La Nation Bénin...

Crise du système LMD à la FLASH/ UAC: Les réflexions d’un enseignant de l’Université d’Abomey-Calavi

Education
Par   Collaboration extérieure, le 16 sept. 2016 à 03h20

Depuis environ trois ans, sévit à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines (FLASH) de l’Université d’Abomey-Calavi, une crise sans précédent, qui serait liée aux modalités d’application du système LMD (Licence – Master – Doctorat). En tant qu’acteur du système éducatif béninois, et de surcroît enseignant dans cette entité, je me permets de partager, ici, quelques éléments d’analyse de cette crise.

La FLASH est une entité de l’Université d’Abomey-Calavi, composée de douze établissements qui offrent des formations dans la quasi-totalité des domaines des lettres et des sciences sociales et humaines (Sociologie, Anthropologie, Histoire, Psychologie et Sciences de l’Education, Anglais, Lettres modernes, Géographie, Philosophie, Espagnol, Etudes germaniques, Linguistique, etc.). Elle a été créée en 1970, en même temps que l’Université du Dahomey, sous l’appellation « Département des Etudes Littéraires, Linguistiques et de Sciences humaines » (DELLSH). Ce département deviendra en 1979, la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines (FLASH).

Aujourd’hui, la FLASH compte 40% des 92.704 étudiants de l’Université d’Abomey-Calavi, pour un encadrement assuré par 147 enseignants, tous grades confondus. Par exemple, le département de Géographie et Aménagement du territoire compte, à lui seul, 12.682 étudiants inscrits, soit 13% de tous les inscrits à l’UAC (Rectorat UAC, 2015).Chacun pourra donc calculer le ratio enseignant/ étudiants, et comprendre les difficultés d’encadrement et de logistique qui prévalent dans cette entité.

Les origines de la crise du système LMD à la FLASH

Le système LMD s’applique, bon an, mal an, depuis une dizaine d’années à l’Université d’Abomey-Calavi. Les entités de formation professionnelle semblent avoir mis en place des mécanismes d’application relativement adéquats du système. Mais les facultés classiques dont la FLASH, ont de sérieuses difficultés à mettre en œuvre les exigences de ce système, en raison surtout de la pléthore d’effectifs, de l’absence d’infrastructures adéquates et de l’insuffisance d’encadrement.
Le point culminant de la crise est relatif à la session unique que les enseignants entendent faire passer comme une exigence du système LMD. Depuis trois ans environ, les négociations avec les étudiants stagnent sur ce point. Pour les enseignants, la session unique doit être la nouvelle règle de gestion à la FLASH.

Dans leurs récriminations, les étudiants s’opposent à la session unique. En effet, selon eux, la session de rattrapage est l’occasion pour plus de 75% de ceux qui réussissent, de réunir la moyenne requise. Cette position est davantage pertinente dans le contexte spécifique du LMD qui n’autorise pas la compensation entre les différentes unités d'enseignement. Il n’est donc pas question de supprimer la session de rattrapage.
A l’analyse, il est apparu évident que les enseignants de la FLASH n’ont aucunement l’intention de faire échouer en masse les étudiants, comme certains le prétendent. Au cours de l’année académique 2014-2015, pour faire adopter la session unique et démontrer leur bonne foi, ils sont allés même à des concessions docimologiques presqu’inadmissibles. Les étudiants ont tenu aux deux sessions d’examens.
Dans la réalité, la FLASH ne vit pas une crise du système LMD, mais plutôt une crise d’effectif pléthorique. En effet, l’effectif de la FLASH a commencé à exploser depuis une dizaine d’années, depuis que l’ex Faculté des Sciences juridique, économique et politique (FASJEP) a entamé des réformes structurelles (plus de rigueur dans le passage en année supérieure, moins de fraudes lors des examens, etc.).Les étudiants (fonctionnaires ou réguliers), en quête de facilité, se sont orientés massivement vers la FLASH.
Dans un contexte de pléthore d’effectif, les enseignants de cette entité vivent une lassitude sans pareille ; ils croupissent sous le poids des copies à corriger, presque sans congés annuels depuis plusieurs années. On devra également tenir compte des coûts financiers liés à l’organisation des examens dits de rattrapage.

La nécessité d’une réforme profonde à la FLASH

L’invalidation de l’année académique 2015-2016 à la FLASH, une situation assez grave et pénible, devra être une occasion de profonde réflexion dans les universités publiques béninoises. Car, rien n’est acquis pour une reprise effective des enseignements à la rentrée académique d’octobre prochain.
La FLASH devra s’engager dans une réforme profonde pour réduire, dans les trois prochaines années, son effectif. Et les universités nationales devront veiller à un équilibrage de la formation orientée, de façon équitable, vers les filières professionnelles.
On devra également retenir que, dans toutes les universités du monde, du moins celles qui nous servent de référence en matière de mise en application des réformes en lien avec le LMD, il existe toujours deux sessions pour contrôler les connaissances des étudiants: une session initiale et une session dite de rattrapage. Il s’agit d’un mécanisme pour « racheter » les candidats qui n’ont pas validé leurs semestres et qui, selon les universités, prend différentes dénominations : «session de rattrapage», «remédiation», «examens de reprise»,etc.

L’implication des autorités gouvernementales pour une sortie de crise

Au cours de l’année académique 2014-2015, l’intervention du gouvernement béninois a permis de régler, de façon circonstancielle, le problème de la session unique. Les enseignants ont accordé les deux sessions aux étudiants, mais ont été payés pour la charge supplémentaire de travail consentie.
Les autorités gouvernementales actuelles devront se saisir du dossier maintenant, en tout cas avant la rentrée académique 2016-2017. L’UAC en a besoin. Une telle intervention ne saurait être perçue comme une immixtion intempestive dans les affaires académiques et une entorse aux franchises universitaires. A cet effet, les autorités gouvernementales devront :
-sensibiliser les enseignants à opter pour des sessions de rattrapage, comme partout ailleurs ;
-subventionner, pour une phase transitoire de trois ans, le coût du travail supplémentaire réalisé par les enseignants de la FLASH, tout en donnant à cette entité, le temps de faire des réformes internes pour réduire, de façon drastique, son effectif.

Plaidoyer pour une contextualisation du système LMD

Comment appliquer un système LMD adapté aux réalités nationales, qui tienne compte de l’environnement économique, social, culturel, technologique et politique ? Comment tenir compte de la pléthore d’étudiants, de l’insuffisance d’enseignants et de matériels didactiques ?Quels aspects peut-on emprunter à l’ancien système d’enseignement ? La réponse à ces questions devra permettre de comprendre qu’il n’est pas possible d’appliquer, dans son intégralité, les modalités du système LMD au Bénin. Même la France et le Canada ne l’appliquent pas de la même façon. Par exemple, la maîtrise existe toujours au Canada, alors qu’elle a disparu au profit de la licence en France. En France, le passage en année supérieure se fait toujours en fin d’année académique ; alors qu’au Canada, on valide les unités d’enseignement selon les trimestres.
Nous avons alors besoin de réfléchir pour adapter le système LMD au contexte national. Assumons donc «notre» LMD contextualisé !

Par Roch A. Houngnihin

Anthropologue, Maître de conférences Université d'Abomey-Calavi