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Faux médecin ayant fait des victimes (20è dossier): Clément Kpanou condamné à 6 ans de réclusion criminelle

Société
Par   LANATION, le 20 août 2015 à 06h44

Suivant les statistiques du ministère de la Santé, nombre de cliniques et cabinets médicaux illégaux essaiment nos villes et campagnes, dispensant des soins aux populations, les exposant ainsi à des risques majeurs. C’est le responsable de l’un d’eux qui a été soumis à la cour de céans hier mercredi 19 août, dans le cadre de la 20è affaire inscrite au rôle de la Cour d’assises. Pour en connaître, la Cour est composée de Michel Romaric Azalou (président), Florentin Gbodou et Maximilien Kpèhounnou (assesseurs) et Sétoungan Mèdévo, Vidéhoun Constance Odile Gbénahou, François Koundé, Kuessi Antoine Hossou (jurés). La plume de l’audience incombe à Me Angeline Tossa Soarès, greffier.

Que disent les faits de la cause ? Courant janvier 2013, Clément Kpanou, infirmier diplômé d’Etat à la retraite, a ouvert, sans autorisation administrative au quartier Kandévié à Porto-Novo, un cabinet médical dénommé «Cabinet de santé LA CAPITALE, clinique, laboratoire d’analyses médicales » où il exerce illégalement les fonctions de médecin et de chirurgien. Le samedi 5 janvier 2013, Carmelle Houmbiè, âgée de 9 ans, admise au Centre hospitalier départemental de l’Ouémé-Plateau (CHD-OP) pour fièvre typhoïde avec ballonnement du ventre, a été référée au Centre national hospitalier universitaire (CNHU-HKM) de Cotonou. Mais ses parents ont préféré la conduire à la clinique LA CAPITALE où elle a subi une opération chirurgicale pratiquée par Clément Kpanou dans des conditions inappropriées. Au 5è jour de l’opération, l’état de santé de Carmelle s’est considérablement dégradé. Des matières fécales dégoulinaient de ses pansements. Clément Kpanou avoue alors son incapacité à continuer les soins. Evacuée au CHD-OP le vendredi 11 janvier 2013, Carmelle a subi une reprise de l’intervention chirurgicale mais a rendu l’âme au petit matin du samedi 12 janvier 2013. Suivant le rapport du médecin chirurgien traitant, le décès est dû à la péritonite aigüe généralisée post-opératoire accomplie d’un état de choc et d’anémie. Poursuivi pour exercice illégale de la médecine, exercice en clientèle privée de professions médicales sans autorisation administrative et coups mortels, Clément Kpanou a reconnu les faits à toutes les étapes de la procédure. Son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation antérieure, l’enquête de moralité lui est favorable et le rapport d’expertise psychologique et psychiatrique révèle qu’il est accessible à la sanction pénale.

«Je reconnais les faits»

A la barre, Clément Kpanou plaide coupable. Mais se dépêche d’indiquer que son autorisation administrative était en cours de traitement. Ce que confirme son avocat qui présente la demande adressée par une ONG dont l’objet ne mentionne nullement l'administration de soins de santé… De la déposition de l’accusé, il ressort qu’il se comportait en médecin alors qu’il ne devrait administrer que les soins prescrits par un médecin. Il s’exprime dans un français impeccable et raconte que ce jour-là, en conduisant la fille à lui, le père lui déclarait qu’il n’y avait pas d’oxygène à l’hôpital pour l’opération, ni de poches de sang. C’est donc un père suppliant qui se serait porté vers lui, désabusé que l’on puisse, dans un hôpital public départemental, l’éconduire avec son enfant malade. Et il dit n’avoir pas eu la présence d’esprit de demander au père, vers quel centre on l’avait référé. Il apprendra plus tard qu’ils avaient été référés sur le CNHU. S’attendant à voir, au regard de l’état de la patiente, une appendicite, névrosée justifiant les douleurs intenses, il fut surpris de découvrir une anse remplie d’air et en putréfaction. Il aurait ensuite juste refermé en sectionnant l’appendicite avant de leur demander de se rendre à Zinvié ou à Zagnanado pour la prise en charge adéquate de l’opération. Sur le coup, les parents de la fille se seraient souvenus qu’un de ses oncles était chirurgien et exerçait à Zinvié. Appelé, ce dernier a promis passer mais n’avait toujours pas donné signes de vie après cinq jours. C’est alors que la situation commença à se compliquer et qu’il informa les parents que la fille ne pouvait plus, à cette étape, être prise en charge par son cabinet. Mais, a-t-il appris à faire des opérations chirurgicales ? Clément Kpanou répond que c’est en voyant faire, au cours de sa carrière, qu’il s’est fait la main. Dans son centre, il dit opérer de l’hernie, de l’appendicite, des nodules… Pourtant, il lui est déjà arrivé d’opérer quelqu’un qui est décédé sur la table d’opération en 1996. Ce qui lui a valu des jours de détention.

