La Nation Bénin...
La recherche d'une administration plus efficace et plus proche des citoyens reste un défi commun pour la gouvernance en Afrique. C’est en cela que le retour d'expérience de la Guinée en matière de suivi de la performance gouvernementale, mérite d'être examiné avec attention.
Le présent article est tiré du « Manuel de référence du système de suivi de la performance gouvernementale». Cet ouvrage que l’auteur a co-écrit avec l’ancien premier ministre de la République de Guinée, se veut une contribution au dialogue entre praticiens et observateurs de la gouvernance. Il ne s'agit aucunement de présenter un modèle à suivre, mais plutôt, de partager un parcours, avec ses succès et ses limites, afin d'alimenter la réflexion collective.
Pour le Bénin, qui a déjà engagé sa propre dynamique de modernisation administrative, cette expérience voisine peut apporter un éclairage complémentaire utile. Chaque pays devant trouver sa propre voie, ce partage d'expériences, représente une ressource précieuse pour éviter certains écueils et identifier les pratiques les plus prometteuses.
La suite de cet article présente les principaux éléments de cette démarche guinéenne, dans un esprit de contribution au débat sur l'amélioration continue des services publics en Afrique. Elle est centrée sur les quatre (4) aspects ci-après du suivi de la performance gouvernementale: (i) le concept; (ii) la mise en œuvre empirique; (iii) le modèle logique de référence du système; (iv) l’impératif de l’institutionnalisation et les facteurs d’échecs associés.
Suivi de la performance gouvernementale : le concept
Processus systématique piloté par la Primature, le suivi de la performance gouvernementale (Spg) consiste à : (i) suivre les réalisations des politiques, programmes et projets prioritaires du gouvernement; (ii) évaluer leur efficacité ainsi que leur efficience ; (iii) veiller à la transparence dans la circulation de l’information et dans l’utilisation des fonds publics, et (iv) garantir la redevabilité des décideurs et des gestionnaires publics.
Le Spg permet non seulement de rendre compte des performances réalisées mais aussi de générer des informations utiles pour l'ajustement des politiques publiques et l'optimisation des ressources, dans une perspective d’accroissement de la valeur publique.
Bien que complémentaire au suivi et à l’évaluation des politiques publiques, le système de suivi de la performance gouvernementale (Spg) se distingue par son focus, sa temporalité et sa méthodologie.
En ce qui concerne le focus, le suivi de la performance gouvernementale a une portée plus large, car il permet d’évaluer l’efficacité et l’efficience des structures ministérielles et autres agences du gouvernement, et partant, la redevabilité des ministres et de leurs collaborateurs à tous les échelons de l’administration.
D’un point de vue temporel, le Spg est un processus continu qui se déroule tout au long de l’exécution des programmes et projets gouvernementaux. Il permet ainsi une surveillance constante et des ajustements en temps réel, au fur et à mesure que des écarts par rapport aux objectifs sont identifiés.
En termes de méthodologie, le Spg utilise des indicateurs globaux qui incluent des mesures d'efficacité, d'efficience et d'impact. Ces indicateurs se concentrent souvent sur des mesures opérationnelles et des résultats immédiats, tels que la rapidité du service, la satisfaction des usagers et l’efficacité des processus décisionnels. Ce procédé permet une évaluation plus complète de la performance des services publics et de leur contribution au bien-être général.
Suivi de la performance gouvernementale (Spg) : la mise en œuvre empirique
D’un point de vue empirique, le Spg a été conçu et mis en œuvre en Guinée, suivant une approche systémique. Dénommée Système de Suivi de la Performance Gouvernementale (Sspg), cette approche est articulée autour des neuf (9) éléments ci-après : (i) la lettre de mission du premier ministre aux ministres; (ii) le Contrat d’Objectifs et de Performance (Cop); (iii) le dispositif institutionnel du suivi de la performance gouvernementale; (iv) la typologie des évaluations de la performance; (v) les documents de performance; (vi) les outils de performance; (vii) les revues de performance; et (viii) les activités de communication.
Lettre de mission du premier ministre aux ministres
La lettre de mission du premier ministre aux ministres est un document officiel qui établit les priorités et les attentes du Chef du gouvernement envers chaque ministre. Elle permet au Premier ministre de clarifier les responsabilités et les domaines d'action de chacun des membres du gouvernement. Cette lettre de mission (LdM) sert aussi, de cadre de référence pour évaluer la performance des ministères et assurer une cohérence de l'action gouvernementale. Les ministres doivent s’y baser pour élaborer le cadre programmatique (stratégies, actions, résultats et budget) de leur département.
La pratique gouvernementale des lettres de mission en Guinée est hiérarchisée en trois (3) niveaux. La lettre de mission du 1er niveau est celle du Président de la République au premier ministre (LdM-1). La lettre de mission du 2e niveau est celle du premier ministre aux ministres (LdM-2). Dans ce dernier cas, il y a autant de lettres de mission que de ministères composant le gouvernement. La lettre de mission du 3e niveau, est celle que chaque ministre adresse aux directeurs nationaux et généraux ou autres chefs de services (LdM-3), sous sa tutelle.
