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La loi pénale et ses principes généraux: Pas de place aux interprétations tous azimuts

Droits et Devoirs
Pas de place aux interprétations tous azimuts Pas de place aux interprétations tous azimuts

En matière pénale, il n’y a quasiment pas de place à l’à-peu-près. Il n’y a pas d’infraction ou de peine qui ne soit expressément prévues. Pas de condamnation par analogie. La loi pénale est d’interprétation stricte. Son champ d’application est bien défini dans le temps et l’espace. 


Par   Anselme Pascal AGUEHOUNDE, le 16 juin 2023 à 08h31 Durée 4 min.
#loi pénale
« Nul ne peut être poursuivi pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit ; ou par le règlement, si l’infraction est une contravention ». L’article 3 de la loi n° 2018-16 portant code pénal en République du Bénin pose le prince de la légalité des délits et des peines. 
Faut-il le rappeler, les infractions pénales sont classées selon leur degré de gravité en contravention, délit et crime. La contravention désigne l’infraction que les lois punissent de peine de police. Un délit est une infraction que les lois punissent de peine correctionnelle. Au plus haut niveau de cette classification, se trouve le crime qui est l’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante. « La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables à leurs auteurs », précise l’article 2 du Code pénal. Il en résulte, conformément au principe de la légalité des infractions et des peines, qu’aucun crime ou délit ne peut être opposable, s’il n’est prévu comme tel par un texte de valeur législative (loi ordinaire, code…) ou supra législative (Constitution, convention…). De même, aucune contravention n’est opposable si elle n’est prévue par un règlement (décret, arrêté, décision…). La maxime latine très populaire « Nullum crimen, nulla poena, sine lege» traduit si bien le principe de la légalité criminelle. Cette maxime stipule littéralement qu’il n’y a ni crime, ni peine sans une loi qui l’ait prévu. Aucun crime n’est donc invocable et aucune peine n’est applicable, si une loi ne l’a expressément prévu. Conformément à la légalité des délits, le juge, qui est la bouche de la loi, ne peut pas inventer une infraction qui n’est pas prévue par un texte de valeur législative. Il est l’interprète de la loi et son interprétation en matière criminelle est stricte. Toutefois, il ne faut pas en prétexter pour commettre un acte délictueux que l’on pense non prévu par le législateur alors que la correspondance est sans ambages. Par exemple, le mot "gifle" n’apparait pas une seule fois dans le code pénal ; mais une paire de gifles (fait non explicitement évoqué) qui a occasionné un saignement et des soins, peut être qualifiée en coups et blessures (infraction prévue et punie par le code pénal). S’agissant de la légalité des peines, le juge ne peut inventer une peine qui ne soit prévue. En outre, pour une infraction unique, le juge ne peut pas prononcer une peine dont le quantum dépasse le maximum fixé par la loi. Ainsi, le juge ne prononcera pas une peine de 20 ans de prison pour un homicide involontaire établi comme tel, alors que l’article 528 du code pénal prévoit ce qui suit : « Quiconque par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, a commis involontairement un homicide ou en a été involontairement la cause, est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans et d’une amende de cinquante mille (50 000) à deux cent cinquante mille (250 000) francs Cfa ». 
C’est dire qu’en matière pénale, il n’y a quasiment pas de place laissée à l’exagération, à l’à-peu-près, à l’analogie. Le moindre doute dans un procès, profite à la personne poursuivie. « Il vaut mieux laisser courir mille criminels que de laisser en prison un seul innocent ». C’est une vieille maxime, souvent évoquée par les avocats pour invoquer la libération au bénéfice du doute. En outre, l’article 4 du code pénal est formel : «La loi pénale est d’interprétation stricte. En cas d’ambiguïté ou de doute, elle est interprétée en faveur de la personne qui fait l’objet d’une enquête ou de poursuites. Est interdite, l’interprétation par analogie des dispositions de la loi pénale ». Tout doute profite à la personne incriminée. C’est ce qui explique qu’en matière pénale, beaucoup de dossiers se soldent par un abandon des charges au bénéfice du doute. L’on comprend que le législateur veut prendre toutes les garanties afin d’éviter qu’un prévenu soit puni pour une infraction qu’il n’aurait peut-être pas commise. D’autant que les peines en cette matière sont souvent accablantes. Il n’y a pas de conditionnel en matière pénale. Pour qu’un accusé soit reconnu coupable et réprimé, il est impératif que sa culpabilité soit établie conformément au code de procédure pénale. Le titre I intitulé « De la loi pénale» du premier livre du code pénal consacre justement son premier chapitre à ces principes généraux de la loi pénale. Les deux chapitres suivant portent le champ d’application de la loi pénale qui est bien défini dans le temps et l’espace.

