La Nation Bénin...
1994-2024.
Trente ans après sa mise en place, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la
communication (Haac) arrive au terme de sa 6e mandature, début Juillet
prochain. Le processus de renouvellement de ses membres a démarré sur fond de
polémique au sujet du bilan global de l’institution et de la mandature sortante
en particulier. L’environnement médiatique reste fragile, voire informel,
notamment dans le secteur privé. Il importe de s’interroger sur l’avenir de
cette corporation ainsi que sur les enjeux et défis auxquels devront faire
face, les prochains membres de l’Institution de régulation des médias pour être
à la hauteur de la modernisation d’un pays en chantier et en pleine
transformation, depuis huit ans.
Il
était une fois, le 10 juin 1994. Une poignée de jeunes pionniers de
l’organisation de la Presse privée au Bénin : Charles Attolou-Moumouni, Jérôme
Badou, Emmanuel Adjovi, etc.; en compagnie de nos aînés de la presse du service
public. Par un vote à main levée et sous un hangar du parking de la Direction
générale de l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (Ortb), nous
avions procédé, dans une ambition sérieuse mais sereine, à la désignation de
nos représentants pour la première mandature de la Haute Autorité de
l’audiovisuel et de la communication. Nous avions simplement choisi ceux qui
étaient légitimement considérés comme les meilleurs d’entre nous : les plus
légitimes par leurs parcours et leurs références professionnelles.
Jeunes
journalistes réunis à l’époque au sein du creuset de l’Union des Journalistes
de la Presse privée du Bénin (Ujpb) que nous avions créée, un an plus tôt, nous
avions désigné de façon naturelle, pour la presse écrite, Innocent Lawson.
Précédemment directeur de l’Agence Bénin Presse (Abp) ; c’était notre mentor au
sein, par exemple, de la Rédaction de l’hebdomadaire, La Récade de son ami
Thomas Megnassan, qui fut lui-même directeur de Daho-Express (futur Ehuzu,
actuellement La Nation).
Pour
la presse audiovisuelle, Sébastien Agbota, alors Directeur général adjoint de
l’Ortb et président de l’Association des Journalistes du Bénin qui réunissait
les professionnels du service public, avait été plébiscité. Sans coup férir.
Désormais
les temps ont changé. L’élection des professionnels, souvent entre guillemets,
des médias à la Haac est devenue une bataille rangée. Une rixe sanglante qui
voit des candidatures nombreuses s’afficher, sans vraie vision ni projet réel,
mais juste avec la perspective pour chaque candidat, de tenter de se donner
l’unique chance d’une réussite sociale et d’une reconnaissance publique à durée
déterminée : cinq ans. Dans une société où la noble et belle profession de
journaliste a été bafouée, décrédibilisée, descendue de son piédestal,
violentée, et j’en passe.
Désormais,
entrer à la Haac est devenu non pas la consécration légitime d’un parcours et
la reconnaissance d’une capacité à impacter l’exercice et l’avenir de la
profession pour le bien de la nation et de la corporation. Mais purement et
simplement, le seul moyen de se forger un destin individuel. Il ne s’agit plus
d’une démarche participative à la croissance collective d’une profession, mais
d’une soif de jouissance personnelle. A présent que la perspective de
renouvellement de ce bail quinquennal est désormais ouverte par la loi
fondamentale, l’enjeu personnel n’en est que plus exacerbé pour les uns, élus
par leurs pairs, comme pour les autres, nommés par les institutions (Assemblée
nationale et Présidence de la République).
La
lamentable conséquence pour la République de tout ce phénomène est que trente
ans après sa première installation, notre organe de régulation des médias n’a
point… bonne presse au sein de la corporation dont elle est censée à la fois
surveiller le bon fonctionnement et garantir l’épanouissement.
Certes,
le secteur lui-même ne bénéficie guère d’un grand prestige et d’une forte
crédibilité au sein de l’opinion publique dans notre beau pays. Ceci est le
solde d’un très long déficit de vision et d’actions pouvant impacter la
structuration de la corporation et la création d’un environnement professionnel
et économique conforme aux exigences de qualité de l’information auquel tout
peuple a droit dans un contexte démocratique et dans une perspective de
développement.
