La Nation Bénin...
Le
développement économique en Afrique de l’Ouest ne pourra être partagé que si la
stabilité politique et la sécurité sont rétablies, estime Gilles Yabi,
fondateur du think tank Wathi. Selon lui, l’avenir de la région dépend de la
capacité des dirigeants et des populations à réinventer un modèle de
gouvernance fondé sur des institutions solides et des valeurs comme l’équité et
la justice sociale.
Les
conflits armés, les coups d’Etat et la faiblesse des institutions menacent non
seulement la stabilité des États, mais aussi la possibilité d’un développement
économique équitable en Afrique de l’Ouest. C’est du moins l’avis de Gilles
Yabi, fondateur et président-directeur général de Wathi, un think tank citoyen
de l’Afrique de l’Ouest, et chercheur non résident pour le programme Afrique du
Carnegie Endowment for International Peace. Dans une opinion intitulée « Le
Sahel : un enchevêtrement de difficultés », publiée sur le site du Fonds
monétaire international (Fmi), il souligne que la faiblesse des institutions et
l’instabilité politique compromettent non seulement les efforts de
développement économique, mais amplifient également les inégalités.
Depuis
plus d’une décennie, l’Afrique de l’Ouest, en particulier le Sahel, est prise
dans une spirale d’insécurité et d’instabilité politique. Des pays comme le
Mali, le Burkina Faso et le Niger ont vu leur situation sécuritaire se dégrader
à cause de l'influence croissante de groupes armés non étatiques, notamment
terroristes, qui sévissent aussi dans les Etats voisins. Selon l’Indice mondial
du terrorisme de 2024, ces trois pays figurent parmi les dix plus touchés par
le terrorisme dans le monde.
Ces
pays ont également été secoués par des coups d’Etat récents (entre 2020 et
2023), reflétant une instabilité politique croissante qui a des conséquences
désastreuses sur le plan économique et social. La fermeture d’écoles, la fuite
des populations et la désintégration des services publics affaiblissent le
capital humain, créant une génération de jeunes sans éducation ni perspectives
d’avenir, susceptibles de sombrer dans la criminalité ou de rejoindre les
groupes armés, analyse M. Yabi.
Cette instabilité politique et économique trouve en partie ses racines dans l’héritage colonial. Les frontières actuelles et les institutions des pays sahéliens, notamment celles du Mali, du Burkina Faso et du Niger, sont le résultat de processus historiques marqués par la domination coloniale française. Ces pays, encore jeunes Etats indépendants, possèdent des institutions souvent perçues comme inefficaces ou corrompues par une partie de la population.
De
plus, la crise économique des années 1980 et les ajustements structurels
imposés par les institutions financières internationales ont contribué à
affaiblir davantage les États de la région. Les ressources publiques, déjà
limitées, ont été mal gérées, et les tentatives de démocratisation ont souvent
échoué à instaurer une gouvernance véritablement inclusive et transparente.
La
mauvaise gouvernance reste un cercle vicieux dans de nombreux pays. Dans
plusieurs États d'Afrique de l’Ouest, la politique est souvent dominée par des
réseaux d'intérêts économiques et politiques qui capturent les ressources de
l’État pour leurs propres bénéfices. Comme le décrit l’anthropologue
franco-nigérien Jean-Pierre Olivier de Sardan dans son analyse sur le Niger, le
système politique est pris au piège de ce qu’il appelle des « prisons du
pouvoir». Ces prisons, formées par les élites économiques, les courtisans
politiques, les bureaucrates et les experts internationaux, verrouillent
l’accès à un développement économique partagé.
Les
gouvernements successifs se retrouvent ainsi dans une dynamique où ils doivent
satisfaire les exigences des groupes d’intérêts qui les ont portés au pouvoir,
au détriment d’un développement national inclusif, selon Gilles Yabi. Il
dénonce la corruption devenue endémique et les politiques publiques
inefficaces. Cette situation est aggravée par une dépendance excessive aux
institutions internationales qui, bien que souvent animées de bonnes
intentions, contribuent parfois à renforcer des structures de pouvoir
dysfonctionnelles.
Face à ces défis, les solutions doivent s’inscrire dans une stratégie à long terme. Pour Gilles Yabi, il est essentiel de renforcer les institutions de gouvernance, en mettant l’accent sur l’intégrité, l’efficacité et la transparence. La lutte contre la corruption, un contrôle accru de l’utilisation des ressources publiques et l’institutionnalisation de la participation citoyenne sont des mesures indispensables. «Pour restreindre la captation de l’Etat par les quelques groupes qui abusent de leur proximité avec les détenteurs du pouvoir politique, il faut renforcer les institutions en privilégiant l’efficacité et l’intégrité», soutient-il.
Gilles
Yabi insiste sur l’adoption d’une démarche institutionnelle visant à réduire les
inégalités géographiques au sein des pays en suivant les progrès réalisés en
matière de prestation de services publics. La pérennité de la croissance
observée dans certains pays de la sous-région, malgré les crises, dépend du
maintien de la sécurité sur leurs territoires et de la perception du risque,
qui est affectée par la situation au Sahel.
Par
ailleurs, un investissement massif dans l’éducation et la formation
professionnelle est crucial pour offrir aux jeunes des perspectives d’avenir,
tout en soutenant des secteurs économiques locaux comme l’agriculture et
l’élevage. Ce n’est qu’en investissant dans le capital humain que les pays
d’Afrique de l’Ouest pourront construire une économie plus résiliente, durable
et inclusive, conclut Gilles Yabi. Il est également crucial que la communauté
internationale, et les institutions financières, adaptent leurs interventions
au contexte local en prenant en compte les spécificités de chaque pays¦