La Nation Bénin...
Attendue depuis l’élection d’une douzaine de ministres lors des législatives du 26 avril dernier, la nouvelle équipe gouvernementale n’en finissait plus de faire languir l’opinion. D’attente lasse, on avait finit par se dire que le chef de l’Etat, par stratégie et souci de gérer au mieux sa troupe dans la perspective des municipales du 28 juin, dont la proximité lui permet en effet de retarder la formation de son équipe, avait certainement choisi d’attendre les résultats de ces consultations…
Elles auraient permis au président Boni Yayi de voir clair sur l’échiquier politique des FCBE et satellites, pour mieux gérer les mécontents des législatives et ceux éventuels des municipales. Ou encore les gros morceaux rescapés de ces élections mais que le chef de l’Etat aimerait promouvoir. Finalement, en n’attendant pas les municipales avant de former son gouvernement, c’est un acte de grand courage politique que pose le président Boni Yayi. Qui n’ignore certainement pas qu’en cette veille de consultations électorales, un mauvais casting de sa part peut avoir pour effet de démobiliser la troupe et, partant, d’affecter les résultats des FCBE, surtout après la tendance régressive dessinée lors des législatives. Mais il a pu tout de même se convaincre de ce que si son casting est réussi et passe bien dans l’opinion, cela peut aussi avoir pour effet de fédérer les énergies ‘’fcbéennes’’ et d’attirer quelque onde de sympathie à sa famille politique. Tout comme il a pu se résoudre à l’idée que tant qu’à former un gouvernement dans cette ambiance pas forcément favorable à sa famille, il faut le faire quoi que cela puisse coûter, et se tenir prêt à le remodeler si nécessaire… Qu’à cela ne tienne. Pour le moment, quels sont les grands enseignements à tirer de ce nouveau gouvernement ?
Des curiosités qui font s’interroger
Primature ? Premier ministère ? Peu importe comment s’appellera le ministère qui abritera le nouveau venu, Lionel Zinsou, véritable surprise du chef, aussitôt élevé au rang de Premier ministre chargé du Développement. Si sa nomination consacre le retour à la formule du Premier ministre qui n’est pas chef de gouvernement dans le contexte béninois, elle suggère aussi que Boni Yayi n’a certainement pas réussi à se remettre du départ en août 2013 de Pascal Irénée Koupaki, son ancien Premier ministre dont la conduite des affaires était saluée par ses collègues ministres, et dont le départ inattendu provoqua une dissolution du gouvernement. Cette nomination surprend aussi car l’intéressé est un allogène à la politique béninoise, même s’il a une réputation dans son domaine de compétence : les finances et l’économie. Il y a donc lieu de se demander ce qui a pu décider un tel homme, a priori très cartésien, de se jeter dans la mare de la politique béninoise à 9 mois de la fin du mandat. Peut-être, au-delà d’une certaine volonté de mettre ses compétences au service de son pays d’origine, ce qu’il ne risque pas de réussir à faire en si peu de temps, la foi en une promesse de carrière après le président Boni Yayi ? Ce serait là une autre paire de manche que le développement prochain de l’actualité autant que l’attitude de l’homme aideront à décrypter.
Autre curiosité, la création d’un poste de vice-premier ministre ! Certes, la Constitution offre au chef de l’Etat les prérogatives de nomination et de détermination des attributions des ministres. Ce qui avait déjà conduit le président Mathieu Kérékou à créer, en 1996, le poste de Premier ministre occupé alors par Adrien Houngbédji. De là à en créer un autre de vice-premier ministre, comme dans certains pays où le Premier ministre est chef de gouvernement, il y a une bien curiosité. Que ce poste soit occupé par le professeur François Abiola supplanté par le nouveau venu, apparaît davantage comme un désaveu pour celui-ci, déjà ministre d’Etat et Premier ministre de fait. Plus étonnant encore, la création de trois ministères d’Etat ! Si l’on comprend que Komi Kou-tché, ayant brigué et raté de très peu la présidence de l’Assemblée nationale puisse désormais être mieux qu’un simple ministre, on se surprend par contre de la promotion des ministres Alassane Soumanou (qui a dû obtenir cela en contrepartie de son renoncement à son siège de député) et plus encore de celle de Fulbert Géro Amoussouga, jusqu’ici ministre à la présidence de la République. La bonification du statut de ceux-là surprend donc, tant avec deux Premiers ministres, trois ministres d’Etat, c’est plusieurs pôles d’influence qui s’établissent au sein du gouvernement. Pas forcement de bon augure pour la cohésion gouvernementale… En attendant quelques entrées frappent aussi.
