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Retombées économiques de la politique de retraite au Bénin: Les emplois publics au cœur du débat

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Par   Collaboration extérieure, le 23 juin 2015 à 23h47

Le 2 avril 2015, les députés béninois ont voté un nouveau statut général de la fonction publique qui porte, entre autres, sur l’âge d’admission des agents de l’Etat à la retraite à 60 ans au lieu des 30 ans de service initialement en vigueur. Ceci crée une polémique alimentée principalement par certains syndicalistes déjà retraités et des jeunes sans emploi. L’argument populaire avancé est que les « vieux » de 30 ans de service devraient prendre congé de l’administration et permettre aux jeunes de sortir de la précarité.

Le phénomène du vieillissement de la population est une réalité aussi bien mondiale que béninoise et a de sérieuses implications socio-économiques. En 2006, d’après le rapport international de la population, 307 000 Béninois étaient âgés de plus de 60 ans. Les chiffres projetés pour 2015 et 2030 sont respectivement de 413.000 et 727.000. Ces chiffres sont symptomatiques d’une transition démographique réelle. Dans un pays où le sous-emploi des jeunes est une sérieuse préoccupation, il est important que les politiques publiques mises en place par le gouvernement soient adaptées aux réalités intrinsèques du pays afin de bénéficier du dividende démographique dû au vieillissement de la force de travail.

Contexte du recrutement dans la fonction publique

La question de l’emploi est un souci réel auquel sont confrontés tous les pouvoirs publics africains, en particulier depuis qu’à la suite de la crise des années 90, les Etats ont arrêté de faire de la fonction publique, l’exutoire de la production des cadres par les universités africaines. En 1986, le Bénin a mis un terme à l’option « socialiste» de répartition systématique des étudiants en fin de formation dans les administrations publiques. Il lui était devenu impossible d’honorer les fins de mois de ses travailleurs qui lancèrent des mots d’ordre de cessation concertée de travail et prirent d’assaut les rues sous la houlette du Parti communiste du Bénin. Le pays n’a repris les recrutements dans la fonction publique que 10 années plus tard, à dose homéopathique cette fois-ci. Il s’en dégage que sur la base des textes en vigueur, l’administration béninoise ne comptera plus à l’horizon 2016 de cadres de plus de 20 ans d’expérience.
Ainsi, en renonçant à l’approche socialiste, le pays s’est inscrit depuis quelques décennies dans une logique libérale qui reconnait l’incapacité du gouvernement à pourvoir aux emplois des jeunes et accepte le secteur privé comme moteur d’une économie libérale et par conséquent vecteur de l’employabilité des jeunes. D’après le directeur de cabinet du ministre de la Fonction publique, ‘’De 1960 à 2015, les agents de l’Etat ne font même pas encore 100.000 alors que la population active est de plus de quatre millions de personnes ».

Pourquoi maintenir les «vieux»?

Le prolongement de la durée du service public dans tous les pays du monde est rendu nécessaire par l’augmentation de l’espérance de vie du fait de l’évolution de la science (médicale) et de la technologie. Aussi, l’Etat n’a pas intérêt à envoyer précocement les fonctionnaires à la retraite puisqu’il sera emmené à honorer leur pension viagère sur plusieurs décennies, et de plus en plus sur un nombre d’années supérieur à la durée du service des intéressés. Les finances de l’Etat en souffriraient et cela représenterait un passif pour les générations futures qui seraient emmenées à dégager d’importantes ressources pour le paiement des pensionnés.
Une partie de l’opinion publique béninoise continue de penser que c’est les fonds cotisés par les fonctionnaires pendant leur carrière qui leur sont reversés à la retraite. Il n’en est rien car c’est plutôt les actifs qui paient pour les non actifs et le déficit permanent et sans cesse croissant du Fonds national de Retraite est là pour rappeler aux Béninois que le statu quo est suicidaire.
D’après une estimation de 2014 du CIA world fact book, le Bénin a une espérance de vie de 59.75 ans pour les hommes et 62.47 ans pour les femmes (soit environ 61 ans). Du fait de l’avancée technologique et de l’évolution de la science, les «vieux de 60 ans» font de plus en plus partie de la population active et, sont aussi bien performants physiquement que dans la délivrance des services qui sont attendus d’eux.

Et la jeunesse ?

Lorsqu’on interroge les données concernant la jeunesse au Bénin, on se rend compte que la population de 15 à 34 ans est celle prioritairement touchée par le problème du sous-emploi et les défis auxquels ces jeunes sont confrontés sont de trois ordres :
• Ils travaillent moins d’heures qu’ils ne l’auraient préféré
• Ils travaillent à plein temps mais gagnent moins du SMIG (équivalent au seuil de pauvreté)
• Ils exercent des métiers qui ne correspondent pas à leur formation initiale.
Le recrutement dans la fonction publique apporte certainement une bouffée d’oxygène à certains d’entre eux. La frustration actuelle des jeunes après la modification de l’âge d’admission à la retraite se comprend donc aisément. Cependant, elle ne change rien au fait que l’adoption du nouveau statut de la fonction publique va dans le sens du changement dans la structure de l’âge de la population. En fait, cette réalité avait déjà motivé le vote, il y a deux ans de la loi qui porte à 60 ans, l’âge d’admission à la retraite dans le secteur privé. Au surplus, avant cette réforme, le Bénin était le seul pays de la sous-région qui envoyait ses agents à la retraite avant 60 ans. Il reste toutefois à trouver des alternatives pour régler le problème d’emploi de la jeunesse.
Pour mitiger le problème et apaiser la tension sociale manifeste, il faudra que le gouvernement inscrive ses actions dans la mise en place d’un climat favorable des affaires et s’engage sur des programmes de formation pratique à l’emploi des jeunes et à la mise à leur disposition des ressources. Il devra soutenir des projets des jeunes ayant le potentiel de créer des emplois. Ces projets pourraient bénéficier des appuis des partenaires publics et privés ainsi que d’exemptions fiscales.
Au total, les fonctions publiques africaines ne sont plus et ne peuvent plus être considérées comme la principale pourvoyeuse d’emploi. Les recrutements devaient obéir à une rationalité: celle d’un travail à faire par des personnes ayant le profil requis et non par une simple envie de procurer un revenu à des jeunes, c’est-à-dire de satisfaire un besoin social ; c’est contre-productif. Il est illusoire de faire croire à la jeunesse que son salut se trouve dans les fauteuils d’une administration publique décadente, encombrée et incapable de mettre en musique les instruments nécessaires au développement d’un secteur privé, moteur d’une économie libérale et par conséquent vecteur de l’employabilité des jeunes. Le gouvernement devra poursuivre les réformes en cours afin d’établir effectivement un écosystème favorable au développement de l’entrepreneuriat et du secteur privé.

Par R. Alan AKAKPO