Dans
quelques semaines aura lieu l’élection (le 09 juin 2024) par leurs pairs de
trois (3) nouveaux membres de l’Institution : un représentant de la Presse
écrite, un représentant de l’Audiovisuel et un représentant des Techniciens des
Télécommunications. Parallèlement à la
désignation de leurs six autres collègues par le bureau de l’Assemblée
nationale (un Juriste, une personnalité de la société civile et un
communicateur) et le président de la République (un Juriste, une personnalité
de la société civile et un communicateur). Pendant ce temps, la polémique bat
son plein sur la pertinence du renouvellement, désormais possible du mandat des
anciens membres de l’Institution.
Plutôt
que de regarder dans le rétroviseur, nous avons préféré ici nous projeter vers
l’avenir en procédant à une analyse des défis qui se présentent à
l’Institution, trois décennies après sa première constitution. Il apparaît
cohérent qu’à l’heure où notre pays connaît
de nombreuses et profondes réformes, le monde des médias aussi mérite
une mue. Elle passe inéluctablement par un rôle efficient de la Haac qui pourra
ainsi faire preuve enfin de son utilité en optimisant son intérêt politique
légitime pour le pouvoir, tout en formalisant et en donnant un avenir digne de
ce nom à la presse béninoise pour le bénéfice d’une information de qualité au
service de la Nation.
Pour
ce faire, il importe que les prochains membres de l’Institution disposent,
globalement mais aussi chacun en particulier dans son domaine, d’un profil
idéal en adéquation avec les enjeux techniques et politiques de la mandature
pour les prochaines années.
Les enjeux techniques de la prochaine mandature
Le principal défi auquel devra s’attaquer le prochain Collège de conseillers réside dans la formalisation pertinente du Contenu et la mise en œuvre des réformes relatives à la modernisation de l’écosystème des médias au Bénin. Il s’agira enfin de travailler à hisser l’environnement des médias au diapason des transformations ambitieuses que le pays connaît depuis 8 ans et qui devront se consolider et se poursuivre jusqu’en 2026 et après.
Cet
objectif doit concrètement se traduire très rapidement par l’élaboration d’un
Plan ou d’une « Stratégie nationale de modernisation du secteur des médias » et
donc la confection d’une nouvelle architecture juridique basée sur les réalités
locales mais aussi sur des systèmes de référence. Ces nouvelles normes doivent
permettre de créer un environnement médiatique qui se fonde sur trois piliers :
-
l’excellence dans l’exercice de la profession ;
-
la mise en place d’un modèle économique pour des entreprises de presse
financièrement solides ;
-
l’épanouissement socioprofessionnel des acteurs des médias (Journalistes,
techniciens, personnels administratifs).
Pour
réussir un tel défi, les futurs conseillers, élus comme nommés devraient
idéalement correspondre à un certain profil.
Le
profil idéal des prochains conseillers
•
Les conseillers élus par leurs pairs
-
Il doit s’agir de professionnels aguerris, compétents et légitimes non
seulement au regard de leurs parcours, mais aussi pour leurs idées et leur
engagement en faveur de la modernisation et des réformes ambitieuses dans le
secteur des médias.
-
Dans la mesure du possible, l’élection à la Haac ne doit plus être un tremplin
pour la réalisation de destins individuels souvent éphémères, mais une
reconnaissance pour l’exemplarité du cheminement du candidat, ses qualités
humaines et sa capacité à impacter positivement l’avenir du secteur.
•Les
Conseillers nommés par les institutions
-
En dehors de la personnalité de la société civile (généralement un homme ou une
femme politique) et du Juriste, la corporation serait fière de voir nommés aux
deux sièges de communicateurs provenant du bureau de l’Assemblée nationale et
du Président de la République, de vrais professionnels des médias, compétents
et légitimes non seulement par leurs parcours, mais aussi pour leurs idées et
leur engagement en faveur de la modernisation et des réformes ambitieuses, dans
le secteur des médias. Il doit aussi s’agir de professionnels réputés pour leur
sens de l’éthique et de l’intérêt de la corporation.
-
Globalement ici aussi, il serait important pour l’efficacité et l’utilité de
l’Institution que les désignations soient faites en raison des qualités
professionnelles, humaines et éthiques des personnalités ainsi que pour leur
intérêt avéré par le passé pour les questions liées à la vie des médias. Ces
désignations ne devraient pas être considérées systématiquement comme des
sinécures ou récompenses politiques destinées à aider les uns et les autres à
façonner ou à renforcer leurs destins personnels.
Si
selon l’article 3 de sa Loi Organique « La Haute autorité de l'audiovisuel et
de la communication est une institution indépendante de tout pouvoir politique,
association ou groupe de pression de quelque nature que ce soit », il n’en
demeure pas moins vrai qu’il s’agit d’un énoncé de principe purement hypocrite
et en porte-à-faux avec la réalité du fonctionnement et de la composition de
l’institution, depuis ses débuts.