Contrat d’objectif et de performance
Le Cop est l’outil principal de suivi et d’évaluation de la performance gouvernementale. Il permet au premier ministre et aux membres du gouvernement de travailler dans la collégialité à la définition des attentes et à l’établissement des bases sur lesquelles devra être évaluée la performance gouvernementale.
Trois (3) objectifs généraux sont assignés au Cop : (i) planifier et agir dans le cadre de l’atteinte des objectifs ; (ii) surveiller la mise en œuvre des actions pour l’atteinte des objectifs; et (iii) fonder les prises de décisions gouvernementales sur des bases factuelles.
Il est attendu de l’application du Cop, les résultats suivants: (i) une efficacité accrue de l’action gouvernementale ; (ii) une productivité globale plus élevée des ministères ; (iii) des collaborateurs plus motivés et plus engagés sur les résultats et qui maximisent leur rendement au travail.
Le Cop est signé entre le Premier ministre et chacun des membres du gouvernement. Il inclut des grilles d’évaluation utilisant des critères objectifs et transparents permettant de calculer des indices de performance pour chaque ministère.
Critère 1. Évaluation de la mise en œuvre de la lettre de mission
Critère 2. Exécution des décisions des Conseils des ministres
Critère 3. Taux de décaissement du budget de l’année en cours
Critère 4. Taux de décaissement des projets et programmes du ministère
Critère 5. Performance des établissements publics autonomes et des entreprises d’État sous tutelle du ministère
Critère 6. Efficacité des membres désignés par le ministère dans les conseils d’administration
Critère 7. Déclinaison du Cop au sein du ministère
Critère 8. Mobilisation des revenus non fiscaux du budget de l’État
Critère 9. Mise en place d’outils de gouvernance
Critère 10. Implication dans les projets présidentiels, branding et digitalisation
Dispositif institutionnel du suivi de la performance gouvernementale
Le dispositif institutionnel du Spg est organisé en trois (3) niveaux: (i) le premier ministre, Chef du gouvernement; (ii) son Cabinet; et (iii) les ministres, membres du gouvernement.
Le premier ministre, Chef du gouvernement, préside le Comité d’évaluation de la Primature (Cep). Il joue ainsi un rôle clé dans le suivi de la performance gouvernementale: (i) en fixant les orientations stratégiques pour le système de suivi de la performance gouvernementale (Sspg); (ii) en supervisant le processus d’évaluation tel que prévu dans le Cop; et (iii) en exploitant les conclusions des évaluations et des fins décisionnelles.
Le Cabinet du Premier ministre a pour rôles : (i) la planification et l’encadrement méthodologique du processus d’évaluation; (ii) la facilitation des interactions entre la Primature et les ministères; (iii) la coordination du déroulement du processus d’évaluation; (iv) la synthèse et la consolidation des résultats des évaluations.
Chaque ministre préside le Comité d’Évaluation de la performance ministérielle (Cem). Cet organe est chargé : (i) du suivi de l’exécution du Cop; (ii) de la collecte des données nécessaires à l’alimentation du système interne de suivi (iii) du suivi des indicateurs de performance et l’analyse des écarts par rapport aux cibles; (iv) de l’élaboration des rapports des revues internes de la performance.
Typologie des évaluations de performance
Quatre (4) types d’évaluation sont prévus dans le Cop : (i) les évaluations périodiques ; (ii) l’évaluation des pairs ; (iii) les entretiens de performance ; et (iv) l’évaluation in situ.
Les évaluations périodiques permettent de déterminer dans l’intervalle d’une année, si les ministères atteignent leurs objectifs, si les ressources sont utilisées de manière optimale et si les politiques mises en place produisent les résultats escomptés. Il y a deux types d’évaluations périodiques : (i) l’évaluation à mi-parcours sur la période allant du 1er janvier au 30 juin de l’année « n » : et (ii) l’évaluation finale sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre de l’année « n ».
L’évaluation des pairs est une évaluation visant à recueillir l’appréciation de chaque ministre sur le travail de son collègue et la contribution de ce dernier, à l’action gouvernementale. Elle permet au Premier ministre d'obtenir, de façon confidentielle, via les ministres eux-mêmes, un feedback objectif et constructif sur la qualité de la collaboration, notamment dans les commissions interministérielles ou dans le traitement de dossiers conjoints. L’exercice favorise également l'apprentissage mutuel et l’esprit d'équipe.
Les entretiens de performance permettent au Premier ministre, président du Comité d’Évaluation de la Primature, d’apprécier le leadership individuel de chacun des membres du gouvernement. C'est aussi un moment privilégié où les deux parties (Premier ministre et ministre) échangent de manière constructive, sur les réalisations du département ministériel, les écarts par rapport aux résultats escomptés et les goulots d’étranglement.
