La Nation Bénin...
Dr
Ngueto Tiraïna Yambaye, directeur général du Fonds africain de garantie et de
coopération économique (Fagace), a été le rédacteur en chef invité du journal
La Nation, ce jeudi 28 novembre à Cotonou. L’économiste spécialisé en Finance
internationale et en Stratégie de financement, dans cet entretien, dévoile les
défis à relever pour renforcer l’impact de l’institution, sa vision pour
élargir sa présence en Afrique, et ses stratégies pour stimuler la croissance
économique et l’emploi à travers des instruments financiers innovants. Avec un
plan stratégique audacieux à l’horizon, le Fagace ambitionne de transformer
l’économie des pays membres et de renforcer la solidarité panafricaine.
La
Nation : En prenant fonction en juillet 2020, vous avez promis de redonner à
l’institution toute sa splendeur. Aujourd’hui, en matière d’accélération du
financement et du développement de l’Afrique, comment se porte le Fagace?
Ngueto Tiraïna Yambaye : Si les pères fondateurs du Fagace ne l’avaient pas créé, il fallait le faire. Ce Fonds a été conçu pour accompagner, de manière patriotique et panafricaine, le développement du continent. Le défi a été relevé grâce à mes longues expériences. J’ai passé 16 ans au Fmi, dont 10 ans en tant qu’économiste principal et 6 ans comme administrateur pour l’Afrique, représentant 24 pays. Cette expérience m’a permis d’observer la trajectoire du continent. L’Afrique a un énorme potentiel, mais elle manque d’attractivité. À mon arrivée, j’ai constaté que même au Bénin, beaucoup de gens ne connaissaient pas le Fagace. Il a donc fallu travailler pour rendre cette institution, qui existait déjà depuis 44 ans, d’abord plus visible, puis repenser sa stratégie de partenariat avec le marché financier. Le Fagace est une certification de confiance, mais la confiance ne se décrète pas, elle se mérite.
Avec
mon équipe, nous avons élaboré un nouveau plan stratégique quinquennal
(2021-2025), misé sur la modernisation de l’institution et le renforcement de
sa gouvernance. La théorie des trois «R» — Rigueur, Responsabilité et
Redevabilité — a guidé nos actions. En effet, une bonne gouvernance impose que
chacun soit responsable, travaille avec rigueur et rende des comptes.
Un fonds de garantie ne travaille pas sur les décaissements, c’est un engagement par signature. Ma signature, en tant que directeur général, vaut 800 milliards. Il faut mériter la crédibilité pour que cette signature ait de la valeur et que les gens l’acceptent. Nous avons travaillé sur la crédibilité et la réputation de l’institution, et aujourd’hui, les résultats sont là. Le Fagace joue désormais le rôle de catalyseur de l’expansion économique et de l’emploi dans les pays membres.
Les
fruits ont donc tenu la promesse des fleurs et vous avez récolté plusieurs
distinctions pour la bonne gouvernance que vous avez insufflée à l’institution.
Quelles réalisations concrètes peut-on tirer de ce plan stratégique ?
La mise en place d’un management participatif a été cruciale. Le directeur général ne prend aucune décision seul, tout se décide collégialement au conseil de direction. Cela permet de créer une confiance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution. Le Fagace a également la chance d’avoir un directeur général expérimenté et désintéressé. Grâce à cette expérience, nous avons mis en œuvre ce management participatif. Le plan stratégique a permis de tripler en quatre ans les engagements de garantie cumulés sur 44 ans. Lorsque j’ai pris mes fonctions, les engagements cumulés s’élevaient à 400 milliards F Cfa, et après quatre ans, nous avons atteint 1307 milliards F Cfa. En termes de mobilisation des ressources, nous avons fait passer le total de 1200 milliards à plus de 4000 milliards. Ces résultats sont le fruit de la nouvelle vision que nous avons insufflée et d’une gestion rigoureuse et responsable. Aujourd’hui, nous avons considérablement amélioré les conditions de travail de notre personnel, ce qui contribue à leur motivation. Certains travaillent jusqu’à 50 ou 60 heures par semaine sans demander de paiement supplémentaire. Ils savent qu’ils sont comme des actionnaires du Fagace, pas de simples employés. Le Fagace est une entreprise collective où tout le personnel a adhéré à cette nouvelle philosophie.
