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Alphonse Worou, apiculteur: « Les abeilles, c’est ma vie »

Société
Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 25 janv. 2019 à 08h35
[caption id="attachment_31991" align="alignnone" width="1024"]Alphonse Worou, apiculteur[/caption]

Plus qu’une passion, l’élevage des abeilles est toute sa vie. Il s’y adonne à cœur joie et partage son savoir-faire et son expérience en la matière à travers l’entreprise solidaire « Ruche des Collines » et le consortium du même nom dont il est le fondateur. Lui, c’est Alphonse Worou ; profession : apiculteur.

« Les abeilles, c’est ma vie. Elles me connaissent et moi aussi, je les connais», baragouine,dans un français approximatif, monsieur Alphonse Worou. Dans le hall de sa miellerie « Ruche des Collines (Rdc)», sise à Yaoui, commune de Ouèssè (département des Collines) au bord de la voie inter-Etats n°2 (axe Cotonou – Parakou), le quinquagénaire présente avec fierté des œuvres qui retracent son parcours d’apiculteur hors pair. Il s’agit de photos et de dessins d’une exposition permanente dénommée « Ruches de l’espoir : Impacts d’aujourd’hui et de demain », réalisée par les « Arts tissent » en partenariat avec le programme Bénin entreprendre solidaire avec son territoire (B’est) mené par Solidarité Entreprise Nord-Sud (Sens) et le Groupement intercommunal des Collines (Gic).
Alphonse Worou, remarquable sur plusieurs gravures exposées, dit s’inscrire dans une démarche innovante qu’il appelle « Entreprendre solidaire avec son territoire » et expérimentée depuis 2009 dans les Collines et qui concilie finalité sociale et viabilité économique dans le souci d’améliorer les conditions des personnes vulnérables. L’entreprise solidaire « Ruche des Collines » laisse découvrir une autre culture entrepreneuriale centrée sur l’apiculture.
Mais qu’est-ce qui justifie cette passion pour l’élevage des abeilles pour en produire le miel, la cire, la propolis ? «L’apiculture, c’est une production naturelle à coût réduit qui aide les gens à sortir de la pauvreté», explique Alphonse Worou qui s’investit dans cette activité depuis 1994. «J’ai commencé avec trois ruches et aujourd’hui, je suis à 1000 ruches réparties sur trois ruchers contenant plus de 50 différents types d’abeilles», confie-t-il.
Fort de la rentabilité de l’activité et conscient de l’importance de cette filière dans le développement, l’entrepreneur solidaire décide dès 2000 d’initier des paysans d’abord à Ouèssè, sa commune natale, puis ceux de la zone de la forêt classée Tchaourou-Toui-Kilibo et d’ailleurs. Pour impulser une nouvelle dynamique à la filière apicole, il installe une coopérative regroupant soixante apiculteurs et ayant pour leitmotiv : « le développement économique rural de la commune de Ouèssè ». En fait, la coopérative est formée de représentants de soixante familles de six villages de Ouèssè à savoir Gbédé, Kèmon, Idouya, Botti, Yaoui et Agboro, soit dix par village, précise-t-il.

