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Dr Fifamè Houssou Gandonou, pasteure et spécialiste en féminisme: « La protection de la femme est urgente parce qu’elle est une personne vulnérable … »

Société
Par   Joel TOKPONOU, le 06 avr. 2023 à 09h59
Auteure des ouvrages « Les fondements éthiques du féminisme: réflexion à partir du contexte africain » et « La violence sexuelle parmi les adolescents : une réflexion théologique et éthique », Dr Fifamè Fidèle Houssou Gandonou est pasteure de l’Église protestante méthodiste du Bénin, depuis 1998. Cette militante des droits humains, présidente d’Ong et directrice de complexe scolaire à Porto-Novo, apprécie positivement les nouvelles lois protectrices de la gent féminine et propose des compléments d’actions. La Nation : Pasteure et féministe, n'est-ce pas deux professions incompatibles puisque a priori, le pasteur est pour tous les chrétiens, hommes et femmes ? Dr Fifamè Houssou Gandonou: Comme vous le dites si bien, beaucoup pensent que les deux professions sont opposées, incompatibles. En réalité, en tant que pasteure féministe, nous pensons qu'elles se complètent et ont bien plus en commun qu'on ne l'imagine, surtout par rapport à la justice sociale. La Bible rend compte du salut pour tous en Jésus Christ. Et lorsque nous la lisons, les thèmes de justice et de dignité pour l'humanité nous interpellent. L’attitude de Jésus vis-à-vis de la femme participe à cette mission de libération. C’est vrai que le féminisme porte plusieurs définitions et traîne également plusieurs connotations négatives. Or, le féminisme développe une approche qui n’est plus isolée et individuelle. Geneviève Fraisse précise clairement la vision du féminisme quand elle déclare, l’égalité entre les sexes est l’utopie nécessaire du féminisme. En tant que chrétienne, pasteure, notre féminisme est préoccupé par la dignité et les droits de tout être humain, femme ou homme. Quels que soient notre sexe, notre nationalité, notre religion, nos compétences ou toute autre chose, nous sommes tous et toutes dignes de contrôler nos vies, d'être rétribués de manière égale pour le travail que nous accomplissons et d'avoir les mêmes chances de connaître le bonheur et le succès dans la société qui est la nôtre. C’est pourquoi au-delà du discours, le féminisme doit se traduire dans les actions concrètes. Au-delà du discours revendicatif, il s’oriente vers le vécu des femmes elles-mêmes en vue d’un changement. Dans ce sens, nous faisons nôtre la pensée du Cercle des Théologiennes africaines engagées : passer progressivement d’une théologie de la revendication et de la protestation à une théologie de la créativité et de la vitalité inventive qui prône l’avènement d’une femme capable de construire une nouvelle société, d’imaginer un avenir radicalement différent de notre présent.

Vous menez depuis quelques années une campagne contre les violences. Qu’en est-il concrètement ?