Faux médecin par «amour du prochain»

Revenant au cas Carmelle, il raconte avoir fait le groupage sanguin, puis recouru à deux parents volontaires, du même groupe sanguin (O+), pour les prélever et transfuser la patiente. Un moyen pour contourner l’interdiction faite par la Banque de sang de Porto-Novo d’avoir à servir des poches de sang lorsque les bons émanent de son cabinet. L’homme qui dit parler avec son cœur parce que déjà en prison, assure avoir fait de son mieux, être intervenu sous contrainte pour aider les parents impécunieux, mais ne pensait nullement être le seul à même de sauver la fille. C’est absolument pour les aider qu’il a dû intervenir, acceptant même de leur prendre moins d’argent qu’il fallait, soit 70 000 F CFA contre 100 000 F CFA demandé. Sa table d’opération, curieuse, appelle interrogation de la Cour. Il explique que c’est sa table d’accouchement mais qu’elle lui sert bien, puis reconnaît que la salle où il opère ne remplit pas les conditions et qu’on peut facilement s’y infecter. Ce père de 20 enfants (il faut le faire !) dont 13 encore à sa charge et deux morts, ponctue ses développements de gestes et de mimiques, mettant tout son corps en mouvement. Ce qui a l’effet d’arracher des rires à la salle. Il dit avoir choisi cette profession pour faire œuvre sociale, non forcément pour nourrir sa famille nombreuse, mais «par amour du prochain». Seulement, pour entretenir autant d’enfants dont le dernier n’est né qu’en mars 2015, pendant qu’il était en liberté provisoire, son activité n’est-elle pas son seul recours ? Il oppose qu’il a sa pension de retraite. Une pension sans doute insignifiante pour couvrir ses charges et dont la Cour n’ose pas lui demander le montant. Elle lui demande cependant si, en sollicitant la liberté provisoire qu’il a obtenue, il entendait reprendre ses activités. Il répond sans ambages «oui, car c’est ce que j’ai appris» et précise qu’il ne se voyait plus en train de réaliser des opérations chirurgicales. Etait-il obligé d’opérer Carmelle ? «Rien ne m’obligeait à le faire», avance-t-il, avant de lâcher «j’ai succombé aux complaintes des parents, à la douleur de la fille. Je regrette. Je ne reprendrai plus jamais. J’implore la clémence de la Cour». Dès lors, sa voix se fait tremblotante, pâteuse, il se confond en excuses. Pas de quoi convaincre le ministère public qui ne note aucun remords dans ses propos, tant il se considère comme un sauveur. Il concède qu’il se sent «coupable» et promet de ne plus jamais recommencer. Ce à quoi l’avocat général, Honoré Alowakinnou, lui signale qu’il n’aura plus jamais l’occasion de recommencer. Son avocat, Me Vincent Tohozin, prie la Cour de croire en sa sincérité lorsqu’il exprime des remords et promet de ne plus recommencer. Et lui fait dire que le médecin qui aurait refusé d’opérer Carmelle, c’est François Amoussou. La patiente serait morte, d’après Clément Kpanou, d’une péritonite aigüe non traitée à temps. Il s’interroge à ce propos, revenant sur ses propos pour soutenir que ce n’est pas son intervention qui l’aura tuée. Qu’au contraire, elle lui aura permis de vivre encore cinq jours… «En mon âme et conscience, mon intervention n’aurait pas été la cause de sa mort», martèle-t-il.

La péritonite, «une urgence urgente»