Quels types de projets ont principalement bénéficié du soutien du Fagace dans la mise en œuvre de ce plan stratégique ?
Nous intervenons dans tous les secteurs, à l’exception des projets illégaux. Par exemple, nous soutenons les grands projets structurants, comme la construction d’aéroports, de routes ou de logements sociaux, comme c’est le cas au Bénin. Nous soutenons aussi les petites et moyennes entreprises (Pme) et industries (Pmi) à travers des partenariats avec les Chambres de commerce, les Chambres d’agriculture, les banques et les sociétés de gestion d’intermédiation (Sgi).
Nous
travaillons également avec les institutions de microfinance, à travers une garantie
qu’on appelle garantie grossiste. Le fonctionnement vise à mettre un package
dans une banque, et toutes les institutions de microfinance qui veulent avoir
accès à des prêts pour financer des projets ont directement accès, de sorte que
la banque n’a même pas besoin de demander l’autorisation de Fagace.
Nous avons les garanties individuelles qui sont les garanties pour les gros projets. Généralement, le porteur du projet ou l’État, ou le secteur privé est au courant. Donc, notre philosophie, c’est que nous couvrons ces garanties à 50 %, sauf sur les marchés financiers où on couvre à 100 %. Ici, il s’agit d’une levée de fonds, parce que nous sommes accrédités sur quatre marchés régionaux, dans les 4 zones monétaires où on intervient. Donc, nous intervenons dans tous les secteurs. Il n’y a pas de restrictions.
Vous
avez mentionné les Pme. Pouvez-vous citer des exemples de Pme béninoises
soutenues par le Fagace ?
Le Fagace accompagne de nombreuses Pme, qui représentent environ 80 % de nos interventions. Et de plus, l’institut du Fagace que nous avons créé ne fait pas seulement de la formation, mais fait du renforcement des capacités. Quand les porteurs de projets n’arrivent pas à bien élaborer un business plan, ils viennent nous demander des conseils et nous les orientons. Et comme ils sont nombreux, nous avons signé des accords avec des cabinets locaux afin de les orienter vers ces derniers pour les accompagner dans l’élaboration de leur business plan. Certaines Pme en ont l’expérience, mais il y en a qui n’en ont pas. Donc, nous apportons une assistance technique à travers l’institut du Fagace pour que le business plan soit bancable. Mais les Pme sont nombreuses et nous tenons compte aussi de la catégorisation avec les femmes et les jeunes. Les accords avec des cabinets locaux permettent de les aider à élaborer des business plans bancables.
Nous
mettons en place des lignes de garanties anticipées pour les Pme, de manière à
ce qu’elles n’aient pas à nous solliciter. Par ailleurs, nous avons un institut
de formation interne qui renforce aussi les capacités du personnel, afin de les
rendre plus compétents pour gérer le fonds.
En
ce qui concerne le Bénin, l’économie est dynamique ainsi que les marchés. Les
Pme béninoises sont particulièrement dynamiques, ce qui a permis au Bénin
d’être le pays le plus soutenu par le Fagace, représentant 25 % de nos
interventions.
Avant votre arrivée, le Fagace était proche de la liquidation. Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’institution a traversé des périodes difficiles, mais grâce au soutien des États, elle a survécu. Le Fagace a été créé en 1977 par l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam), et c’est grâce au Bénin que l’institution a survécu après la dissolution de l’Ocam. C’est le lieu de rendre hommage au président feu Mathieu Kérékou qui, à l’époque, a décidé que le Bénin abrite le siège du Fagace. Aujourd’hui, le Fagace est rentable et fonctionne bien. Depuis cinq ans, nous avons enregistré des résultats positifs et une croissance constante. Nos engagements augmentent, et notre utilité publique se fait sentir. Nous recevons tellement de demandes que nous ne pouvons en satisfaire que 60 %. Nos engagements sont assurés et nous avons réussi à réduire le taux de dégradation des garanties, qui était de 68 % à mon arrivée, à moins de 2 % aujourd’hui. Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’appel de garantie, il n’y a pas de perte parce que c’est le plus compliqué. Si vous accordez une garantie et que l’analyse des risques n’est pas bien faite, c’est vous qui perdez de l’argent. Donc, le management participatif nous amène à faire du comité d’évaluation le décideur, pour définir la manière dont les gens doivent prendre une garantie. Le débat est très technique et le directeur général a le même vote que tout le monde. C’est la transparence et la rigueur qui nous permettent d’arriver à ce résultat de risque quasi nul dans notre management.
