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Pamela Ariane Agbozo, spécialiste de l’action publique: « Les enfants souffrent du retard d’exécution des politiques »

Société
Par   Maryse ASSOGBADJO, le 04 oct. 2018 à 07h58

Le Bénin gagnerait à consacrer des lignes budgétaires aux domaines concernant les enfants. Cette démarche qui intègre la budgétisation sensible à la cible, permettra au pays de combler les fossés qui freinent l’atteinte des objectifs. Pamela Ariane Agbozo, responsable à la gouvernance, chargée d’appui à la coordination du partenariat Unicef-Social Watch Bénin, explique le bien-fondé de cette approche.

La Nation : Le concept de la budgétisation sensible aux enfants paraît nouveau. Qu’est-ce que cela sous-tend ?

Pamela Agbozo : La budgétisation sensible aux enfants fait un focus sur les questions liées aux enfants. Il s’agit de faire en sorte que le budget puisse prendre en compte les préoccupations liées aux enfants dans notre pays, aux niveaux local et national.
Pour l’Unicef par exemple, ces préoccupations intègrent quatre secteurs : la santé, l’éducation, la protection sociale, l’hygiène et l’assainissement. Il s’agit de voir comment les politiques définies dans ces différents secteurs sont traduites en termes de finances publiques.
Nous nous sommes rendu compte que le Bénin a beau avoir les politiques, qu’il a beau prendre des engagements à l’international, il ne met pas forcément les ressources qu’il faut à disposition. L’accord d’Abuja fait obligation aux pays de réserver 15% de leur budget au secteur de la santé. Le Bénin n’y est pas encore.
La budgétisation sensible aux enfants permet d’évaluer comment le budget évolue sur ces thématiques afin de faire des plaidoyers en faveur de la prise en compte des préoccupations touchant aux enfants à tous les niveaux. C’est une nouvelle approche que l’Unicef et Social Watch-Bénin essayent d’explorer. Là-dessus, nous avons élaboré des modes de budget qui ont permis de voir sur les quatre dernières années, ce que l’Etat a alloué dans les différents secteurs. Nous allons ensuite élaborer des plaidoyers conséquents pour montrer que les allocations ne suivent pas forcément les engagements pris au profit de tel ou tel secteur. Il y a souvent un gap entre les prévisions et les allocations.

La budgétisation sensible aux enfants n’est-elle pas un concept de plus, lorsqu’on sait que le Bénin ne souffre pas de textes de lois favorables au bien-être de l’enfant ?

Il ne s’agit pas d’un concept de plus. Entre la prévision, l’allocation et la consommation, les fossés existent. Il est important qu’on mette l’accent sur ces aspects. En développant la thématique, il est question de toucher les politiques de même que les cadres au niveau des ministères. Les enfants souffrent du retard d’exécution des politiques. Il faut pouvoir corriger le tir.
Que gagne le Bénin concrètement en intégrant la budgétisation sensible aux enfants dans ses prévisions ?

De façon globale, il s’agit d’améliorer les conditions de vie des enfants. L’arsenal juridique du Bénin est bien fourni, mais la mise en œuvre de ces politiques pose problème parce qu’elle suppose des ressources. Il faut que les populations aussi prennent part au processus en payant leurs taxes et impôts. Ceci permettra de mobiliser les ressources et de les dépenser de façon efficiente et efficace. Le Bénin a beaucoup à y gagner s’il se donne les moyens. Nous apprécierons les impacts sur les enfants à terme. Quand on parle de santé par exemple, on évoque le bien-être de la mère et de l’enfant. En matière de protection sociale, on s’intéresse aux populations les plus vulnérables. Quand les parents sont touchés par la pauvreté, les enfants aussi le sont. Quand les parents bénéficient d’une protection sociale à travers des allocations, les enfants aussi se portent mieux.

Dans le domaine de l’éducation par exemple, on note des discriminations entre les enfants de riches et ceux de pauvres, ainsi qu’entre les enfants de différentes régions. Est-ce à dire que la budgétisation permettra d’agir sur ces discriminations ?

La budgétisation sensible aux enfants permettra de corriger ces disparités. En principe, l’éducation est assurée par l’Etat. C’est l’Etat qui veille à construire les écoles, à mettre le mobilier et à recruter les enseignants pour l’éducation et la formation des enfants. C’est parce que l’Etat n’arrive pas à bien remplir ses obligations qu’il y a la présence des collèges privés. Ce n’est pas une raison pour que l’Etat se désengage. Il y a une frange de la population qui n’arrivera jamais à accéder à l’éducation privée. L’Etat a l’obligation de veiller à l’éducation de cette catégorie en vue de réduire les inégalités. Il en est de même de la protection sociale.

Comment peut-on apprécier les impacts de la budgétisation sensible aux enfants sur la cible ?

Cela va se ressentir sur les indicateurs. Pour évaluer les politiques publiques, il y a des indicateurs qui sont définis. Par exemple, dans le secteur de la santé, l’accord d’Abuja table sur les 15% que les Etats doivent mettre à disposition de leurs pays. Si les dépenses publiques ne sont pas efficaces, le gap sera perceptible. Plus, il y a des écoles dans les communautés, de mobiliers et d’enfants travaillant dans de bonnes conditions, plus les impacts seront visibles.

En dehors de l’Unicef et de Social Watch, quelles sont les autres structures impliquées dans ce processus ?
Nous sommes à la première année d’expérimentation. Social Watch et l’Unicef travaillent sur trois secteurs : la santé, l’éducation et les affaires sociales. Au début de notre partenariat, nous avons élaboré des notes de budget pour évaluer sur les quatre dernières années la location des ressources, mais également la consommation. Si l’on n’investit pas sur les enfants, je ne sais pas quel type d’adulte on aura demain. Les ministères qui couvrent ces trois secteurs ont connaissance de l’existence de ce projet. Il en est de même des Osc et des médias au profit desquels, nous avons organisé récemment un atelier sur la thématique.
Au niveau des communes, nous avons identifié celles qui sont dans le champ d’intervention de l’Unicef et qui ont vraiment besoin de beaucoup d’attention sur plusieurs plans touchant à l’enfant. Nous allons les sensibiliser sur la nécessité de mettre l’accent sur la définition des politiques visant à promouvoir la couche au niveau communal. Une commune dans laquelle on installe des kits d’assainissement ou d’hygiène, une commune dans laquelle toutes les écoles disposent des latrines, c’est déjà un pas vers la budgétisation sensible aux enfants. Une commune dans laquelle les mobiliers sont adéquats permet aux enfants de travailler dans de bonnes conditions. On travaille à faire connaître davantage la nécessité de mettre l’accent sur les besoins des enfants tant au niveau local qu’au niveau national. Dans nos prochaines actions, nous ferons des plaidoyers en direction de l’Assemblée nationale afin qu’elle tienne compte des besoins des enfants dans son budget. Nous espérons que les différents ministères et les autres structures se sentiront concernés par la question et y porteront davantage une attention particulière.