Les
enjeux politiques sont légitimes dans la mise en œuvre de la mission d’une
telle institution nationale. Il en est de même partout y compris dans les
modèles de référence démocratique. Mais pour que son fonctionnement soit
efficient et même d’intérêt politique optimisé, le profil des membres est
déterminant. Leur vision générale est capitale pour définir la ligne politique
idoine. Dans l’intérêt du pouvoir mais aussi de la Nation et de la corporation.
Les enjeux politiques de la prochaine mandature
• La vision générale du collège
Les
qualités humaines, professionnelles et éthiques des conseillers ne sauraient
être incompatibles avec la loyauté politique, l’intérêt de la corporation et
l’intérêt de la Nation. Tous ces éléments sont naturellement harmonisés et mis
en œuvre avec force et vigueur mais aussi en toute sagesse par un collège de
qualité et sous la conduite d’un Président bâtisseur, à la personnalité juste
et parfaite.
• La ligne politique
Si
la compétence professionnelle et les qualités humaines doivent être les
facteurs caractéristiques souhaités des prochains membres du collège des
conseillers, la réforme du secteur des médias doit être leur horizon. Pour y
parvenir, le collège doit s’appuyer sur une ligne politique dont les termes de
référence figurent dans le projet de société 2021-2026 «Le Développement, ça Y
est » du Président Patrice Talon et dont voici quelques extraits: « L’accès à
l’information de qualité et la dynamisation du marché publicitaire soutiendront
le développement des médias publics et privés et permettra une meilleure
orientation des aides publiques ainsi que l’émergence de médias de qualité,
attractifs pour les populations » Page 47 du Projet de société Talon-Talata).
Cette
vision a été projetée dans le Programme d’action du gouvernement Pag 2
(2021-2026) en Objectifs stratégiques et en résultats attendus dont voici
quelques extraits figurant à la page 59 :
«
Action 1: Renforcer l’accès des citoyens aux médias et à l’information de
qualité.
«
Action 2: Accompagner la transformation du modèle économique des médias
béninois en vue d’améliorer la viabilité financière des entreprises du secteur.
»
«
Action 3: Moderniser les médias de service public pour la conquête d’une
audience plus large et plus diversifiée. »
Ceci
induit une principale réforme qui figure à la Page 60 du Pag 2 en ces termes :
«Principale réforme du secteur des médias : Modernisation des cadres
règlementaire et institutionnel de l’audiovisuel et de la communication ».
Bien
entendu, le rôle de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication
n’est pas en principe de définir, ni de mettre en œuvre la politique
gouvernementale en matière de communication. Mais nous sommes un pays en
chantier et où les vraies compétences ne courent pas les rues notamment, dans
le domaine qui nous concerne ici. Les institutions sont encore en pleine
édification. Si l’ambition de la corporation est d’avoir une prochaine
mandature qui concentre des talents aux qualités humaines, éthiques et
professionnelles exceptionnelles de sorte à produire enfin une réelle
transformation de l’écosystème des médias, le collège sous la houlette de son
président, doit forcément travailler en bonne intelligence et synergie avec les
Départements ministériels en charge de la Communication, du Plan et du
Développement, ainsi qu’avec les parlementaires, pour définir la nouvelle
architecture juridique de cet écosystème susceptible de projeter notre pays
dans un nouveau monde. Celui où le récit de notre cheminement dans l’histoire
et vers le futur sera élaboré et donné à savoir de façon authentique par des
professionnels dignes du nom et dans un contexte comparable aux standards
internationaux.
Conclusion
Au total, la prochaine mandature doit être composée de conseillers compétents, et habités par des enjeux techniques et politiques adéquats en vue d’accompagner la nation, le gouvernement et son chef, ainsi que la corporation vers un nouvel horizon. A la mesure et à la hauteur des ambitions que nous voulons pour notre pays demain et digne de l’héritage que le Président Patrice Talon est en train de laisser à notre pays.
Hors
de cette perspective à court, moyen et long termes, la Haac demeurera, dans
trente ans encore, une institution sans réel intérêt pour une corporation
condamnée à demeurer informelle. Un organisme inutilement budgétivore pour les
ressources de la nation. Que Dieu nous en garde.
J’ai dit.
Par
Vianney ASSANI, journaliste,
Diplômé
du Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme de Strasbourg (CUEJ)
Président
du Think Tank, I-MEDIA