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Regards croisés sur un patrimoine en péril :Etat des lieux, plaidoyer et propositions pour une valorisation du conte

Culture
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 03 avr. 2015 à 06h41

L’état des lieux du conte au Bénin, son importance dans les programmes d’études au niveau des enseignements primaire et secondaire, son utilité dans l’enseignement de la langue française, les faiblesses de la didactique du conte… et les approches de solutions à envisager. Ce sont là les éléments qui ont meublé le colloque international organisé dans le cadre de la quatrième édition des Rencontres internationales des arts de l’oralité (RIAO). Lesquelles ont mobilisé à Cotonou, des pays comme la Belgique, la France, le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Burkina Faso.

« Le conte africain est un fait de civilisation, le reflet de valeurs idéologiques, un mode d’expression et de pensée, un art et une forme de littérature ». Cette vue du conte, proposée par l’inspecteur à la retraite, Magloire Cossou qui avait pour but de replonger les participants au colloque international organisé dans le cadre de la quatrième édition des Rencontres internationales des arts de l’oralité (RIAO) dans l’esprit même de ces contes racontés jadis au clair de lune, et qui ont amorcé depuis peu leur apogée. Pour lui en effet, le conte africain est d’abord une manifestation de la société traditionnelle dans laquelle la communication orale est privilégiée et donc un phénomène d’oralité. Mieux, les contes africains sont merveilleux et procèdent en fait d’une mentalité animiste avec des hommes, des animaux, des végétaux, des êtres surnaturels et des divinités montrés en interaction. Mais de plus en plus, le conte perd de sa superbe. Même si pour le conteur et cinéaste Claude Balogoun, il est comme une matière première pour toutes les disciplines artistiques. «Son insertion dans les œuvres de création garantit un succès indiscutable que ce soit en cinéma, en musique, au théâtre», souligne-t-il. Il n’en veut pour preuve que le premier film réalisé au Bénin par le Père Aupiais dont la substance n’est que le conte. Autant de prestiges en perte, qui ont conduit à l'organisation des RIAO par l’association Katoulati, avec Partenari'arts & Culture Bénin. Ce colloque dont la contribution à une valorisation du conte se passe de commentaires.

Trop de faiblesses…

En termes de faiblesses, les communicateurs invités par les RIAO pour se pencher sur la problématique du conte au niveau des programmes d’enseignement, en ont identifié plusieurs. Ceux-ci ont estimé par exemple que « l’apprentissage du conte devrait être la porte ouverte à l’éducation morale, à l’édification intellectuelle et une récréation didactique pour les élèves ». La situation d’apprentissage du conte, ont-ils souligné, devrait susciter des vocations et semer l’émotion. Malheureusement, constate l’inspecteur Apollinaire Agbazahou, «la rigueur religieuse qui caractérise la discipline scolaire contraint l’enseignant non averti à maintenir la grisaille des classes et à enseigner le conte comme il enseigne tout autre texte narratif». Ce qui ne soulève pas souvent l’enthousiasme des élèves qui se contentent alors d'un catéchisme habituel, constate cet expert. Lequel est fait de l’étude des personnages, du résumé du texte, de l’intention de l’auteur, et un peu de saupoudrage d’ordre lexical et grammatical, poursuit-il, avant d'indiquer qu’il s’agit au finish d’un enseignement «stérile et infécond». Ceci, d’autant plus que les dimensions artistique et ludique sont toujours sacrifiées.
En réalité, observe Apollinaire Agbazahou, «le conte devrait être un genre composite qui exploite tous les outils des arts et de la scène, qui convoque le jeu d'acteur, surtout la diction, la mimique et la gestuelle pour donner vie au texte étudié ». Il peut avoir distribution de rôles si plusieurs personnages sont mis en espace dans un conte en étude, martèle-t-il.
Au-delà, de ces observations, l’inspecteur et sans doute l’enseignant et acteur culturel qu’il est également, note plusieurs autres insuffisances. Il s’agit par exemple de l’absence des conteurs béninois dans les programmes.
En effet, sur les sept recueils de conte au programme, seulement un auteur béninois est étudié, regrette-t-il. Pourtant, il existe des recueils de contes comme «La fille têtue» de Jean Pliya, «Les épouses du fâ» du professeur Mahougnon Kakpo «qui défendent bien nos valeurs endogènes et qui sont d’excellentes factures» mais qui sont délaissés.

