ils sont préposés. Mais un problème de taille se pose ici: l’indisponibilité de la main d’œuvre.
Avec 350 hectares de terres aménagées et exploitées pour une surface disponible de 516 hectares, pour un rendement moyen de 3,5 tonnes/hectare et un pic de 6 à 7 tonnes parfois, les 1053 producteurs membres de l’UGPPM, dont environ 300 femmes, sont plus ou moins à l’abri des intempéries. Leur périmètre dispose de digues de protection et ne subit que rarement l’inondation, notamment lorsqu’il est envahit par les eaux de ruissellement qui descendent de la ville.
Les riziculteurs béninois vivent-ils de leur activité ? De l’avis général, la filière est rentable même si quelques réglages devraient être encore faits. Eloi Hounkponou, par exemple, informe que globalement, s’il faut tenir compte du coût de production seulement, l’activité est rentable. Et il explique : « Ma production s’écoule entièrement sur le marché local, mes clients sont essentiellement des particuliers. Je cède mon riz à 3 500 FCFA le sac de 5kg, après une campagne promotionnelle au cours de laquelle le même sac était vendu bien en deçà. Mes sacs d’emballage, je les commande sur la Chine mais le conditionnement se fait sur place à Matékpo.» Mais s’il faut intégrer toutes les charges, la rentabilité s’en trouve relativisée. David Dansou de l’URIZOP est tout formel: «la filière riz est très rentable dans la Vallée de l’Ouémé. Les producteurs font de bonnes affaires, nous aussi. Nous n’arrivons même pas à satisfaire la demande. Il en va de même d’Entreprise et Services aux Organisations de Producteurs (ESOP-Vallée) aussi à Dangbo où cette structure a une unité de transformation… Le sac de 5KG, variété IR 841 conditionnée par la Coopérative d’amélioration de la filière riz dans l’Ouémé-Plateau (CAFROP), mise en place par l’URIZOP, est cédé à 2 700 FCFA et coule très bien.» Les producteurs sont-ils aussi satisfaits ? En général, ils sont plus nuancés.
Le principal partenaire
Demandez à Léopold S. Azonhoumon et Pierre Azian, s’ils vivent de leur activité. Pudiquement, ils concèdent que oui, mais sans pouvoir vous renseigner sur la masse d’argent qu’ils engrangent. Ils semblent même la minorer quand vous insistez, évoquant un bénéfice d’à peine 300 000 FCFA. Sur la même préoccupation, Faustin Etèkpo, entre des rires, répond que «ce devrait être le cas mais les aléas climatiques ne nous aident pas.» Amadou S. Idrissou, lui, vous lance simplement avec un sourire qui trahit sa gêne: «Qu’il en soit ainsi…» En fait, en interrogeant les réalités, on comprendrait les hésitations des producteurs. Dans la Vallée de l’Ouémé, la CAFROP et ESOP-Vallée achètent le paddy (riz non décortiqué) aux producteurs à 150 000 FCFA/tonne alors que ceux-ci dépensent 10kg de semence à l’hectare, laquelle est acquise pour 300 FCFA le kilo. Quand la CAFROP, qui fait en moyenne 100 tonnes de riz long grain par an, n’arrive pas à leur prendre toute leur production, les riziculteurs vendent la différence à la SONAPRA. C’est cette structure qui est le principal partenaire des producteurs de Glazoué et de Malanville. Suivant les producteurs, la SONAPRA leur prend le produit à 170 000 FCFA la tonne mais ne paye pas au comptant. Parfois même, c’est 6 à 12 mois plus tard que les paiements sont effectués. A Malanville particulièrement, signale le président de l’UGPPM, un contrat lie les producteurs à la SONAPRA. Celle-ci leur livre les intrants, notamment l’engrais, à crédit. Ensuite ils remboursent en nature à raison de 170 000 FCFA la tonne. De même ils bénéficient du système de microcrédits mis en place pour soutenir certaines spéculations. Ces renseignements n’ont pu, hélas, être confrontés à ceux de la SONAPRA, nos démarches pour en recueillir la version, étant restées vaines.
Mais ce qui fait surtout que les producteurs sont nuancés dans l’appréciation de leur chiffre d’affaires, ce sont les difficultés. En fait, «une fois qu’ils ont remboursé la SONAPRA, les producteurs ont du mal à écouler le reste de leur production. Ils sont donc obligés de céder le sac de 100 kg à 10 000 FCFA au lieu de 17 000 FCFA. En clair, on brade le riz et ce sont les Nigérians et Nigériens qui, via des intermédiaires locaux, le rachètent», fait constater Amadou S. Idrissou. De même, lui comme les producteurs de Glazoué, d’Adjohoun ou de Grand-Popo, déplorent la propension de l’Etat à faire la part belle au riz importé, qu’il fait venir selon eux, lui fait de la publicité et écoule au détriment de la production nationale. Or, suggère le président de l’UGPPM, «l’Etat devrait prendre systématiquement le riz produit au pays et en faire la promotion. Le faire servir dans les prisons civiles, les camps militaires…comme en 2008-2009, lors de la crise alimentaire, nous avions fait de bonnes affaires puisque l’ONASA nous avait acheté toute notre production.»
