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La filière automobile : un formidable outil d’intégration

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Le 1er juin dernier, un ami m’a envoyé un message en trois points. Le texte concernait la transition politique au Nigeria. Le point numéro deux, surtout, m’a interpelé: le nouveau président, Bola Ahmed Tinubu, serait arrivé pour la cérémonie d’investiture, en véhicule de marque Innoson fabriqué par la compagnie Innoson Vehicle Manufacturing. Il s’agit d’une compagnie nigériane.

Par   Eric Tévoédjrè, Ph.D.*, le 27 juin 2023 à 12h39 Durée 3 min.
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Un peu avant cet événement, le 29 mai, Alex Otti, nouveau gouverneur de l’état nigérian d’Abia, avait lui aussi décidé d’utiliser un véhicule Innoson pour sa propre cérémonie d’investiture.
J’ai bien entendu commencé mes recherches, sur cette compagnie d’abord, puis sur le nombre d’entreprises qui fabriquent ou assemblent des véhicules automobiles dans la sous-région ouest-africaine. 
Je me suis aperçu qu’il existe une industrie automobile naissante dans deux pays : le Nigeria, où l’on trouve des véhicules de marque « Innoson» et « Nord », et le Ghana qui produit des véhicules de marque Kantanka depuis 1994.
Tout comme pour le Nigeria, le constructeur ghanéen reçoit le soutien de son gouvernement, qui a choisi il y a quelques années d’acheter 500 de ses véhicules. Il faut aussi noter que l’ancienne présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, a elle aussi acheté une Kantanka en 2019. L’immense majorité des dirigeants d’Afrique de l’Ouest s’équipent en véhicules français, japonais, allemands. Or, les avantages sur le plan politique d’un choix africain seraient considérables.
Des particuliers achètent des véhicules de marque Innoson, Nord ou Kantanka, dans quelques autres pays de la sous-région : Sierra Leone, Mali, Liberia. Enfin, au mois de février dernier, la Jamaïque a elle aussi fait ce choix courageux, annoncé par son ambassadeur à Abuja, Esmond Reid.
Tout ceci est important pour au moins deux raisons. La première est que l’industrie automobile est une de celles qui créent le plus d’emplois dans le monde. Ceci est facilement compréhensible si l’on sait qu’un véhicule de tourisme ordinaire compte près de 30 000 pièces détachées différentes. Il serait donc sans doute intéressant pour tous les pays de la sous-région ouest-africaine de former des techniciens et ingénieurs capables d'approvisionner ces constructeurs en pièces détachées fabriquées dans la sous-région. Un exemple très précis : au cours d’une interview qu’il a accordée l’année dernière, le directeur de la compagnie Innoson disait qu’il produit l’essentiel des pièces sur place, mais qu’il ne fabrique pas de moteurs de voiture.
Réfléchissons-y : l’achat d’un véhicule automobile de marque non-africaine bénéficie directement aux marques non-africaines, et ce pendant des décennies, puisque les véhicules se vendent et se revendent plusieurs fois. L’achat d’un véhicule fabriqué hors de la zone Cedeao (et des pièces détachées) se fait en devises étrangères, ce qui pèse lourd dans la balance commerciale d’un pays.
La seconde raison est que l’industrie automobile peut être un formidable outil d’intégration régionale. Nous devons comprendre que la coopération nord-sud doit progressivement céder le pas à la coopération sud-sud, surtout dans la sous-région. La Cedeao se compose de 16 pays qui malheureusement, sur le plan formel, commercent assez peu entre eux. Les initiatives vraiment régionales sont très peu nombreuses. Le développement de l’industrie automobile, qui comprend les véhicules à deux, trois ou quatre roues (et même plus) a cela d’intéressant que celle-ci peut créer une véritable interdépendance entre unités de production situées dans divers pays de la sous-région. Tel pays peut développer un avantage comparatif pour la production d’un type de moteur particulier, d’un carburant particulier ou d’un système de communication bien précis.
Depuis 2019, la Cedeao réfléchit à mettre en place un plan cadre régional pour le développement d’une chaîne de valeur relative à la filière automobile. Nous savons que le Ghana et le Nigeria ont tous deux publié un plan cadre national de développement de cette filière.
N’oublions pas que l’intégration européenne a débuté en juillet 1952 par un projet industriel, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, à visée clairement politique.
Avec l’avènement depuis 2019 de la Zone de libre-échange continentale africaine, les constructeurs automobiles d’Afrique de l’Ouest devraient pouvoir exporter plus facilement leurs véhicules bien au-delà des frontières de la Cedeao. Tous les États membres devraient pouvoir contribuer à rendre la filière automobile plus compétitive face aux concurrents les plus performants du continent que sont les entreprises marocaines et sud-africaines ■

* Professeur : Geopolitics and Regional integration