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Jérémie Orou, spécialiste du mariage et de la famille: « Les blessures affectives compromettent la stabilité conjugale »

Société
Jérémie Orou, psychologue de la vie sociale  et professionnelle Jérémie Orou, psychologue de la vie sociale et professionnelle

Des couples iront mieux quand ils comprendront que les comportements déplacés de leur partenaire sont des traits du passé. C’est la conviction de Jérémie Orou, psychologue de la vie sociale et professionnelle, spécialiste du mariage et de la famille. Il aborde dans cette interview les blessures affectives et psychologiques qui touchent les couples aujourd’hui et qui ralentissent leur bonheur, tout en proposant des clés de guérison.

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 03 juil. 2024 à 09h51 Durée 3 min.
#blessures affectives #psychologie

 Psychologue du mariage et de la famille, vous avez effectué des travaux sur l’influence du contexte éducationnel de l’individu sur la stabilité conjugale. Vous êtes arrivé à la conclusion que beaucoup de couples aujourd’hui sont confrontés à des blessures affectives et psychologiques. Quelles sont ces blessures émergentes qui empêchent les couples de connaître le bonheur ?

La vie de couple est a priori une vie d’interaction. Deux êtres se mettent ensemble et interagissent l’un envers l’autre. Chacun vient avec son background, son formatage psychologique de base, son développement. Dans le développement psychologique de l’être humain, il reçoit des blessures, des traumatismes psychiques, des coups que nous appelons des blessures affectives. On regroupe ces blessures en cinq grands groupes. Premièrement, il y a le ‘’rejet’’. Ça peut se manifester par le rejet d’une grossesse ou le désamour d’un enfant par ses parents depuis le ventre de sa mère parce que son sexe est indésiré.

Le deuxième groupe de blessures, c’est ‘’l’abandon’’. On rencontre plusieurs enfants abandonnés par l’un ou l’autre de leurs parents. L’enfant a le sentiment qu’il n’était pas désiré au point d’être abandonné. Ces enfants bénéficient d’une éducation monoparentale, parce qu’ils grandissent avec un seul parent.

Le troisième groupe de blessures affectives, c’est’’ l’humiliation’’. Dans notre enfance et dans les interactions humaines, on se sent humilié. Des choses qu’on aurait souhaité qu’on nous dise en secret, on nous le dit publiquement et ça prend la forme de l’humiliation. Beaucoup d’enfants ont grandi sous ce spectre et beaucoup de femmes vivent dans leur relation conjugale sous le spectre de l’humiliation.

Il y a ensuite le groupe de la ‘’trahison’’. On y retrouve les déceptions amoureuses. On avait confiance en quelqu’un, on était emporté par une relation à vie. L’amour étant le domaine de l’éternité, les ruptures inattendues créent des blessures affectives.

Le cinquième groupe des blessures affectives, c’est ‘’l’injustice’’. Lorsque vous espérez être à une position ou à une place et qu’on ne vous l’accorde pas, on le vit comme une blessure d’injustice. Ces blessures ne viendront que des personnes en qui on avait confiance.

Vous avez répertorié ces blessures sous des ensembles appelés masques. De quoi s’agit-il concrètement?

La majorité des problèmes sont liés aux blessures affectives. La vie de couple amène les deux partenaires à vivre ensemble et à voir les choses de la même manière, à se compléter, à vivre dans une complicité. Il se fait qu’un membre du couple a subi des blessures affectives. Evidemment, on n’en meurt pas. On développe une résilience dès qu’on se sent rejeté. En psychologie clinique, on appelle ça des masques. Ils existent sous différentes formes.

L’individu rejeté développe le masque de ‘’fuyant’’. Il ne veut plus s’approcher des gens de peur d’être rejeté de nouveau. L’individu qui a connu la blessure de l’abandon développe le masque de ‘’dépendant’’. Abandonné une fois, il pense ne plus pouvoir vivre sans les autres. Il s’accroche et ne veut plus être abandonné une seconde fois. La personne trahie développe le masque de ‘’contrôlant’’. Elle veut tout surveiller. Le contrôlant se fatigue sans pouvoir obtenir des résultats. Son attitude fatigue aussi celui qu’il contrôle. Celui qui a connu la blessure d’humiliation devient ‘’masochiste’’. On a l’impression qu’il a du plaisir à se fatiguer lui-même. C’est en se torturant qu’il pense se mettre en exergue. Et celui qui a connu la blessure d’injustice devient ‘’rigide’’. Il veut tout faire dans la justice et avec justesse.

C’est justement avec ces personnes qui portent différents masques qu’on veut interagir dans la société. Ces personnes n’agissent pas selon leurs vraies personnalités, leur système de valeur, mais à travers des masques. Imaginez que vous êtes en interaction dans le couple avec un partenaire qui porte plusieurs masques. A partir du moment où on a affaire à une fausse personne, on a également affaire à des fausses idées, à des illusions. D’où les complications dans les interactions dans le couple. Le second partenaire qui ne porte pas de masque sera régulièrement influencé par les masques de son partenaire qui porte des blessures psychologiques. 

Quelle est la part de l’éducation dans ce phénomène ?