«Il urge que l’école s’ouvre sur le monde des arts»

Créer un binôme école-secteur culturel pour barrer la voie au mimétisme ambiant qui gangrène le secteur culturel béninois, trouver des solutions pour forcer une jeunesse ouverte et portée vers la culture endogène. Ce sont là, quelques-unes des raisons pour lesquelles, le colloque des RIAO a scruté l’horizon, en penchant notamment pour une autre approche de l’introduction de la culture dans le secteur éducatif. Les participants à la rencontre ont été d’ailleurs unanimes sur le fait qu’il faille «ouvrir l’école sur le monde des arts pour une initiation des enseignants aux métiers de la scène et faire descendre de temps à autre des conteurs professionnels dans les classes».
On pourrait également, ont-ils suggéré, «exploiter l’expertise des enseignants-artistes pour des séminaires de formation et susciter un partenariat entre les ministères en charge de l’Education et celui de la Culture pour une action concertée dans ce sens ».
Mais de telles actions, sans une valorisation des acteurs des arts oratoires, notamment les conteurs ne peuvent prospérer. Raison pour laquelle, les participants ont émis le vœu qu’il soit institué un prix d’excellence annuel pour récompenser les meilleurs conteurs et auteurs de conte. Ils pensent aussi faire un lobbying en direction du Fonds d’aide à la Culture pour la promotion de toute entreprise agissant dans le cadre de la valorisation du conte. La création d’un cadre juridique facilitateur de production de contes est aussi envisagée. Pour eux, il faut « arguer de la décrépitude morale ambiante avec pour corollaire la cybercriminalité, la fréquence des braquages, les jets de nourrissons par leurs génitrices, l'assassinat froid des forces de sécurité par la pègre, les vols à main armée, l'émoussement du droit d’ainesse, l’incivisme, la recherche des solutions de facilité… et proposer des solutions de masse dont le conte est un dépositaire fiable et efficace ».

Quelles perspectives alors?

La première série de propositions en vue de faire du conte un outil de développement et mieux travailler son intégration dans les programmes et activités scolaires est venue de l’administrateur culturel Espéra Donouvossi. Celui-ci estime en effet qu’il « urge que les acteurs culturels et de la Société civile se mobilisent et initient des activités et programmes». Lesquelles « promeuvent plus et mieux le patrimoine culturel dans les créations artistiques avec mention spéciale au conte».
Pour Espéra Donouvossi en effet, il faut mettre en place des mécanismes de recherche pour évaluer, quantifier l’apport de la culture dans le processus du développement car « l’absence de données affaiblit les programmes de plaidoirie et des activités de groupe de pression dans le secteur culturel et artistique». Ensuite, préconise-t-il, d’initier des rencontres culturelles, créatives et thématiques pour discuter et analyser les données sur la culture et faire des propositions pour une meilleure gestion de la culture au Bénin, de tisser des liens solides avec les universités pour faciliter et encourager les recherches non sur l’importance de la culture mais sur les chiffres et données qui certifient son importance économique.
Pour sa part, l’inspecteur à la retraite, Magloire Cossou établit des perspectives en tenant compte de l’existant. Celui-ci soutient que des efforts se font pour transcrire et conserver les contes. Dans une Afrique en évolution rapide, «il est tout à fait probable que les séances de contes au clair de la lune dans les villages risquent de devenir de plus en plus rares, mais le conte ne périra pas». Il survivra, dit-il, grâce à l’écrit des livres, bandes dessinées, journaux, à l’audiovisuel via la radio, la télévision et même grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et autres supports numériques et diverses applications comme You Tube, WhatsApp...
Pas étonnant alors qu’il ait été décidé à l’issue dudit colloque de la mise sur pied d’un comité de suivi de ses actes et recommandations du colloque et d’un comité scientifique pour la recherche et les réflexions sur l’apport économique de la culture au développement au Bénin.