La Nation : Après deux ans de mission diplomatique, que retenez-vous du Bénin et des Béninois ?
Michael Derus : Je vais partir avec une impression de satisfaction très profonde de l’accueil chaleureux dont je me suis réjoui à mon arrivée. Cette impression s’est poursuivie pendant tout mon séjour. Les Béninois sont d’une amabilité exceptionnelle. Je peux le dire après l’expérience de six postes diplomatiques en Afrique subsaharienne le long d’une carrière diplomatique de 35 ans. Mon premier poste en Afrique était en 1993, et j’ai eu la chance d’observer un peu le développement du continent pendant 30 ans. Cette impression sur mon dernier poste d’ambassadeur en Afrique subsaharienne, ici au Bénin, est très marquante, car je pars avec beaucoup d’espoir pour le continent.
Ce qui m’a le plus frappé chez les Béninois, c’est cette gentillesse et cette chaleur exceptionnelles. C’est aussi la vision économique et de développement du gouvernement du président Patrice Talon, et la haute qualité de son équipe de ministres qui sont des interlocuteurs de très haute qualité avec lesquels on peut vraiment discuter des questions dans l’intérêt mutuel et, au-delà, des questions régionales et globales.
Que pensez-vous des politiques, actions ou réalisations que vous avez pu noter durant votre mission au Bénin ?
Peut-être pour vos lecteurs, leur point de vue sur la performance du gouvernement est un peu différent de celui d’un ambassadeur qui a peut-être un regard un peu plus ample dans le contexte international. Ce qui m’a frappé, c’est un point qui doit être mentionné comme point exceptionnel et aussi comme un exemple pour la région et peut-être même pour le reste du continent, c’est la politique financière et budgétaire du pays. Une politique reconnue par les différentes missions du Fonds monétaire international (Fmi) pendant mon séjour ici. Cela montre que la confiance du système financier international vis-à-vis de la politique du pays est vraiment grande et se reflète dans la reconnaissance de cette performance.
La mise en œuvre des projets d’infrastructures qui est certainement clé pour le développement du pays, est exceptionnelle ici. Je n’ai vraiment jamais vu dans un pays africain autant de chantiers, de sites en construction avec une planification cohérente, de grands axes de circulation, des corridors, … C’est certainement une très bonne condition préalable pour attirer des investisseurs et renforcer l’intégration régionale parce que le port du Bénin est important pour des pays de la région. Le président du Niger, Mohamed Bazoum, a affirmé que « le port de
Cotonou est le port du Niger ». C’est essentiel d’investir dans ces infrastructures et on voit vraiment ici à Cotonou, une structure exceptionnelle quand on circule le long du boulevard de la Marina avec toutes les nouvelles constructions y compris celles des ministères. Donc, dans cette courte période de mon séjour, le paysage le long du boulevard de la Marina, pour ne mentionner que ça, a profondément changé.
L’économie touristique a des conditions spéciales. On ne peut, peut-être pas à l’heure actuelle, bien évaluer le développement du tourisme parce que dans les années récentes, la pandémie de Covid-19 a eu des impacts négatifs sur le tourisme et elle a ainsi créé une nouvelle situation. Le tourisme qui fait partie de la vision économique de développement du pays peut jouer un rôle, mais je vois surtout l’ascension du Bénin comme un acte économique dans la région. Par exemple, le développement de la Gdiz est vraiment frappant. Je l’ai visité deux fois en moins d’un an et j’ai pu constater que la première partie de 400 ha est déjà développée et attribuée aux investisseurs et les responsables de la zone font maintenant tous les efforts pour développer la totalité des 1600 ha de cette zone. Je crois que cela aura un impact très important sur le développement économique du pays. Et la décision sage est de ne pas créer une zone économique spéciale mais une zone industrielle qui est aussi accessible pour les industries béninoises. Ce mélange d’investisseurs étrangers et locaux avec les mêmes avantages, est une très bonne décision.
A votre arrivée au Bénin, vous aviez dit que la formation technique et professionnelle sera votre cheval de bataille. Aujourd’hui, quel bilan peut-on faire de votre contribution à la promotion de ce sous-secteur ?
Vous avez mentionné un point très important pour le développement économique du Bénin. C’est un but de haute importance pour le président de la République, et je ne peux que féliciter le Bénin pour la décision de créer les conditions préalables pour attirer les investisseurs étrangers et d’œuvrer à l’amélioration des conditions des industries béninoises parce que la formation professionnelle dans notre siècle, est une condition préalable pour opérer aussi des choix plus complexes dans les productions.
Il y a 30 ans, 40 ans en arrière, il était suffisant que quelqu’un soit capable de tenir un tournevis. Ce n’est plus le cas aujourd’hui parce qu’on a des systèmes de montage et de production numériques. Donc, cela demande un autre niveau de formation. La décision de nos deux pays de coopérer dans le sous-secteur de la formation technique et professionnelle a été prise lors des dernières négociations bilatérales en juin 2021, peu avant mon arrivée. C’est un projet qui nécessite beaucoup d’études pour savoir ce qui est vraiment dans l’intérêt du secteur privé qui, à la fin, doit absorber les professionnels formés. Donc, on a pris cette période pour mener des études (...).