Les masques proviennent de l’éducation. C’est ce qui justifie notre travail sur l’influence du contexte éducationnel sur la stabilité conjugale. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de personnes ayant vécu dans des conditions sociales où elles ont connu des blessures affectives par le comportement de ceux qui les ont élevés, gardent ces blessures et ont des difficultés à se stabiliser dans leur vie conjugale. Nous nous sommes rendu compte que des individus ayant vécu dans des familles où il y avait des invectives, des paroles violentes et méchantes à haute voix, ont la propension 2,4 fois de reproduire exactement le même phénomène. C’est pareil pour les personnes qui ont vécu dans des couples où on se porte la main. Elles ont aussi la propension de se porter la main l’un à l’autre. C’est ce que John Gray appelle l’effet miroir: les enfants reproduisent les mêmes comportements de leurs parents. Les blessures affectives seront produites par le contexte dans lequel nous avons grandi, qui va influencer notre manière de vivre et compromettre notre stabilité conjugale.

Quelles sont les tendances au Bénin et ailleurs ?

Il n’existe pas beaucoup de travaux sur l’influence. Nous n’avons pas pu nous référencer à plusieurs auteurs qui ont fait exactement le même travail. Mais nos résultats sont très intéressants. Nous nous sommes rendu compte qu’il y a une association scientifiquement significative entre le contexte dans lequel on a grandi et ce que nous reproduisons nous-mêmes des années après dans la vie conjugale en termes de parole, de comportement, d’éducation et de manière de vivre. 

A qui la faute ?

A un moment donné de notre existence, on a bénéficié de tous les soins et des cinq besoins fondamentaux de l’Homme auprès de nos familles. Mais personne ne nous a jamais appris la préparation du mariage et l’éducation du couple. Selon nos statistiques, plus de 80 % des couples sont dans le cas. Le même phénomène reprend avec nos enfants. Parallèlement, ceux qui lisent des ouvrages sur la vie de couple et le mariage connaissent le bonheur conjugal à 60 %.

Finalement, c’est la société qui ramasse les pots cassés ?

Dans la société traditionnelle au Bénin, les couples cohabitaient dans un cercle familial vaste. On était dans la ‘’collectivo-société’’. On pouvait distinguer les grands oncles, les grandes tantes, les grands-pères, les grands-frères qui accompagnaient les nouveaux couples dans leur vie de couple. Aujourd’hui, les couples vivent en vase clos. Ils font donc face à leurs problèmes seuls. Il est vrai que si on devait s’attarder sur les différentes blessures des uns et des autres, personne ne se marierait. L’adaptation est un facteur de motivation. Etant donné que nous sommes dans la préparation psychologique, personne ne sera surpris par ce qu’il connait. Lorsqu’on a l’information sur les blessures de quelqu’un en termes de rejet, de trahison, d’abandon, d’injustice, d’humiliation, … au lieu de le voir comme un bourreau, on va le voir comme celui qui a été blessé dans son passé. Beaucoup de couples vont améliorer leur relation le jour où ils comprendront que les comportements que manifestent leurs partenaires ne sont rien d’autre que les éléments du passé (qui peuvent rester indélébiles). C’est toute l’importance des sciences du mariage et de la famille.

Quelle est la proportion du bonheur conjugal aujourd’hui?

25 % des personnes que nous avons rencontrées ont répondu ne pas connaitre le bonheur conjugal, soit une personne sur quatre. Nous sommes appelés à vivre avec des gens qui ne sont pas heureux, qui sont vulnérables, susceptibles et régulièrement irrités en l’absence du bonheur conjugal. La bonne préparation et la bonne information sont des facteurs qui peuvent aider les couples à mieux se porter. Les couples voient la définition du bonheur avec des points de vue opposés. Le bonheur, c’est l’effort que l’on fait pour rendre son partenaire heureux. 

Dans quelle catégorie classez-vous alors les pervers narcissiques qui refusent de s’améliorer malgré les efforts de leurs partenaires ?

C’est trop hasardeux pour un individu lambda de qualifier son partenaire de pervers narcissique. Personne ne peut volontairement répéter ses erreurs. Seuls les professionnels peuvent le dire dans la mesure de leur compétence et de leur limite. Tout est question de schéma thérapeutique pour arriver à de meilleurs résultats. Nous portons les stigmates de ce qu’on appelle en psychologie « l’histoire avant l’histoire». Si on suppose que notre histoire a commencé le jour de la fécondation, beaucoup de choses se sont produites avant que les gamètes se rencontrent pour favoriser la fécondation.

Quelles sont les chances de guérison des blessures affectives ?

Tout n’est pas perdu. On ne guérit pas spontanément. Il faut s’accrocher à des personnes capables de nous aider. John Gray propose trois pistes de guérison. On peut guérir des blessures affectives par ‘’l’imitation constructive’’. La personne qui vous a blessé peut vous aider à guérir le jour où elle se met à votre place.

Le deuxième schéma thérapeutique que propose l’auteur, c’est ‘’l’exploitation des ressorts de la colère’’. Pour lui, il s’agit d’aller à la racine des problèmes. Il faut transformer les raisons de sa colère en motivation.

Le troisième remède, c’est ‘’l’écriture émotionnelle’’. Elle consiste à déverser notre amertume sur un papier à l’aide d’un stylo comme on aurait voulu le faire au moment de la blessure. En le faisant, nous déchargeons notre système psychique de la tension liée à cette blessure. Ce papier est destiné à un usage personnel. Vous pouvez le lire et le relire plusieurs fois seul avant de le jeter.