Ces résultats ne sont pas obtenus sans obstacles. Quels défis reste-t-il à relever pour le Fagace ?
Les défis sont à la fois internes et externes. L’un des principaux enjeux reste le soutien des Etats. Les fonds propres du Fagace doivent être suffisants pour permettre des interventions à grande échelle. Le modèle des fonds de garantie permet, avec des fonds propres de 100 milliards F Cfa, d’accorder des garanties pouvant aller jusqu’à 1000 milliards. Si le Fagace dispose de fonds propres suffisants, l’effet multiplicateur est immense. Mais si les fonds propres sont faibles, cela nous limite dans nos interventions. Etant donné que nous gérons des risques, nous ne voulons pas aller trop loin. Le régulateur est aussi un facteur à prendre en compte. Les fonds de garantie sont assimilés par le régulateur aux banques de développement. Il n’existe pas encore de réglementation type pour les fonds de garantie, et nous travaillons à corriger cela. Il est essentiel qu’une réglementation spécifique existe pour les fonds de garantie. Nous sommes assimilés aux banques de développement, mais en réalité, nous allons au-delà, car notre ingénierie financière est plus complexe. Nous réfléchissons constamment à l’élaboration de nouveaux instruments financiers pour accompagner le développement des Etats.
Comment
le Fagace peut-il étendre sa présence, de 14 à 30 pays, voire plus ?
Le Fagace est actuellement composé de 14 pays, et 10 autres sont en cours d’adhésion. Aujourd’hui, nous œuvrons pour attirer des institutions non étatiques dans notre capital, ce qui nous permettra d’augmenter la taille de notre réseau. Dans la structure du capital du Fagace, 30 % sont destinés au secteur non étatique. Toutefois, depuis sa création, aucune institution non étatique n’a souscrit. Depuis mon arrivée, nous avons travaillé dans ce sens et, bientôt, des institutions non étatiques vont entrer dans notre capital. Les 30 % réservés aux institutions non étatiques seront effectivement souscrits. Par ailleurs, beaucoup de pays ont quitté le Fonds de l’Ocam, qui a donné naissance au Fagace. Il fallait reconstituer le Fagace. A l’époque, seuls sept pays y adhéraient, mais aujourd’hui nous en comptons 14. Les adhésions sont en cours, tant pour les nouveaux États que pour les institutions internationales et non étatiques.
C’est dire que les entreprises n’ont pas de difficultés à avoir accès à la garantie…
Pas du tout. Cependant, nous allons investir davantage dans la communication pour que les gens comprennent le mode opératoire du Fagace. Il est essentiel qu’ils comprennent notre fonctionnement, et les portes de l’institution leur sont ouvertes. C’est pour cela que nous avons signé des conventions avec les Chambres de commerce, les Chambres d’agriculture, ainsi qu’avec les banques, pour renforcer les liens. Dans chaque pays, nous avons créé ce qu’on appelle le bureau d’information et de liaison, qui est une boîte à lettres permettant de sensibiliser les entreprises et les entrepreneurs. Le Fagace étant une institution publique internationale, nous sommes au service des économies des pays membres, et non l’inverse. Nous sommes une institution au service de tous. Nous organisons de nombreuses sessions de formation et de sensibilisation pour accompagner nos partenaires. Récemment, l’institut du Fagace a organisé, en collaboration avec l’université de Clermont-Ferrand, un séminaire international de haut niveau sur les investissements d’impact. Ce séminaire a réuni des banques, des porteurs de projets et des privés, afin de repenser les types d’investissements à mettre en œuvre dans les économies africaines. Il est crucial que tout investissement ait un impact positif sur la vie de la population. Si un investissement améliore les conditions de vie, il favorisera la prospérité en Afrique.
Le Fagace reste encore peu connu, que ce soit au Bénin ou à l’international. Quelles stratégies envisagez-vous pour améliorer sa visibilité ?
Il est vrai que le Fagace n’était pas très connu au départ, même au Bénin. C’est un instrument très puissant, mais sous-utilisé. Lorsque j’ai pris mes fonctions, le Fagace utilisait seulement 10 % de son potentiel. Mais aujourd’hui, grâce à la mise en place du plan stratégique axé sur la modernisation et le renforcement de la gouvernance, nous sommes de plus en plus sollicités.