Ancien directeur départemental de la Santé de l’Ouémé-Plateau, Dr Clément Ahissou dit n’avoir pas été informé de ce que la victime avait d’abord été admise au Centre hospitalier départemental de l’Ouémé-Plateau. Il explique qu’une clinique, lorsque dépassée par un cas, peut le référer à l’hôpital de zone, qui à son tour peut référer au Centre départemental, lequel peut enfin le référer au CNHU. Une péritonite, enseigne-t-il, suppose une infection au niveau du ventre, qui peut nécessiter un traitement à l’antibiotique ou une intervention dans les cas où la radio révèlerait que des organes sont infectés. Puis il explique les conditions minimales requises pour engager une intervention chirurgicale. Il renseigne qu’une intervention faite avec du matériel souillé peut provoquer la péritonite aigüe…
Présenté par l’accusé comme étant celui qui aurait refusé d’opérer la victime, le médecin chirurgien François Amoussou reconnaît que l’enfant a été envoyé au service des urgences du CHD-OP, avoir posé le diagnostic d’une péritonite aigüe, avant de la référer sur le CNHU faute d’oxygène. Ceci, parce qu’il ne voulait pas prendre de risque dans un cas pareil nécessitant une anesthésie générale, la péritonite étant, pour lui, « une urgence urgente » qui nécessite une intervention. Et si en pareille circonstance le pronostic vital peut être engagé, il assure que l’enfant aurait survécu à son transfert sur le CNHU à Cotonou. Soit, mais pourquoi n’avoir pas recouru à l’ambulance de l’hôpital pour son transfert sur le CNHU ? Le médecin se fait évasif dans sa réponse. Lorsque plus tard, cette même fille lui revient au CHD-OP, elle était déjà en état de choc, les fils de suture ayant littéralement cédé, et les examens révélant une intervention chirurgicale manifestement mal faite, induisant le déversement des selles dans la cavité abdominale, et par suite une péritonite aigüe généralisée post opératoire, suivie de complications de l’état de choc. Malgré la reprise de l’opération, elle décèdera des suites de son état de choc. En reprenant l’opération, le médecin dit avoir voulu sauver la fille car si rien n’était fait, elle serait forcément décédée tant les complications nées de sa première opération étaient poussées. Dans tous les cas, une péritonite aigüe généralisée non traitée conduit à la mort, révèlent les débats. Ce dont Me Vincent Tohozin se fait donner acte, avant de rappeler au médecin l’article 5 de son code de déontologie qui exige assistance aux malades en état d’urgence. Lui dit avoir fait ce qu’il fallait, en rapport avec les moyens dont il disposait…

Quand le faux médecin veut enseigner le vrai médecin

Si Clément soutenait avoir juste incisé l’anse pour laisser s’échapper l’air y contenu, le médecin chirurgien, ainsi que mentionné dans son rapport de circonstance, soutient à la barre qu’il a retrouvé du gros fil de nylon dans l’abdomen, et recueilli 2,5 litres de liquide fécaloïde de l’abdomen, de même qu’il révèle une section de l’intestin grêle… l’accusé nie avoir fait usage de nylon, se lance dans une démonstration technique pour expliquer les manifestations de l’état de choc, selon lui, indiquant que cela induit un aplatissement des vaisseaux sanguins, comme pour soutenir que le médecin chirurgien ne maîtrise pas son sujet. Celui-ci le démonte, soutient que cela n’est qu’un aspect éventuel, le collapsus, et qu’il y a bien d’autres manifestations…
Eugène Houmbiè, père de la victime, dit avoir été certes référé au CNHU par le CHD-OP mais soutient n’avoir reçu aucun document à cet effet, car le médecin leur aurait demandé de se porter à la clinique Bon Samaritain. Le médecin assure avoir établi les documents qui auraient dû être remis au père, et dit avoir expliqué la situation à celui-ci qui ne se souvient pas l’avoir rencontré. Par contre, c’est vrai, renchérit-il les propos de l’accusé, qu’à l’arrivée de sa fille dans son cabinet, il n’était pas là mais ses agents ont entrepris de lui administrer du sérum. A son arrivée, leur a-t-il remis 5 000 F CFA de la somme qu’ils avaient versée pour les soins, leur demandant de se porter dans un centre approprié ? Non, répond le père qui raconte plutôt qu’il a demandé la somme de 150 000 F CFA pour son intervention, et a finalement accepté les 100 000 F CFA proposés. Clément jure avoir même arrêté le sérum administré à la fille, et indiqué au père qu’il fallait se porter au CHD-OP. C’est à ce moment précis que le père aurait révélé avoir déjà été là-bas où on lui a dit qu’il n’y avait pas d’oxygène pour faire l’opération. Sur ces entrefaites, Clément explique avoir ensuite orienté le père vers la clinique Bon Samaritain ou vers le centre de santé El Fateh. Et c’est à ce moment précis qu’il se serait lancé dans des supplications.
Adrienne Midingoyi, la mère, nuance les propos de son mari. Elle renseigne que Clément a averti qu’il dégonflerait le ventre de la fille et les orienterait vers un centre plus approprié. Mais, l’ayant fait, il aurait finalement admis de la traiter dans son cabinet. Dans ses déclarations antérieures, elle laissait entendre que Clément leur avait retourné 5 000 F CFA du montant versé, pour leur demander de se porter vers un centre qualifié pour administrer les soins adéquats à la fille ; et que c’est face à leurs lamentations qu’il s’est finalement résolu à prendre en charge la petite. Elle déclare à la barre, qu’ils n’ont plus eu besoin de le supplier pour le déterminer à s’occuper de la fille, et qu’il a prélevé du sang sur le père pour la transfuser. Pour autant, Eugène Houmbè, le père, comme Adrienne Midingoyi, la mère, n’entendent pas se constituer parties civiles.