La période de mon séjour était plus ou moins définie par ce process, mais déjà en novembre prochain on aura le prochain tour des négociations bilatérales pour renforcer ce secteur de la formation professionnelle et mobiliser les fonds nécessaires pour la mise en œuvre de cet accord, mais tout cela sera défini avec nos partenaires béninois. Cette fois-ci, les négociations bilatérales auront lieu à Berlin.
Y a-t-il déjà des idées de projets sur ce qui va être fait de façon concrète ?
Comme la France, le Luxembourg et d’autres partenaires, nous contribuons aussi à la construction de lycées techniques agricoles dans le pays, qui est un projet phare du gouvernement béninois. Mais ce sera lors des prochaines négociations bilatérales que nous allons retenir ensemble les actions à mener. Comme idée, par exemple, on pourrait bien se servir de notre retrait du secteur agricole primaire pour voir ce que l’on peut ajouter pour créer des capacités professionnelles qui sont liées à la production agricole parce que aujourd’hui, il faut avoir aussi des connaissances plus profondes pour avancer dans la chaine des valeurs, soit des capacités de production mais aussi de procédés comme on le voit maintenant dans le secteur cajou à Glo-Djigbé. L’industrie allemande est très forte dans la production de machines comme celles des procédés agricoles, et les machines demandent un entretien. Donc, il sera peut-être utile de créer une filière de formation des mécaniciens qui peuvent aider à la maintenance et l’élargissement de la production agricole à un plus haut niveau.
Y a-t-il eu des discussions bilatérales dans l’optique d’élargir la coopération à d’autres domaines/secteurs d’activités phares?
Il y a différentes couches de coopération. La coopération technique a toujours des secteurs clés mais ce qui est important pour créer, à la longue, un développement soutenable, c’est aussi le renforcement du rôle du secteur privé. Cela fait partie aussi de nos études pour la formation professionnelle (…). Ni le Bénin ni l’Allemagne ne sont des économies d’Etat, il est important d’attirer des investisseurs qui vraiment reconnaissent la valeur ajoutée que le Bénin peut leur offrir.
La lutte contre le terrorisme est aussi une préoccupation majeure
Pour combattre cette forme de menace sécuritaire, il faut avoir une approche de deux côtés. D’un côté, il faut voir ce que l’on peut faire pour améliorer la formation et l’équipement des forces de sécurité et de défense des pays concernés. De l’autre, il faut renforcer la résilience des populations des localités touchées par le fléau contre le recrutement des djihadistes. La coopération allemande a mis en œuvre plus de projets que d’autres partenaires techniques et financiers, dans le nord du pays et dans les zones frontalières y compris dans l’environnement des parcs W (…). A côté de cela, nous sommes actuellement sur un programme conjoint avec les Etats-Unis pour la stabilisation des Etats côtiers contre cette expansion des groupes terroristes. Donc, on est engagé dans ce secteur mais ce qui est important, c’est d’identifier avec nos partenaires dans les pays concernés, dans notre cas ici c’est le Bénin, ce qui est vraiment important et ce que l’on peut faire et sur quel niveau on peut le faire. Il faut savoir dans le contexte actuel que, c’est un défi régional. Ce n’est pas un défi qu’un pays peut relever tout seul.
Comment se porte de la coopération bénino-allemande que vous laissez à votre successeur ?
Elle est au beau fixe ; c’est très organisé. On intervient dans beaucoup de secteurs comme vous le savez. Par exemple, on a depuis longtemps, comme bailleur de fonds, contribué à un fonds qui réunit les pays côtiers des parcs pour créer aussi une coopération transfrontalière. Les autres secteurs, évidemment, ont été gérés de manière très coopérative, dans un esprit d’amitié et de partenariat. Il y a quelques jours, j’étais ensemble avec le ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, dans une cérémonie de clôture des 62 ans de coopération dans le secteur agricole. Donc, cela ne se fait pas comme ça s’il n’y a pas vraiment une valeur ajoutée qui sera soutenable après que les experts internationaux ont quitté le pays. Dans son allocution très chaleureuse et amicale, le ministre a mentionné qu’à travers sa présence dans le secteur agricole, l’Allemagne a profondément contribué au développement du pays. Je crois que c’est le cas dans les autres secteurs et ça sera aussi le cas avec le secteur de la formation technique et professionnelle. L’Allemagne va continuer par jouer un rôle important comme partenaire pour le développement du Bénin.
Votre mot de la fin
C’est une expérience extrêmement positive d’être ici dans la position d’ambassadeur. Ce n’est pas que je quitte parce que je ne suis plus motivé de le faire mais c’est la loi allemande sur le service public qui exige ma retraite à 66 ans, autrement j’aurais certainement aimé continuer de coopérer encore avec le gouvernement béninois et la population extrêmement agréable et très charmante. Je quitte mon poste mais ma sympathie profonde pour le pays demeure.