De nouvelles têtes
Si la mixture de l’équipe gouvernementale paraît bien curieuse, au point de soulever de sérieuses interrogations au sein du bureau de l’Assemblée nationale, dont l’avis reste cependant purement consultatif, elle révèle aussi quelques entrées remarquables. C’est le cas de la directrice de cabinet du chef de l’Etat, Véronique Brun Hachémè, ancien préfet qui hérite du portefeuille de la Décentralisation. Honorine Atikpa qui part de la Loterie nationale du Bénin pour la Famille connaît une belle promotion, autant que Nadine Dako qui quitte le Conseil national des Chargeurs du Bénin pour le ministère de l’Emploi des Jeunes. Eléonore Yayi (Enseignement primaire), Patrick Yérima (Economie maritime), Saliou Akadiri (Affaires étrangères), Ibrahim Kombieni (Commerce), Spéro Mensah (Energie), Dossou Togbé (Santé), Théophile Worou (Environnement), Paul Hounkpè (Culture), Placide Azandé (Intérieur), Thomas Yombo (MCRI), Evelyne da Silva (Justice) Noël Fonton (Urbanisme) sont de nouvelles têtes qui font leur entrée au gouvernement, consacrant le départ de tauliers comme Dorothée Akoko Kindé Gazard ou Valentin Djènontin entre autres ; tout comme celui de Christian Sossouhounto qui ne récolte finalement rien pour avoir décidé de désobéir à son parti d’origine, la R.B. au point de s’en faire exclure. Peut-être lui trouvera-t-on bientôt un autre point de chute…
Quelles perspectives pour la succession ?
Pour le dernier gouvernement de son dernier quinquennat, l’on pouvait espérer avoir quelque esquisse relativement aux intentions de Boni Yayi pour sa succession. Cette équipe y satisfait-elle ? En l’absence de personnalité forte, la stature de François Abiola restant à anoblir, Komi Koutché quoique solide ne remplissant pas les conditions constitutionnelles, il y a lieu de considérer que la nomination du néophyte Lionel Zinsou devrait s’analyser en une mise sur orbite. Quitte à voir si sa greffe au corps politique béninois prendra aisément en si peu de temps, au point de justifier une éventuelle candidature pour aller à la succession de Boni Yayi. A défaut, il faudrait sans doute considérer que Boni Yayi a peut-être choisi d’isoler ceux à qui il penserait réellement comme héritiers afin non seulement de leur laisser le temps de bien se préparer, mais aussi de les mettre à l’abri de certaines critiques, voire de l’impopularité. Dans tous les cas, les moindres faits du Franco-béninois Lionel Zinsou, qui n’a pas dû accepter cette nomination par hasard, ni pour faire plaisir seulement au chef de l’Etat, seront scrutés avec attention. De même l’expression d’ambitions nouvelles éventuelles. Au demeurant, cette promotion de Lionel Zinsou, si elle se double du vœu secret d’en faire un dauphin, apparaîtrait comme un désaveu et un manque de considération pour l’ensemble de ceux qui ont travaillé avec le président Boni Yayi depuis plus de 9 ans, parce qu’elle postulerait qu’il n’a pas réussi à trouver en leur sein, quelqu’un qui serait digne de lui succéder.
Somme toute, ce gouvernement ne résout pas toutes les équations du moment. Tout au contraire, il en pose de nouvelles à plusieurs inconnues.