Le temps, un facteur  déterminant

En matière pénale, le législateur se présente comme un éducateur rigoureux mais ouvert à l’assouplissement des peines. C’est l’impression que donnent les articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2018-16 portant code pénal en République du Bénin. « Sont punissables, les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes». De l’article 6 sus-énoncé, l’on retient primo, que si l’acte incriminé n’était pas une infraction au moment des faits, il ne peut être qualifié ainsi ; secundo lorsqu’une nouvelle loi ou une nouvelle disposition réduit la peine encourue par un accusé dans un dossier qui n’est pas définitivement vidé, la nouvelle disposition s’applique. L’on sait par exemple qu’un homicide involontaire est puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de cinquante mille à deux cent cinquante mille francs Cfa. Supposons que par imprudence un conducteur de voiture ait renversé un usager de la route et celui-ci a succombé. Si pendant que l’affaire court devant les tribunaux, une modification du code pénal intervient et réduit la peine à un emprisonnement d'un mois à trois mois; c’est plutôt cette disposition qui sera suivie par le juge dans sa sentence. Mais si a contrario, la nouvelle disposition punit l’homicide involontaire de trois ans à cinq ans de prison, le juge s’en tiendra à la disposition qui était en vigueur au moment de l’accident, car cette disposition est plus douce et moins accablante que la nouvelle. Inutile de préciser que pour toute infraction survenue après la promulgation de la nouvelle disposition, c’est celle-ci qui est seule applicable. Il ne sera pas question de ressusciter une loi abrogée parce qu’elle serait plus avantageuse. Dans la même veine, les derniers alinéas de article 7 du code pénal stipulent : « Sont immédiatement applicables, les lois de compétence et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement de fond n’a pas été rendu en première instance ; les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ; les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines ; toutefois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ces lois ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour les faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur; lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, sauf quand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé ». Là encore, le souci du législateur de faire agir le temps en faveur du prévenu est prégnant. L’article 9 conclut: « L’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne. Toutefois, la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale ». Cela voudra dire que si, par exemple, un nouveau code du numérique intervenait et exemptait la cybercriminalité de toute sanction, tous les cybercriminels condamnés et exécutant actuellement leurs peines seraient immédiatement libérés. Il s’agit bien évidemment d’un exemple.

Sur terre, sur les eaux ou dans les airs

La loi pénale est applicable aux infractions commises sur tout le territoire de la République du Bénin. L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République du Bénin dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire. Ainsi la loi pénale est applicable à quiconque s’est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi béninoise et par la loi étrangère et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère.
L’article 11 du code pénal précise que « pour l’application du présent code, le territoire de la République du Bénin inclut les espaces maritime et aérien qui lui sont liés ». Que l’auteur soit sur le fleuve Mono ou le lac Nokoué, sur un aéronef ou un hélicoptère du Bénin, la loi pénale est applicable. Le législateur précise d’ailleurs pour ce qui concerne les voies maritimes: « La loi pénale est applicable aux infractions commises sur des navires battant un pavillon béninois, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent». S’agissant de l’espace aérien ; l’article 13 du code pénal stipule : « La loi pénale est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés au Bénin, ou à l’encontre de tels aéronefs, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des aéronefs militaires béninois, ou à l’encontre de tels aéronefs, en quelque lieu qu’ils se trouvent ».