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Pour meurtre (1er dossier): Le sieur Yô Bakpa écope de 10 ans de réclusion criminelle

Société
Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 01 juil. 2015 à 23h27

Yô Bakpa, un bouvier peulh inculpé pour meurtre, a été jugé coupable et condamné hier mercredi 1er juillet à 10 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou. Ce jugement s’inscrit dans le cadre du dossier n°053/PG-15, le premier inscrit au rôle de la première session ordinaire de ladite cour au titre de l’année 2015.

C’est d’une affaire de meurtre, crime puni par les articles 295 et 304 du Code de procédure pénale et reproché au sieur Yô Bakpa, qu’a connu hier la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou. L’accusé a été condamné à 10 ans de réclusion criminelle par le jury présidé par Edouard Ignace Gangny assisté d’Aboudou Ramanou Ali et Jean-Pierre Yérima Bandé, et composé également de quatre jurés tirés au sort qui ont noms : Justin Franck Kanchémey, Cyrille Dossa Dakin, Yaya Akodan et Ibrahima Sanni Karimou. Le greffe est tenu à l’occasion par Brice Dossou-Yovo. L’accusé est défendu par Me Mohamed A. Toko, substitut dans ce dossier du bâtonnier Cyrille Djikui empêché.

Retour sur les faits

Les faits remontent au 19 mars 2013. Ce jour-là aux environs de 16 heures, dans le village de Boko dans la commune de N’dali, le nommé Bernard Orou Yérima revenait de la chasse, accompagné du sieur Dramane Arouna, quand il aperçut un troupeau de bœufs conduit par Yô Bakpa dans le champ de manioc appartenant à son beau-frère Mama Dramane. Il demanda au bouvier de retirer ses bêtes du champ mais ce dernier ne s’est pas exécuté. Bernard Orou Yérima prit un bâton pour chasser les bêtes. Ce qui aurait déplu à Yô Bakpa qui se saisit de son coupe-coupe et lui asséna un coup violent au cou. La victime tomba sur-le-champ et rendit l’âme aussitôt. Yô Bakpa prit la fuite et alla se cacher dans un camp peulh voisin. Il sera appréhendé plus tard. Ainsi, ont été présentées hier les circonstances du meurtre de Bernard Orou Yérima à l’audience.
Comme à toutes les étapes de la procédure, l’accusé qui paraît faible à la barre n’a pas nié les faits au cours des débats. Visiblement pris de remords, Yô Bakpa avoue son forfait mais insiste qu’en portant le coup de coupe-coupe, il n’avait pas du tout l’intention de donner la mort à la victime. « Je demande pardon. J’implore la clémence de la Cour », dira-t-il quand il lui est donné l’occasion de placer un mot à la fin des débats.
L’enquête de moralité est favorable à l’accusé. Yô Bakpa est connu comme un homme «calme», «un travailleur», « un bon mari », selon ses proches interrogés. Il ne fume pas de cigarette et ne fait pas usage de stupéfiants, reconnaît son entourage qui attribue ce qui lui est arrivé en mars 2013 à «une œuvre du diable». L’intéressé lui-même a soutenu à la barre que c’est Satan qui s’est interposé. Son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation antérieure. A la lecture des pièces du dossier, il n’était pas en état de démence au moment des faits, au terme de l’examen psychiatrique et médico-psychologique réalisé sur lui.
En plus de l’accusé, deux témoins : Dramane Arouna et son père Mama Dramane, et une grande sœur de la victime : Colette Orou Yérima ont défilé à la barre. Les premiers ont dit leur part de vérité sur le meurtre. Quant à la sœur de la victime, elle ne se constitue pas partie civile mais demande à la Cour de « garder » le meurtrier de son frère. Elle a néanmoins évoqué la prise en charge des deux femmes et des enfants de la victime, à travers les nombreuses questions du président de la Cour et du ministère public.

Une mort intentionnelle ou pas ?

