La Nation Bénin...

Prostitution infantile: Les filles à l’épreuve du travail du sexe

Société

A Malanville, commune située à environ 735 km de Cotonou,le marché du sexe impliquant les enfants a pignon sur rue. Conducteurs de camions gros-porteurs et autres viennent satisfaire leur libido, moyennant de l’argent.

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 27 avr. 2023 à 10h58 Durée 5 min.

Elle chuchote. Une voix si timide et triste qui laisse entrevoir les séquelles psychologiques de son mariage forcé avec le nommé Issifou Nassirou. Malia S. (âgée de 17 ans aujourd’hui) raconte dans les moindres détails les peines qu’elle a endurées pendant ces vingt-quatre derniers mois chez son bourreau. Orpheline de père, elle a été donnée en mariage par son oncle paternel avant de fuir pour retrouver sa mère à Garoutédji, (arrondissement de Malanville). Loin du domicile conjugal, elle
vit encore sous la hantise de ces épisodes douloureux, avec la crainte d’être à nouveau capturée par son ‘’mari’’.

Si Malia a eu la chance d’être orientée aujourd’hui vers le Centre de promotion sociale (Cps) de Malanville, d’autres filles victimes du mariage infantile, trouvent plutôt refuge dans la rue à la merci des prédateurs sexuels. A défaut de subir le mariage forcé, elles se livrent à la prostitution et en font très tôt leur gagne-pain. Dans cette localité située au nord du Bénin, la prostitution des mineures est connue. La situation géographique de la zone offre des conditions favorables aux conducteurs de camions gros-porteurs en provenance ou en partance pour les pays de l’hintherland qui peinent à maîtriser leur libido. Salimatou A. a intégré ce cercle vicieux très tôt. « Je parle souvent avec les garçons qui viennent chez ma sœur et quand elle est contente, elle me donne de l’argent. Souvent, ma sœur me laisse dans la chambre avec un garçon. Quand je parle avec les garçons, on couche ensemble et ça me fait mal, mais depuis un moment, ça ne me fait plus mal», dévoile-t-elle. Malanville est une commune carrefour. Elle est frontalière au Niger, au Burkina Faso, au Nigeria. « A la recherche du gain facile, les petites commerçantes tombent inconsciemment dans le piège des conducteurs en transit ou de leurs apprentis », explique Issifou Alassane, promoteur d’Ong. Ce phénomène a pris de l’ampleur aujourd’hui et il pense que les premières personnes que l’on doit interpeller sont les géniteurs : « Lorsque les petites commerçantes ne font pas de bonnes recettes, leurs parents les sermonnent. Ces filles sont obligées de déambuler, avec leurs marchandises sur la tête (arachide, orange, maïs frais...), sur les sites de stationnement des camions, au niveau des gares routières, et des lieux de forte présence humaine afin de vite écouler leurs produits. Certains conducteurs n’hésitent pas à les soudoyer au point où elles tombent facilement dans leur piège », fustige-t-il. Ainsi s’ouvre la boîte de pandore. Les heures de travail et les sites sont connus : à Malanville, le parc des camions gros-porteurs à l’entrée de la ville, la gare routière, les marchés et derrière certaines stations-service. Sans projet de vie, les filles mènent une vie de débauche. La pratique est à la fois si populaire, mais si discrète que seuls les habitués en connaissent le code.

Un site de prostitution infantile à Malanville. Le décor qui accueille est loin de refléter le vrai visage de la prostitution: juste quelques appareils de jeux et de sonorisation dans le hall d’accueil. Il faut arpenter les petits couloirs dans les locaux pour découvrir la réalité. Les filles qui connaissent déjà le mode opératoire ne se font pas prier. Sous le couvert de leurs activités génératrices de revenus, tout se joue en quelques minutes. Après avoir proposé leurs marchandises aux visiteurs dans le hall d’entrée, elles poursuivent leur chemin pour se retrouver à l’autre bout du site où les attendent leurs partenaires sexuels occasionnels. ‘’La marchandise’’ à livrer cette fois-ci n’est ni de l’arachide, de l’orange ou des galettes, mais le sexe. Chemin faisant, celles qui prennent goût à la chose se résolvent à prolonger leur séjour de plusieurs jours sur le site, moyennant paiement au tenancier.