3e producteur mondial et formateur

Avec des domaines de 100 ha attribués par des têtes couronnées dans ces villages, la coopérative prend corps. L’apiculteur prend sur lui l’engagement de faire un emprunt de 19 millions F Cfa. Quelque 600 ruches ont été fabriquées et des accoutrements acquis avec ce financement, soit dix ruches pour chaque apiculteur au niveau de ce qu’il a appelé les « tontines ».
Une randonnée dans l’un de ses propres ruchers : le centre Opè-Oluwa créé en mars 2002, puis dans son champ de cajou permet de se rendre compte de toute la puissance apicole que dégage cet agriculteur distingué à plusieurs reprises : prix «Entreprendre Best of 2015 Zou-Collines-Borgou-Alibori », prix Entreprendre Ensemble obtenu en décembre 2011 à Paris où il a été célébré comme le troisième producteur mondial de miel.
Dans ce centre Opè-Oluwa situé à environ cinq kilomètres de sa miellerie à Yaoui, la plaque à l’entrée mentionne l’interdiction de la chasse au fusil, des bruits assourdissants, du pâturage des bœufs et autres fréquentations sans autorisation. Alphonse Worou prend également soin d’encadrer le rucher avec trois rangées de barbelés. Sur le site de 18 ha au milieu des collines, sont disséminées 24 ruches dont 22 ruches kenyanes et deux ruches artificielles en jarre sous les plants de vène (Pterocarpuserinaceus) communément appelé Cosso en langue locale. « Il n’y a pas de ruches de moins de 100 000 abeilles ici », affirme-t-il, fièrement.
En fait, la ruche en jarre, c’est une innovation d’Alphonse Worou pour faire face au coût exorbitant d’une ruche kenyane qui varie de 17 000 à 35 000 F Cfa. « C’est facile pour quelqu’un qui n’a pas l’argent d’installer les ruches en jarre. Avec 2000 F Cfa, il a déjà une ruche », indique le producteur. « C’est ce que nos parents faisaient que j’ai modernisé en y ajoutant la technologie que j’ai apprise lors de ma formation ici et en France », explique-t-il. Maîtrisant le système de production des abeilles, il a marqué des indicateurs en blanc et fait trois trous sur la face latérale de la jarre en séparant les loges de la reine, de la ponte et des besoins des abeilles. « A la dernière récolte, j’ai trouvé plus de 60 litres de miel dans cette seule ruche qui peut faire des années si cela ne casse pas », assure l’apiculteur montrant son innovation, l’air enjoué. Créatif, il fait aussi des ruches avec la bouse de vache ou à base de termitière mélangée à de la paille pour leur conférer un caractère résistant.
Un peu plus loin, sur un champ de 11 ha dont il a hérité, s’étend sa plantation de cajou (Anacardium occidentale). Des dizaines de ruches posées sur des bouteilles recyclées ou des pierres sont présentes sur cet espace reboisé. En fait, plus de 50 ha au total sont reboisés depuis 2010 sous la direction d’Alphonse Worou, avec l’appui de ses enfants et de quelques stagiaires qui viennent à son école. « Un apiculteur ne doit pas être paresseux ; il doit avoir la maîtrise de son métier ; il doit avoir l’esprit d’équipe et être en mesure de travailler avec les autres apiculteurs exerçant dans le même secteur d’activité que lui; il doit contribuer à la protection de l’environnement en participant au reboisement », leur enseigne-t-il. Il souligne que l’élevage des abeilles n’est pas 100 % gratuit». Après l’identification d’un bon emplacement pour l’installation des ruches (zonage), un bon rendement en qualité et en quantité est tributaire d’une bonne gestion des essaims pour améliorer la production. « Toutes les ruches colonisées doivent être visitées deux fois au minimum par mois et au cours de chaque visite, un travail de nettoyage doit être fait à l’intérieur des ruches pour désinfecter les ruches et départager les œufs operculés et ceux non operculés », préconise le formateur apicole.

Producteur spécialisé

Après des formations, notamment en France, en Belgique, Alphonse Worou décide de se spécialiser dans « l’apiculture spécifique » qui fait référence à la plantation d’arbres dominante dans le milieu de la ruche. Il produit essentiellement du miel Cosso, du miel Cajou, du miel Neem ; ce qui confère au miel des arômes et des goûts différents et certainement des vertus diverses. Les arbres qui produisent des fleurs au rucher sont ceux situés dans un rayon de 100 m, même si l’abeille peut parcourir plusieurs kilomètres à la recherche du nectar. La production de miel spécifique nécessite une attention particulière, selon le producteur. « Il faut non seulement s’assurer qu’il y a des abeilles dans le rucher, mais aussi et surtout respecter les périodes de floraison des arbres avant de faire le transvasement», fait-il savoir. Il faut trois transvasements par an, poursuit-il avant d’ajouter : « Une bonne colonie d’abeilles commence à partir de 45 000 individus ; il faut 40 000 abeilles pour porter 1 kilogramme de pollen ». La durée de vie de l’abeille est de 30 à 60 jours mais la reine peut vivre cinq ans et produire pendant les trois premières années jusqu’à 3000 œufs par jour. Il faut nourrir les abeilles (soja, maïs à griller et moudre ajouté à du sucre) pour prolonger leur durée de vie afin que les sous-produits apicoles tels que la cire utilisée dans les cosmétiques ou encore la propolis dont les vertus antimicrobiennes sont exaltées, sortent en quantité des ruches. Pour 3 kg de cire, il faut 7 kg de miel, informe Alphonse Worou.
Au niveau de la coopérative, les apiculteurs, sous sa coupole, ne sont aujourd’hui que de 35 «tontines », suite à des projets qui ont « débauché » des membres. Néanmoins, Alphonse Worou reste un maître incontesté de l’apiculture dans les Collines, lui qui forme, suit les apiculteurs et leur achète du miel dans les localités de Savè, Savalou, Dassa-Zoumè et environs. Il a initié un consortium d’apiculteurs du département pour vendre le label « Ruche des Collines ». La qualité est assurée, mais le consortium « Ruche des collines» est loin de tenir le pari de la quantité et de répondre ainsi à toutes les sollicitations. « Tenez, un opérateur des Pays-Bas a demandé un conteneur de 45 pieds de miel ; un opérateur nigérian veut qu’on lui livre 1500 kg de miel par semaine. Je ne peux pas trouver et ça me fait mal », regrette Alphonse Worou. C’est dire que la production locale de miel reste largement en deçà de la demande sur les marchés national et international.Ce qui amène le promoteur apicole à exhorter l’Etat à s’intéresser davantage à cette filière.