Et si les producteurs ne trouvent pas forcément leur compte, d’autres acteurs intermédiaires, par contre, font de bonnes affaires. «Parce que notre riz est très apprécié de par sa qualité, certains grossistes nous le prennent, parfois à crédit, et pratiquent une marge bénéficiaire trop importante qui dessert la production nationale, jugée dès lors trop chère.»
La mécanisation en soutien…
L’utilisation de machines agricoles n’est pas encore un réflexe dans les exploitations rizicoles. Là où elle est effective, quand elle n’est pas à l’étape embryonnaire, c’est qu’elle présente encore des insuffisances. Ainsi, si le groupement Gbénonkpo de Léopold S. Azonhoumon et Pierre Azian, a une exploitation de 100 hectares, tout y est encore manuel, signalent-ils. En fait, parce qu’ils recourent aux services d’une main d’œuvre constituée de 100 personnes qu’ils emploient sur un mois et demi chaque saison, ils n’y ont jamais pensé. Désormais, ils y réfléchissent. Surtout qu’ils ont appris que le Programme de promotion de la mécanisation agricole (PPMA) peut leur venir en appui. Comme elle l’a fait pour Eloi Hounkponou en lui vendant une moissonneuse-batteuse en 2014 pour un peu plus de 5 000 000 FCFA dont le remboursement est échelonné sur cinq ans. C’est que lui a pris conscience très tôt de la nécessité de faire de la production intensive. Aussi, après avoir évolué en mode artisanal les deux premières années, a-t-il acquis sur fonds propres, dès 2013, une décortiqueuse. Puis il a récupéré deux tracteurs abandonnés par la mairie de Grand-Popo, les a réparés et les utilise désormais autant que la mairie peut s’en servir. Problème, quand les machines tombent en panne, les pièces de rechange sont, sinon introuvables, du moins très difficiles à avoir. Aujourd’hui, Eloi Hounkponou rêve d’avoir une vanneuse «pour dégager les déchets du riz car ce serait mieux que ce que font les femmes à la main» et d’une calibreuse «pour séparer le riz cassé du long grain». Dans tous les cas, confie-t-il, «mon ambition est d’emblaver davantage de superficie. Je vais donc persévérer puisque je suis persuadé que la filière est rentable, tant ma production est entièrement écoulée et la demande reste insatisfaite.» S’il salue bien le geste du PPMA, il pense que l’Etat pourrait aider la filière à optimiser ses rendements en mécanisant entièrement le processus de production et en mettant l’énergie électrique à disposition. Autrement, les producteurs engagent trop de dépenses.» La CAFROP de l’URIZOP a plus de chance. Elle bénéficie de l’appui de ses partenaires européens pour l’acquisition des machines de transformation. C’est ainsi qu’elle a pu acquérir 3 décortiqueuses, 3 vanneuses-batteuses, une motopompe… grâce à l’Union européenne, aux Ong italiennes CISV et RC. Faustin Etèkpo et ses amis de l’UNIRIZ-C ne dédaigneraient pas d’avoir l’appui du PPMA en plus de celui de ses partenaires traditionnels. L’Union des Groupements de producteurs du périmètre irrigué de Malanville, par contre, n’est plus à l’étape de souhait. Elle a déjà bénéficié de batteuses mises à sa disposition par le PPMA mais celles-ci n’ont pas fonctionné, souligne Adamou S. Idrissou. Qui déplore qu’on n’ait pas pris l’avis des producteurs avant. « Autrement, nous aurions demandé des moissonneuses », laisse-t-il entendre pointant du doigt des machines (motoculteurs et moissonneuses notamment) répandues sur une partie du périmètre irrigué, dons de la Chine, qui fonctionnent globalement bien et sont très utiles pour la production ; même si des difficultés d’approvisionnement en pièces de rechange sont évidentes.
Par ailleurs, un motif de déception à l’UGPPM, c’est cette machine offerte par la Chine, en plus d’une motopompe, pour drainer vers le fleuve Niger, les eaux de pluie qui pourraient débouler de la ville et inonder le périmètre. « Depuis trois ans, déplore Adamou S. Idrissou, elle n’a jamais été installée pour être mise en service. Toutes nos démarches en direction du ministère de l’Agriculture sont restées vaines. De fait, ce don fait à l’UGPPM par la Chine est toujours dans son emballage ! »
Par contre, le problème d’énergie ne se pose plus ici. Depuis quelques années, le périmètre est autonome sur le plan énergétique, grâce à l’écoute du chef de l’Etat qui y a fait réaliser un programme à cet effet. Ce dont le président de l’UGPPM lui sait gré.