Le principal responsable de cette maison close, Alidou (nom d’emprunt), 29 ans, ne s’en plaint pas. Ce Burkinabé, résidant au Bénin depuis 23 ans, a déjà fait une grande partie de sa carrière dans ce business. Pour celui qui a fait ses premières armes à 8 ans sous le couvert de son oncle paternel avant de monter sa propre entreprise en 2020, il
serait préjudiciable aujourd’hui de changer d’activité. « Je ne connais que ça. Je n’ai pas appris d’autres métiers», jure-t-il. Aux heures fastes, la dizaine de ‘’chambres de passe’’ sur le site réservées à la prostitution, notamment des mineures est parfois insuffisante. Alidou est fier de participer à l’économie locale à travers son job : « Je paye régulièrement l’impôt et la taxe du Bureau béninois du droit d’auteurs (Bubedra), tous les ans. En plus, mon loyer ici s’élève à 300 000 F Cfa par mois et je paye également le salaire à mes employés (gérant, comptable, servantes) ».
A quelques encablures de ce site, la buvette ‘’Agbèrè Junior’’ filtre ses travailleuses de sexe. Le schéma ici est tout autre. Le principal responsable, Rodrigue Tossou, apparemment plus conscient du tort fait aux enfants dit composer uniquement avec les adultes pour ne pas enfreindre les lois protégeant les enfants. Technicien de laboratoire à la base, Rodrigue jure qu’il ne mettra jamais en place des espaces dédiés à la prostitution infantile. Par contre, il faut attendre la nuit pour vivre une autre ambiance du marché du sexe impliquant les enfants sur l’autre site dans la même ville.

Source

Selon Gado Guidami, maire de Malanville, ce phénomène trouve sa source dans les mariages polygamiques et la pauvreté. « Qui multiplie les femmes, multiplie le nombre d’enfants.

 

Les spécialistes de la santé sont unanimes sur le fait que les rapports sexuels précoces et fréquents exposent au cancer du col de l’utérus et aux fistules obstétricales. «En plus, leurs chances de se marier et de vivre sous le toit d’un homme dans le futur sont réduites », analyse Issifou Alassane. Beaucoup d’entre elles font de l’automédication pour se doper et se prémunir contre les Mst.

Aussi, la prostitution infantile fait- elle le lit à d’autres dérives. Roger Ouinsavi parle du trafic d’êtres humains. « Le phénomène prend de l’ampleur avec la célébration des mariages forcés à l’approche du carême musulman. Pour avoir le revenu de la prostitution, il faut faire le tour de plusieurs marchés du département. En suivant ces itinéraires, les filles ne reviennent pas toujours sur les lieux du départ et on ne maitrise jamais leur point de chute. Si la fille n’a pas de références familiales solides, elle peut facilement être livrée aux trafiquants d’êtres humains», révèle-t-il. Le chef du Cps de Malanville évoque le banditisme, le viol, le vol, la délinquance..., qui s’ajoutent à la prostitution.

Par ailleurs, le manque de disponibilité des centres de prise en charge des prostituées expose les victimes aux Mst.

Actions de veille

Le phénomène de la prostitution infantile n’est pas étrange à Zaliath Bagri, chargée de l’hygiène et assainissement en milieu scolaire à Catholic relief service (Crs) de Kandi. Elle côtoie beaucoup de cas de grossesses précoces dans le cadre de son travail. C’est pour cela que le Crs se concentre sur la gestion du cycle scolaire des jeunes filles afin de réduire les déviances dans leurs rangs. La sensibilisation par les pairs est un outil efficace à cet effet. « Nous avons mis en place un système de mères éducatrices et de pères éducateurs afin de sensibiliser les élèves. Les relaiscommunautaires sont aussi d’une grande contribution», fait-elle savoir. Beaucoup croient également en la force de persuasion du Tribunal de première instance de première classe de Malanville. Mais les phénomènes sociaux ayant la peau dure, il faudra dupliquer les initiatives du genre dans toutes les localités du Bénin et les pays impliqués afin de gagner le pari.

De leur côté, certaines Ong participent à la lutte à travers l’organisation des dépistages gratuits au profit des prostituées en collaboration avec les centres de santé, la distribution de préservatifs et la mise à disposition de médicaments contre les infections et maladies sexuellement transmissibles.

https://lanation.bj/storage/assets/2023/04/K2YsDZQa2qLmhHve_WhatsApp_Image_2023-04-26_at_17.27.21_(2...

« Pour infléchir les tendances à l’implication des enfants dans la prostitution ou la pornographie, il est utile aux pouvoirs publics de déployer sur le terrain, l’arsenal juridique de répression des promoteurs de ce phénomène (gestionnaires de maisons de passe, proxénètes, souteneurs, etc.) ; de promouvoir les infrastructures éducatives et socioéconomiques dans les localités de provenance des enfants afin de répondre quelque peu à leurs besoins », propose l’Unicef.

En outre, Roger Ouinsavi préconise la réalisation de tests psychologiques sur les auteurs afin de comprendre leurs motivations. Sinon, s’interroge-t-il, « la gamine de 12 ans a quelle charme à vendre pour qu’on lui saute dessus ? »

A terme, le projet d’autonomisation des femmes et des jeunes filles et de dividende démographique au Sahel (Swedd) prévoit d’impacter trois millions trois cent deux filles, de jeunes garçons et de femmes au Bénin. En attendant, le Cps de Malanville prend en charge certains cas d’abus sur mineurs. Mais qu’en est-il des cas non connus ?