«Homme à tout faire»

Formant sa conviction sur la base des faits du dossier et sur l’instruction à la barre, l’avocat général, Honoré Alowakinnou, dénonce la conduite de l’accusé qui aura, par la tricherie qu’il a longtemps cultivée, fait des victimes ; le cas de la petite Carmelle ayant été le pic. Pourtant, un infirmier, rappelle-t-il, n’est pas un médecin. Il est chargé d’appliquer aux malades les soins prescrits par le médecin. Lui-même n’a-t-il pas reconnu qu’il est infirmier diplômé ? Ce qui ne l’empêche pas de se comporter comme un homme à tout faire : infirmier, médecin, chirurgien, anesthésiste… justifiant cela par le refus des médecins et autres spécialistes de venir travailler chez lui du fait de l’autorisation officielle qu’il n’avait pas encore. En clair, il faisait œuvre d’exercice illégal de la profession de médecin, le tout dans un centre de santé privé où il recevait ses clients à qui, il délivrait des soins chirurgicaux constitutifs de coups et blessures. Car une seule piqûre, soutient l’avocat général, est constitutif de blessure au sens de l’article 309 du Code pénal. Plus encore si l’on y ajoute les nombreuses blessures faites sur les organes de la victime. Pis, l’autorisation qu’il obtiendra postérieurement à ses activités illégales, est attribuée pour un centre de santé dénommé «Etoile polaire» contrairement à «La capitale» qu’il gérait alors même que l’autorisation administrative renseigne bien qu’il ne peut ouvrir qu’un seul centre de santé. Fatigué ou ennuyé par les réquisitions de l’avocat général, l’accusé s’endort à la barre. Le président Michel Romaric Azalou, craignant sans doute qu’il s’écroule, l’autorise à aller s’asseoir.
Et pour Honoré Alowakinnou, le lien entre les agissements et la mort de Carmelle sont indubitables. Au total, il requiert qu’il plaise à la Cour de déclarer l’accusé coupable des faits à lui reprochés, de le condamner à 10 ans de travaux forcés, d’ordonner la fermeture de son cabinet de soins «La capitale» ainsi que la destruction des scellés du dossier.
Pour Me Vincent Tohozin qui signale la difficulté de la tâche à lui assignée, son client mérite mieux que les suggestions du ministère public. Il magnifie l’expérience et la compétence en matière pénale, des magistrats composant la Cour, avant de soutenir que l’accusation n’est pas une incantation mais une démonstration sans parti pris. Pour avancer ensuite qu’en examinant les faits, l’accusé a bien reconnu l’exercice illégal de la médecine, sanctionné de 6 mois d’emprisonnement maximum, alors que l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales sans autorisation administrative n’est sanctionné que de peines d’amendes. Encore que, d’après les textes, après un silence de quatre ans mais observé par l’administration, l’autorisation est réputée acquise. Certes, cela n’enlève rien à la gravité des faits commis, mais il devrait atténuer la rigueur de la peine requise, plaide-t-il. Puis Me Tohozin se démarque du ministère public, s’agissant des faits de coups mortels. A son avis, en l’espèce, les débats n’ont pas permis d’établir formellement qui est responsable des blessures ayant occasionné la mort. Et il convient, engage-t-il, de s’interroger sérieusement sur le lien de causalité pour apprécier si le décès de Carmelle est uniquement dû aux blessures faites par l’accusé. Remettant ainsi en cause le rapport du médecin chirurgien qui a pourtant déclaré n’être pas légiste mais chirurgien, lui qui n’aura pas apporté toute l’assistance requise à la malade avant de la référer vers un autre centre, lui dont le rapport ne saurait être objectif, lui encore qui a finalement accepté d’opérer la fille cinq jours plus tard alors qu’elle était encore en vie…lui aussi, à peine expérimenté, dont personne n’a vérifié la fiabilité des soins administrés à Carmelle… Somme toute, il y a des faisceaux de doutes relativement à la cause évidente de la mort de Carmelle. Mais si la Cour devait retenir la culpabilité de l’accusé s’agissant de ce drame, l’avocat en appelle à une application douce de la peine. Tant, dans l’espèce, il faut tenir compte de l’accusé qui marche sur ses 60 ans très bientôt et lui donner une nouvelle chance de socialisation, pour lui permettre de se réinsérer dans la vie.
«Je suis profondément consterné», confesse Clément Kpanou, appelé à s’exprimer en dernier. Il demande à la Cour de lui donner une nouvelle chance et prie la population de le comprendre. La Cour le condamne à 6 ans de réclusion criminelle, ordonne la fermeture de son cabinet et lui interdit l’exercice, pendant cinq ans, de toute profession médicale, à compter de la fin de sa peine. Mis en détention le 16 janvier 2013, mais bénéficiant d’une mesure de mise en liberté provisoire depuis 2014, Clément Kpanou retourne en prison pour environ cinq ans encore…