Pour l’avocat général, deux éléments permettent de constituer le crime de meurtre reproché à Yô Bakpa : l’acte matériel et l’élément intentionnel. Le premier est l’acte positif qui est en lien direct avec la mort de la victime. En cela, il n’y a point de doute : le coup de coupe-coupe qui a sectionné le cou de la victime est bel et bien l’acte qui lui a causé la mort, affirme Delphin Chibozo, s’appuyant sur le certificat de décès versé au dossier. Le conseil de l’accusé, Me Mohamed Toko, reconnaîtra la pertinence des développements du ministère public par rapport à cet élément.
En ce qui concerne l’élément intentionnel, Delphin Chibozo soutient que le fait de donner un coup de machette à une partie vitale et aussi sensible que le cou, ne peut relever d’un hasard. « En visant le cou, Yô Bakpa n’a donné aucune chance à la victime de s’en sortir », fait-il remarquer. Les deux éléments réunis, le crime de meurtre est alors bel et bien constitué. Aussi, anticipe-t-il pour balayer du revers de la main la présomption de légitime défense que pourrait défendre l’avocat du meurtrier quand ce dernier affirme que c’est après avoir reçu un coup de lance-pierre et un autre d’une tige de manioc qu’il a dégainé son coupe-coupe.
Si Me Mohamed Toko fait sien le développement de l’avocat général en ce qui concerne l’existence de l’élément matériel, il rejette catégoriquement en revanche l’intention criminelle imputée à son client. «Cet élément fait défaut. Il ne savait pas que le coup devrait entraîner la mort de la victime. En plus, il n’avait ce jour-là que le coupe-coupe pour attaquer ou se défendre ; ni le couteau ni le bâton, caractéristiques des pasteurs peulhs, n’étaient en sa possession», laisse-t-il entendre. Fort de ce développement, le conseil plaide la disqualification des faits de meurtre pour une requalification en homicide involontaire. «La mort est survenue de façon involontaire. Mon client est si calme, si taciturne, qu’il se préserve de fréquenter du monde. Il n’est pas un individu violent», allègue Me Toko en reprenant des propos tenus par des proches de l’accusé au cours de l’enquête de moralité sur sa personne.
La réplique du ministère public ne s’est pas fait attendre. «Ce n’est pas un couteau qu’on a lancé et qui s’est implanté malencontreusement dans le cou de la victime et lui a causé la mort. Il a porté le coup de coupe-coupe à une partie vitale du corps», insiste Delphin Chibozo.

10 ans de réclusion contre la perpétuité requise par le Parquet

Soutenant que le crime de meurtre est établi, l’avocat général a fait un détour dans les Saintes Ecritures pour rappeler Exode 20 verset 13 : «Tu ne tueras point» et Mathieu 5 verset 21 : «Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : tu ne tueras point ; celui qui tuera mérite d’être puni par les juges». Aussi, évoque-t-il Sourate 17 versets 31 et 33 pour condamner le meurtre sur Bernard Orou Yérima. Après avoir fait observer que le prévenu avait toutes ses facultés mentales au moment de l’action, il en déduit qu’il était bien lucide et donc accessible à une sanction pénale pour l'homicide volontaire qui lui est imputé, crime prévu et puni par les articles 295 et 304 du Code de procédure pénale. Y a-t-il une circonstance atténuante qui plaide en sa faveur en dehors de ce que son casier judiciaire est jusque-là vierge et que l’enquête de moralité lui est favorable ? A cette question, l’avocat général demande aux jurés de répondre non dans la salle du délibéré et requiert qu’il plaise à la Cour de le retenir dans les liens de la culpabilité et de le condamner aux travaux forcés à perpétuité.
Par une citation du penseur grec Hérodote qui dit : « Vouloir à tout prix l'emporter est néfaste, ne cherche pas à guérir le mal par le mal. Bien des gens préfèrent la juste mesure à la stricte justice», Me Mohamed Toko invite les membres de la Cour à être «circonspects» afin de ne pas appliquer ce qu’il appelle «la stricte justice». «Accéder à la demande du ministère public en le condamnant à la perpétuité, c’est une forme de mort que la Cour donnerait à ce jeune homme, père de huit enfants dont sept vivants, lui qui est déjà fragile parce qu’hypertendu. C’est amener la Cour à se salir les mains de sang humain. C’est aussi fabriquer des délinquants parce qu’on ne sait pas ce que ces enfants vont devenir sans leur père», développe le conseil de l’accusé. Il plaide que l’homicide involontaire soit retenu contre son client, crime puni de trois mois à deux ans d’emprisonnement. Et ayant déjà cumulé deux ans et trois mois de vie carcérale, l’avocat demande à la Cour de le condamner juste au temps déjà passé en prison.
Du retour du délibéré, la Cour déclare Yô Bakpa coupable d’homicide volontaire sur la personne de Bernard Orou Yérima, le condamne à 10 ans de réclusion criminelle et aux dépens, et ordonne la destruction des scellés, en l’occurrence le coupe-coupe reconnu formellement par le prévenu à l’audience. L’accusé retourne en prison pour y passer encore sept ans et neuf mois. Il dispose de trois jours francs pour se pourvoir en cassation.
Le deuxième dossier dont la cour connaîtra ce jeudi est relatif à une infraction de viol sur mineure de moins de 13 ans imputée au sieur Hadilou Dontoro.