L’inégalité des sexes dans la société est l’une des principales variables auxquelles l’on peut relier les violences faites aux femmes. Ces violences constituent un problème crucial de développement et affectent la femme dans sa dignité. Un certain nombre de violences dont sont victimes les femmes et les filles à travers le monde et principalement en Afrique subsaharienne sont souvent banalisés au sein des églises. Parfois, une certaine lecture de la Bible est faite pour stimuler et renforcer ces violences. Les femmes, aujourd’hui, sont encore limitées à une vie de dépendance; certaines vivent au quotidien des violences multiformes (viols, harcèlements, bastonnades, brimades, enlèvements, mutilations sexuelles…) ; des petites filles sont livrées au commerce sexuel. Des questions qui se posent sont celles de savoir : qui sont les véritables acteurs des violences faites aux femmes ? Est-ce les hommes ou les femmes elles-mêmes ? Est-ce la culture ou l’éducation ou encore la religion ? Quelles en sont les séquelles sur les femmes et les conséquences sur la société entière ? Que font l’Etat et l’Église pour remédier à ces violences ? Quelles sont les lois qui protègent contre ces violences ? Voilà pourquoi, écrire et nous engager pour un monde sans viol ni violence en collaboration avec l’Ong Déborah a été le plus grand geste que nous puissions accomplir pour unir notre engagement pastoral au féminisme. Il y a toutes sortes de manières d'être pasteure et féministe : la nôtre, c’est en écrivant, en soutenant la « campagne de jeudi en noir, du Conseil œcuménique des églises (Coe) ». La campagne « Thursdays in Black » ou « Jeudis en Noir » est simple mais profonde. Elle consiste à porter des vêtements noirs, tous les jeudis, porter un badge et montrer ainsi que vous faites partie du mouvement mondial qui s'érige contre les attitudes et les pratiques autorisant le viol et la violence, rendre hommage aux femmes qui résistent à la culture de l'injustice et de la violence et encourager d’autres à rejoindre la campagne. Le noir a souvent été utilisé avec des connotations diverses et de façon négative. Dans le cadre de cette campagne, le noir représente la couleur de la résistance et de la résilience. En dehors de cette campagne de Jeudis en noir, nous organisons aussi des Echanges et Apprentissage avec et pour les adolescents (es) et jeunes : Rien pour nous sans nous. Nous organisons aussi des activités de sensibilisation, d’information et de communication pendant les 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre. Cette campagne annuelle internationale démarre le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et prend fin le 10 décembre, qui marque la Journée des droits humains.

Votre lutte reçoit un soutien de taille avec les dernières lois votées et l'élan du gouvernement à protéger davantage la femme. Quelles observations faites-vous sur ce nouveau cadre légal ?

Comme vous le dites bien, le vote de ces lois constitue un nouveau cadre légal pour réduire les violences faites aux filles et aux femmes et leur vulnérabilité. C’est un exploit qui est fait mais il reste encore à faire à savoir: sensibiliser les femmes et la société béninoise à la portée de ces lois, veiller à la maitrise de ces lois et à leur mise en application, identifier et maitriser les diverses lois qui préviennent et réprimandent ces violences, échanger sur les impacts de ces lois sur la communauté et réduire les écarts entre ces lois et les réalités sur le terrain.

Insistez-vous sur l’importance de la protection de la femme ?

La protection de la femme est urgente parce qu’elle est une personne vulnérable. Elle est celle qui porte la vie. Il n’y a pas de développement sans la femme. C’est en étant vis-à-vis et des collaborateurs que l’homme et la femme pourront accomplir leur mission sur terre et dans la société. C’est en allant à l’école de Jésus qui n’a fait acception de personne que la promotion des droits de la femme et sa protection seront une réalité. C’est par les principes de l’éthique qui voudraient que les êtres humains (femme et homme) soient égaux. C’est donc une motivation éthique qui donne sa force au respect et à la promotion de la femme. Elle veut que lui soit reconnue la dignité inaliénable de l’être humain. Les comportements immoraux vis-à-vis de la femme sont en grande partie le fruit d’une absence d’éducation à l’éthique; une telle éducation, en effet, permet de prendre en compte la différence et de l'utiliser pour l'épanouissement de tous et de toutes. C’est-à-dire que la femme doit être utile à la société et dans son rapport avec l'homme, la reconnaissance de son existence et de ses droits n’est pas à négocier mais doit être une réalité. Elle ne peut pas être dans un rapport où elle se sent absente. Si la femme est vue comme le sujet dont la société a besoin pour son développement aux côtés de l'homme, elle ne doit plus être considérée comme citoyenne de seconde zone appelée à satisfaire ses propres besoins et ceux des hommes, mais comme une personne avec laquelle entretenir une relation de communication, de coopération et de partage. Dans le discours du féminisme, nous relevons une éthique de l'égalité, une éthique de la liberté, une éthique de la dignité et une éthique de la responsabilité. Ces notions d'égalité, de liberté, de dignité et de responsabilité traversent toute la Bible, de la Genèse à l'Apocalypse. Et donc, le féminisme n'est qu'un mouvement qui rappelle que ces notions doivent être le partage de tous, et particulièrement il veut que la femme, tout comme l'homme, soit un sujet actif de la société.