Nous
avons mis en place une nouvelle stratégie de communication pour accroître notre
visibilité. Nous avons créé une cellule de communication et formons tout notre
personnel à l’anglais, afin de mieux nous connecter avec nos partenaires
internationaux. Cette nouvelle stratégie nous permet de mieux nous faire
connaître et d’attirer davantage de pays et d’investissements. C’est une innovation
que nous avons instaurée. Nous communiquons davantage aujourd’hui pour
permettre au Fagace de se faire connaître. De plus, depuis deux ans, tout le
personnel suit une formation en anglais, car des pays anglophones vont adhérer
au Fagace, et les marchés financiers comprennent mieux l’anglais.
Vous
avez récemment mis en place un institut et bientôt des campus métiers. De quoi
retournent ces initiatives ?
Nous avons un principe fondamental : « Seul, l’argent ne suffit pas ». Le véritable capital, c’est le capital humain. C’est pourquoi nous avons mis en place un institut de formation en management. Les professionnels du Fagace peuvent y apprendre le droit financier, la gestion des risques, le financement des Pme, et bien d’autres domaines. L’objectif est de faire de cet institut un centre de formation de référence pour le secteur financier. Pour accompagner les performances financières, il est essentiel de renforcer les capacités des acteurs. Tout d’abord, en interne, le personnel doit être compétent. Il doit respecter des délais précis pour accomplir une tâche : un travail devant être accompli en une journée ou en cinq heures doit être fait dans ce temps imparti. Notre compétence est ce qui fait notre respectabilité, et cet héritage, je le transmets à mon personnel.
Aujourd’hui,
seul un expert ou un spécialiste peut travailler au Fagace. De plus, nous ne
travaillons pas de manière isolée. Beaucoup d’agents veulent travailler seuls
pour se rendre indispensables à l’institution. Cette attitude doit disparaître.
Il faut partager le travail, la richesse, et la prospérité. Nous avons donc mis
en place une économie de partage.
Quels sont les principaux axes du nouveau plan stratégique en cours d’élaboration ?
Le plan stratégique 2026-2030 est en préparation, car le plan actuel se termine en 2025. Ce dernier réussit son pari, car nous avons largement dépassé les objectifs fixés. Pour le plan stratégique 2026-2030, nous allons continuer à renforcer la gouvernance du Fagace, car c’est la clé. Chacun doit être redevable, responsable, et la rigueur dans la reddition de comptes sera une priorité. Deux axes principaux guideront le nouveau plan stratégique: renforcer la gouvernance et moderniser le Fagace selon les standards internationaux. Nous souhaitons aussi promouvoir de nouveaux instruments financiers, tels que les garanties Swift et les titres verts, encore peu développés en Afrique. Notre objectif est de transformer le Fagace en une institution moderne, attractive et compétitive à l’échelle internationale.
Quelles sont les perspectives du Fagace en termes de contribution à la croissance économique et à la création d’emplois, que ce soit au Bénin ou dans les autres pays membres ?
La finalité de l’économie, c’est la croissance et la création d’emplois. Pour que l’activité économique fonctionne correctement, le Fagace doit jouer un rôle clé. Si le Fagace n’est pas présent, les échanges commerciaux et les crédits bancaires ne pourront pas atteindre un niveau suffisant pour déclencher la croissance et créer des emplois. Sans activité économique, il n’y a ni croissance, ni emplois. Sans crédit, il n’y a pas de croissance. Comme le dit un proverbe, on ne devient riche que par le crédit. Le crédit crée un effet multiplicateur de croissance, comme le décrit le multiplicateur keynésien. Les banques doivent jouer leur rôle, mais on peut se demander si elles y parviennent réellement en Afrique. Notre rôle est de pousser les banques à contribuer au développement, notamment dans des secteurs qu’elles évitent souvent, comme l’agriculture. Ce secteur génère beaucoup d’emplois et crée des richesses. L’agriculture et l’élevage ont un impact significatif sur les populations et favorisent une économie de proximité. Nous devons aussi créer des marchés locaux pour éviter que les producteurs aient à parcourir de longues distances pour écouler leurs produits. Cela participe à la structuration de l’économie locale et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Le Fagace se positionne ainsi comme un catalyseur pour dynamiser l’économie africaine, renforcer la solidarité panafricaine, tout en stimulant la croissance et l’emploi dans tous les États membres.