Ces entretiens servent également à identifier les points d’entrée pour le renforcement des capacités des ministres ainsi que de leurs équipes.
L'évaluation in situ des ministères, est un type d’évaluation consistant, pour le premier ministre, à procéder à une évaluation directe et sur place, des ministères, afin d’apprécier les réalisations de leur Plan d’Action Opérationnel et le déploiement à l’interne du Sspg. Elle permet en outre, au premier ministre de s’assurer : (i) des conditions de travail des agents publics ; (ii) de la propreté des ministères ; (iii) des outils mis en place ; et surtout (iv) de la déclinaison de la lettre de mission et du Cop aux échelons inférieurs.
Documents de performance
Les documents de performance au sens du Sspg sont tous les référentiels présentant les informations et les analyses sur la performance, tant en termes de prévisions qu’en termes de réalisations.
Cinq types (5) de documents de performance sont utilisés pour le déploiement du Sspg : (i) le Plan d’Action Opérationnel (Pao); (ii) son Tableau de Suivi (TS/Pao); (iii) le Tableau de Suivi des Indicateurs de Performance (Tsip); (iv) les rapports de performance périodique des ministères ; et (v) le rapport de revue périodique de la Primature.
Les deux derniers rapports sont intimement liés puisque la revue conduite par la Primature porte sur les rapports de performance soumis par les départements ministériels.
Outils de performance
Les outils de performance sont conçus sur Excel et mis à la disposition des équipes d’évaluateurs par la Primature, pour servir : (i) à la collecte et au traitement des informations sur le Spg; (ii) aux calculs des indicateurs de résultats et de performance; (iii) à la mesure de la performance des ministères; (iv) aux appréciations de la qualité des documents de performance; et (v) aux notations de la performance
Il s’agit : (i) des tableaux de suivi des critères d’évaluation ; (ii) de la maquette de mesure des performances ministérielles ; (iii) de la maquette de notation des performances ministérielles; (iv) les outils d’évaluation des pairs; (v) le système de notation des performances ; (vi) les grilles d’appréciation à l’usage des Conseillers de la Primature ; et (vii) la plateforme de suivi des décisions gouvernementales et du Cop.
Revues périodiques de performance
Les revues périodiques de performance sont organisées conformément aux étapes d’évaluation prévues dans le Cop, à savoir : l’évaluation à mi-parcours, et l’évaluation finale.
Il est entendu par « revue », l’examen méthodique conduit par la Primature, et portant sur les documents de performance soumis par les ministères à chaque étape d’évaluation, et visant à apprécier, mesurer et noter leurs performances sur une période donnée.
Pratiquement, une revue de performance consiste en les tâches ci-après : (i) la planification de la revue par la Primature (attentes, composantes, calendrier, spécifications et mode de transmission des supports); (ii) l’évaluation interne de la performance par le ministère (collecte d’informations, bilan des réalisations, mesure des performances, analyse des résultats, mise au point et soumission des supports de performance) ; (iii) la formulation par les ministères des réponses à des questions spécifiques d’évaluation posées par la Primature ; (v) la revue de performance conduite par les Conseillers compétents de la Primature (appréciations de forme et de fond des supports de performance, notations des performances, et rédaction d’aide-mémoire) ; (vi) la synthèse, la consolidation et le rapportage; (vii) l’appréciation finale par le premier ministre, Chef du gouvernement.
Activités de communication
La communication aussi bien interne qu’externe (au gouvernement) occupe une place importante dans le déploiement du Sspg. La communication interne sur le Spg, a revêtu deux formes : (i) le partage d’informations et de documents, soit par voie électronique (via une plateforme dédiée), soit par voie physique ; et (ii) les communications orales et/ou écrites en conseil interministériel ou en conseil des ministres. Quant à la communication externe, également deux canaux ont été utilisés : (i) la conférence de presse du premier ministre, Chef du gouvernement ; et (ii) les magazines trimestriels de la Primature ou de la Présidence de la République.
1 Sylvain Théodule DEGBE est planificateur, statisticien-économiste et diplômé des Hautes Études en Gestion de la Politique Économique de l’Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand 1 (France). En tant que Consultant international, il a fourni pendant une douzaine d’années, des conseils de haut niveau à plusieurs gouvernements en Afrique de l’Ouest, ainsi qu’au système des Nations Unies, en République Centrafricaine (Rca).
1 Goumou, B., Dégbé, S. (2025). Manuel de référence du système de suivi de la performance gouvernementale. Éditions Ems (France)
1 La valeur publique fait référence à l'ensemble des bénéfices, résultats et impacts positifs générés par les actions et les services des administrations publiques pour la société dans son ensemble. Elle englobe plusieurs dimensions, à savoir : (i) le bien-être social ; (ii) l’efficacité et l’efficience; (iii) l’équité et l’inclusion ; (iv) la responsabilité et la transparence ; (v) l’innovation et l’adaptation.
Sylvain Théodule Dégbé